La banque prestataire de services d’investissement n’est pas tenue d’informer son cocontractant de sa marge commerciale

Par un arrêt du 17 mars 2015, Société générale c/ SMGM, la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé, dans un attendu de principe rendu au visa de l’article 1147 du Code civil, que « le prestataire de services d’investissement qui est partie à une opération de couverture à prime nulle contre le risque de fluctuation du cours de matières premières n’est pas tenu de révéler à son cocontractant le profit qu’il compte retirer de cette opération ».

Enseigne société générale

Une fois la complexité des faits surmontée, cet arrêt s’avère très intéressant pour être le premier à exclure toute obligation d’information sur la marge commerciale et sur le profit escompté du contrat lorsque les banques agissent pour leur propre compte. Cette solution est heureuse pour deux raisons : d’une part parce que l’information sur la marge commerciale n’est pas une information utile pour le cocontractant, d’autre part parce que l’obligation d’information sur la marge commerciale dissimulait en l’espèce une obligation d’information sur la valeur, rejetée par la jurisprudence Baldus.

Pour une analyse de cette solution, vous pouvez consulter ma note qui vient d’être publiée au numéro 19 du 7 mai 2015 de la Semaine juridique Entreprise et Affaires : JCP E 2015, 1220, note C. François.

Je profite de ce billet pour remercier de nouveau le cabinet Célice, Blancpain, Soltner et Texidor pour m’avoir signalé cet arrêt. Vous trouverez ci-dessous la partie commentée de l’arrêt. Continuer la lecture

La Chancellerie publie un projet d’ordonnance préparant la réforme du droit des contrats

La Chancellerie vient d’ouvrir une consultation publique sur la réforme du droit des contrats dans le cadre de laquelle les « professionnels, universitaires et citoyens » sont invités, jusqu’au 30 avril 2015, à envoyer leurs contributions à l’adresse contrats2015.dacs@justice.gouv.fr(1).

Code civil droit des contrats obligation

A cette occasion, un projet d’ordonnance est publié, que vous pouvez consulter ici. Excepté quelques rares modifications mineures, ce projet semble identique sur le fond à l’avant-projet qui circule sur Internet de façon officieuse depuis de nombreux mois et daté d’octobre 2013. Sur la forme, en revanche, on notera que ce nouveau document contient la numérotation que prendront les nouvelles dispositions dans le Code civil. A cet égard le Gouvernement n’a pas tenté de conserver la numérotation séculaire des principales dispositions du droit des contrats. Ainsi l’article 1134 du Code civil, siège de la force obligatoire des contrats et de la bonne foi, est-il réaffecté dans le projet d’ordonnance à la question de l’erreur sur les motifs ;  l’article 1142, siège du régime de l’exécution forcée en nature des obligations de faire, à la question de la violence économique ; l’article 1147, siège de la responsabilité contractuelle, à la question de la nullité pour incapacité ; l’article 1184, siège de la résolution pour inexécution, à la question de la confirmation d’une donation affectée d’un vice de forme, etc. La réforme va donc bousculer les habitudes des juristes, sur le fond bien sûr, mais aussi jusque dans la numérotation avec laquelle des générations de juristes s’étaient familiarisées depuis 1804.

Notes de bas de page :
  1. http://www.textes.justice.gouv.fr/textes-soumis-a-concertation-10179/reforme-du-droit-des-contrats-27897.html. []

La Constitution ne s’oppose pas à une réforme du droit des contrats par voie d’ordonnance

Au lendemain de l’adoption du projet de loi de modernisation et de simplification du droit en lecture définitive par l’Assemblée nationale, soixante sénateurs avaient saisi le Conseil constitutionnel. Ce dernier vient de publier sa décision(1) et, avec elle, l’acte de saisine(2) : étrangement celui-ci ne porte que sur l’article 8 du projet de loi habilitant le Gouvernement à réformer le droit des contrats par voie d’ordonnance, à l’exclusion donc de l’article 2 relatif au statut juridique de l’animal auquel le Sénat s’était pourtant opposé. L’acte de saisine était visiblement dans les cartons avant même que l’Assemblée nationale n’adopte le texte en lecture définitive, preuve qu’il n’y avait guère de doute sur l’issue de la procédure législative, puisque la saisine vise « l’article 3 » du projet de loi alors que celui-ci a entre temps été renuméroté, il s’agit désormais de l’article 8.

Entrée du Conseil constitutionnel

Dans une décision relativement laconique, le Conseil constitutionnel rejette sans grande surprise les deux principaux griefs formulés par les sénateurs.

La « Constitution civile de la France » peut être réformée par voie d’ordonnance

Le premier grief est connu puisque répété inlassablement au cours des débats parlementaires : l’habilitation « donnée au Gouvernement pour modifier par voie d’ordonnance le livre III du code civil excède, en raison de son ampleur et de l’importance que revêt dans l’ordre juridique le droit des contrats et des obligations, les limites qui résultent de l’article 38 de la Constitution en matière de recours aux ordonnances »(3).

Les requérants ont beau convoquer dans leur saisine le doyen Carbonnier qui qualifiait le Code civil de « Constitution civile de la France », le Conseil constitutionnel rappelle que « l’article 34 de la Constitution place les principes fondamentaux des obligations civiles dans le domaine de la loi »(4).  Le droit des contrats peut donc être réformé par voie d’ordonnance dès lors qu’aucune norme du bloc de constitutionnalité n’interdit le recours aux ordonnances pour modifier les dispositions du Code civil, fut-ce la totalité de celles relatives au droit des obligations. Autrement dit le Code civil, quelle que puisse être l’aura dont il jouit, et le droit des contrats, quelle que puisse être son importance pratique, n’ont pas une place à part dans la hiérarchie des normes et leurs dispositions légales peuvent être modifiées suivant les procédures applicables à n’importe quelle autre norme légale. Le grief est ainsi balayé par le Conseil.

La saisine ajoute : « Les requérants ne peuvent accepter le choix de la voie réglementaire qui ne peut être fait au détriment des principes constitutionnels. » Quels sont ces « principes constitutionnels » qui seraient violés ? La saisine reste très évasive sur ce point et se contente de suggérer que l’habilitation ne serait pas circonscrite avec suffisamment de précisions.

Le Conseil constitutionnel rappelle que l’article 38 de la Constitution « fait obligation au Gouvernement d’indiquer avec précision au Parlement, afin de justifier la demande qu’il présente, la finalité des mesures qu’il se propose de prendre par voie d’ordonnances ainsi que leur domaine d’intervention »(5), mais juge que cette obligation a bien été respectée en l’espèce.

Le second grief est davantage surprenant.

L’éventualité d’une modification de l’ordonnance à l’occasion de sa ratification ne porte pas atteinte à la sécurité juridique

Pour contenter les sénateurs qui s’opposaient à une réforme du droit des contrats par voie d’ordonnance, la Garde des sceaux s’est engagée à déposer un projet de loi dédié à la ratification de cette ordonnance afin que les parlementaires puissent, comme ils le souhaitaient, débattre du fond et, le cas échéant, proposer des modifications.

Paradoxalement les sénateurs se sont appuyés sur cette possibilité d’une modification de l’ordonnance à l’occasion de sa ratification pour plaider l’inconstitutionnalité de la loi d’habilitation. Il est vrai qu’un tel mécanisme conduirait à voir se succéder, dans un court laps de temps, deux régimes juridiques nouveaux dans un domaine, le droit des contrats, où la sécurité juridique est une préoccupation majeure. L’article 38, alinéa 2, de la Constitution prévoit en effet que les ordonnances entrent en vigueur dès leur publication, avant même leur ratification. Le droit commun des contrats sera donc modifié une première fois par l’ordonnance puis, potentiellement, une seconde fois peu après par le biais d’amendements apportés au projet de loi de ratification.

Cependant ce phénomène est inhérent au mécanisme de l’ordonnance et plus généralement à la procédure législative. Ce que le législateur a fait hier, il est toujours libre de le défaire le lendemain. La loi d’habilitation ne porte pas atteinte en elle-même à la sécurité juridique car elle ne modifie aucune norme. Seule l’ordonnance ou la loi de ratification seront susceptibles de porter atteinte à la sécurité juridique, et le Conseil constitutionnel rappelle à cet égard qu’il existe des garde-fous : « si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit, c’est à la condition de poursuivre un but d’intérêt général suffisant et de respecter tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions ; (…) le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 »(6).

Ces principes s’imposeront au Gouvernement lorsqu’il adoptera son ordonnance(7) et au Parlement s’il choisit d’en modifier les dispositions, mais la loi d’habilitation en elle-même ne les méconnaît pas. Ce second grief est donc également rejeté et la loi peut désormais être promulguée.

Notes de bas de page :
  1. Décision n° 2015-710 DC du 12 février 2015, Loi relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. []
  2. L’acte de saisine n’est en effet publié qu’une fois que le Conseil constitutionnel a rendu sa décision : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2015/2015-710-dc/saisine-par-60-senateurs.143273.html. []
  3. Considérant 4. []
  4. Considérant 5. []
  5. Considérant 4. []
  6. Considérant 6. []
  7. L’article 2 du Code civil s’imposera également au Gouvernement dès lors que l’ordonnance, tant qu’elle n’est pas ratifiée, est inférieure à la loi dans la hiérarchie des normes et dès lors que la loi d’habilitation ne permet pas au Gouvernement d’adopter des dispositions rétroactives par dérogation à l’article 2 du Code civil. Le Gouvernement a indiqué dans ses observations lors de la saisine du Conseil constitutionnel qu’il n’avait aucunement l’intention d’adopter des dispositions rétroactives. []

Le Gouvernement habilité à réformer le droit des contrats par ordonnance

Le débat parlementaire sur l’opportunité de procéder à une réforme du droit des contrats par voie d’ordonnance vient enfin de connaître son épilogue. Alors même que le Gouvernement avait engagé la procédure accélérée, il aura fallu plus d’un an pour que le projet de loi soit adopté, en raison d’une opposition ferme du Sénat à une réforme substantielle du Code civil par voie d’ordonnance.

Hémicycle Assemblée nationale

Dès la première lecture du texte, une opposition de principe irréductible entre le Sénat et l’Assemblée nationale s’est faite jour. Alors que chacun reconnaissait la nécessité d’une réforme du droit des contrats, notamment pour rendre plus lisible un droit qui est aujourd’hui essentiellement jurisprudentiel, les sénateurs souhaitaient que le fond de la réforme soit discuté au Parlement, ce que le recours aux ordonnances ne permettait pas. Les députés, tout en reconnaissant le caractère souhaitable d’un débat parlementaire dans un monde idéal, ont adopté une position « réaliste », celle qui était défendue par le Gouvernement. Ce dernier agitait la menace d’un renvoi de la réforme aux calendes grecques si une loi d’habilitation n’était pas votée. L’ordre du jour des deux assemblées est en effet souvent chargé et c’est peu dire que l’expectative d’une réforme du droit des contrats ne déchaîne pas les passions en dehors de la petite sphère juridique. On se souvient que la précédente majorité avait fini par abandonner l’idée d’une réforme du droit des contrats pour ces mêmes raisons, la menace était donc bien réelle.

Le suspense n’aura donc pas été ménagé bien longtemps puisque l’on sait que l’article 45 de la Constitution permet au Gouvernement de donner le dernier mot à l’Assemblée nationale en cas d’opposition persistante entre les deux chambres. Les constituants estimaient en effet que l’Assemblée nationale avait une légitimité démocratique plus importante de par l’élection de ses membres au suffrage universel direct.

Après la première lecture du projet de loi par chacune des deux chambres, une commission mixte paritaire s’est réunie et s’est soldée par un constat d’échec au bout de quelques minutes seulement de discussion. Le texte est ensuite passé en nouvelle lecture devant l’Assemblée nationale et le Sénat. Chacun campant sur ses positions, le Gouvernement a donné le dernier mot à la chambre basse, et ce qui était annoncé depuis plusieurs mois a finalement eu lieu, celle-ci a adopté le texte en lecture définitive hier après-midi. Etrange spectacle que celui d’une démocratie parlementaire dont les acteurs égrènent avec une implacable prévisibilité les différentes étapes d’une procédure législative laborieuse dont l’issue est déjà connue de tous. C’est pourtant le propre de toute démocratie que d’imposer un strict respect de la procédure législative, quelle que prévisible puisse en être l’issue.

Le Sénat, sachant que la réforme se ferait par voie d’ordonnance avec ou sans sa bénédiction, a eu beau jeu de camper sur sa position de principe

Paradoxalement le fait que l’issue de la procédure soit déterminée dès la première lecture du texte par les deux chambres a probablement renforcé le Sénat dans sa position de principe puisque le jeu était devenu sans enjeu. Les députés, eux aussi, auraient souhaité un débat parlementaire sur le fond du texte, mais ils ont choisi de sacrifier cet idéal pour ne pas porter la responsabilité de l’échec d’une réforme qu’ils jugeaient souhaitable. Ce compromis des députés a sans doute permis de sauver la réforme. L’enjeu était tout autre pour le Sénat qui savait que la réforme se ferait par ordonnance avec ou sans sa bénédiction, par le jeu de l’article 45 de la Constitution. Dès lors, à quoi bon se compromettre ? Les sénateurs ont ainsi eu beau jeu de s’afficher comme les défenseurs intransigeants de la démocratie parlementaire tout en sachant pertinemment que la réforme se ferait de toute façon par voie d’ordonnance et qu’ils n’auraient donc pas à supporter la responsabilité d’un échec de la réforme.

L’article 3 du projet de loi contenant l’habilitation du Gouvernement à réformer le droit des contrats par voie d’ordonnance est devenu l’article 8 dans le texte de loi définitif. Les contours de l’habilitation sont définis avec précision par cette disposition, ce qui n’est guère surprenant puisque la Chancellerie dispose déjà d’un projet d’ordonnance bien ficelé dont une version circule sur Internet de façon officieuse depuis de nombreux mois. Ce projet d’ordonnance a lui-même été alimenté par une importante réflexion préalable à laquelle ont participé de nombreux universitaires (avant-projet Catala et projet Terré notamment) et des magistrats de la Cour de cassation. La Chancellerie avait également rédigé divers projets sous l’ancien Gouvernement.

Article 8 :

Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour modifier la structure et le contenu du livre III du code civil, afin de moderniser, de simplifier, d’améliorer la lisibilité, de renforcer l’accessibilité du droit commun des contrats, du régime des obligations et du droit de la preuve, de garantir la sécurité juridique et l’efficacité de la norme et, à cette fin :

1° Affirmer les principes généraux du droit des contrats tels que la bonne foi et la liberté contractuelle ; énumérer et définir les principales catégories de contrats ; préciser les règles relatives au processus de conclusion du contrat, y compris conclu par voie électronique, afin de clarifier les dispositions applicables en matière de négociation, d’offre et d’acceptation de contrat, notamment s’agissant de sa date et du lieu de sa formation, de promesse de contrat et de pacte de préférence ;

2° Simplifier les règles applicables aux conditions de validité du contrat, qui comprennent celles relatives au consentement, à la capacité, à la représentation et au contenu du contrat, en consacrant en particulier le devoir d’information et la notion de clause abusive et en introduisant des dispositions permettant de sanctionner le comportement d’une partie qui abuse de la situation de faiblesse de l’autre ;

3° Affirmer le principe du consensualisme et présenter ses exceptions, en indiquant les principales règles applicables à la forme du contrat ;

4° Clarifier les règles relatives à la nullité et à la caducité, qui sanctionnent les conditions de validité et de forme du contrat ;

5° Clarifier les dispositions relatives à l’interprétation du contrat et spécifier celles qui sont propres aux contrats d’adhésion ;

6° Préciser les règles relatives aux effets du contrat entre les parties et à l’égard des tiers, en consacrant la possibilité pour celles-ci d’adapter leur contrat en cas de changement imprévisible de circonstances ;

7° Clarifier les règles relatives à la durée du contrat ;

8° Regrouper les règles applicables à l’inexécution du contrat et introduire la possibilité d’une résolution unilatérale par notification ;

9° Moderniser les règles applicables à la gestion d’affaires et au paiement de l’indu et consacrer la notion d’enrichissement sans cause ;

10° Introduire un régime général des obligations et clarifier et moderniser ses règles ; préciser en particulier celles relatives aux différentes modalités de l’obligation, en distinguant les obligations conditionnelles, à terme, cumulatives, alternatives, facultatives, solidaires et à prestation indivisible ; adapter les règles du paiement et expliciter les règles applicables aux autres formes d’extinction de l’obligation résultant de la remise de dette, de la compensation et de la confusion ;

11° Regrouper l’ensemble des opérations destinées à modifier le rapport d’obligation ; consacrer, dans les principales actions ouvertes au créancier, les actions directes en paiement prévues par la loi ; moderniser les règles relatives à la cession de créance, à la novation et à la délégation ; consacrer la cession de dette et la cession de contrat ; préciser les règles applicables aux restitutions, notamment en cas d’anéantissement du contrat ;

12° Clarifier et simplifier l’ensemble des règles applicables à la preuve des obligations ; en conséquence, énoncer d’abord celles relatives à la charge de la preuve, aux présomptions légales, à l’autorité de chose jugée, aux conventions sur la preuve et à l’admission de la preuve ; préciser, ensuite, les conditions d’admissibilité des modes de preuve des faits et des actes juridiques ; détailler, enfin, les régimes applicables aux différents modes de preuve ;

13° Aménager et modifier toutes dispositions de nature législative permettant d’assurer la mise en œuvre et de tirer les conséquences des modifications apportées en application des 1° à 12°.

Le Gouvernement a désormais douze mois pour publier l’ordonnance (article 27, 3°). Le texte étant vraisemblablement déjà prêt, une publication rapide n’est pas à exclure. La réforme ne sera alors peut-être pas achevée pour autant puisque Mme Taubira s’est engagée au cours des débats à déposer un projet de loi de ratification dédié à cette ordonnance afin de permettre aux parlementaires d’apporter des modifications au texte.

La loi de modernisation et de simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures – c’est son nom… – contient bien sûr d’autres dispositions sur des sujets très divers, elles peuvent être consultées sur le site de l’Assemblée nationale. Je mentionnerai uniquement, puisque je l’ai déjà évoqué à plusieurs reprises sur ce blog, l’article 2 de la loi (ancien article 1er bis du projet de loi) relatif au statut juridique de l’animal. D’abord introduit dans la loi par l’amendement Glavany, puis retiré par le Sénat la semaine dernière lors de l’examen du texte en nouvelle lecture, il a finalement été adopté en lecture finale par l’Assemblée nationale. Il sera intéressant de voir si le Conseil constitutionnel sera saisi sur ce point, nul doute que le lobby agricole fera pression en ce sens. Les griefs d’absence de normativité et de cavalier législatif ont notamment été évoqués au cours des débats parlementaires contre cette disposition. La marge de manœuvre politique du Conseil constitutionnel serait toutefois limitée, car on imagine déjà les gros titres de la presse généraliste : « Le Conseil constitutionnel interdit au législateur de considérer l’animal comme un être vivant doué de sensibilité »…

Mise à jour du 30/01/2015 : comme pressenti la saisine du Conseil constitutionnel par 60 sénateurs n’aura pas tardé, elle a eu lieu hier, soit le lendemain de l’adoption définitive du projet de loi par l’Assemblée nationale. Les griefs porteront très vraisemblablement sur les articles 2 (statut juridique de l’animal) et 8 (réforme du droit des contrats par ordonnance) évoqués dans ce billet puisque les sénateurs se sont opposés à ces deux dispositions lors de l’examen du projet de loi.

Mise à jour du 12/02/2015 : le Conseil constitutionnel vient de rendre sa décision.

L’animal, nouvel objet juridique non identifié ?

Le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures continue de progresser dans le dédale de la procédure parlementaire. Rappelons que l’article 3 de ce projet de loi habilite le Gouvernement à réformer le droit des contrats et des obligations par voie d’ordonnance, et constitue la pierre d’achoppement de ce texte. Si la majorité des parlementaires s’accorde sur la nécessité de réformer le Code civil en la matière, le Sénat s’est opposé à l’utilisation de l’ordonnance comme mode de réforme, d’abord lors de la navette parlementaire, puis lors de la commission mixte parlementaire, provoquant ainsi son échec. Le texte a donc été renvoyé à l’Assemblée nationale qui vient de l’examiner une nouvelle fois en séance publique dans la nuit d’hier à aujourd’hui. La position de l’Assemblée nationale sur l’article 3 du projet de loi n’a pas changée, cet article a donc reçu un vote favorable sans qu’un nouveau débat n’ait lieu sur le recours aux ordonnances.

C’est une autre disposition de ce projet de loi qui a fait l’objet d’importants débats entre les quelques députés présents dans l’hémicycle hier soir : l’article 1er bis, ajouté au texte par un amendement de M. Glavany. Cette disposition ajoute un article 515-14 au Code civil donnant une définition de l’animal : un « être vivant doué de sensibilité ». Il expurge par ailleurs le Code civil de toutes les références faites à l’animal en tant que « meuble par nature » ou « immeuble par destination ». Il est enfin précisé que « sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens corporels ».

Chien de prairie marmotte

Cet amendement surprise a soulevé d’importantes questions juridiques auxquelles il était, à l’époque, délicat de répondre tant les débats au sein de l’Assemblée nationale en première lecture ont été vite expédiés sur ce point, sans réflexion préalable. La question centrale était celle de la nouvelle nature juridique de l’animal si ce texte venait à être adopté. Je m’étais alors risqué à formuler une série d’hypothèses quelques jours après l’adoption de cet amendement :

  • Cet amendement ne ferait pas accéder l’animal à la catégorie des personnes ;
  • L’animal ne serait plus un bien meuble ou immeuble, puisque c’est la finalité symbolique avouée de l’amendement ;
  • L’animal resterait néanmoins un bien, la place de l’article 515-14 dans le Code civil en témoignant (livre II intitulé « Des biens et des différentes modifications de la propriété ») ;
  • L’animal n’étant ni un bien meuble, ni un bien immeuble, il deviendrait un bien sui generis, formant une catégorie nouvelle de biens à lui seul.

D’autres hypothèses pouvaient bien sûr être avancées. On a notamment pu défendre l’idée que l’amendement Glavany aurait pour effet « d’extraire formellement la bête de la catégorie des biens, des choses juridiques »(1). Selon cette analyse, le nouvel article 515-14 n’aurait pas pour effet de créer une nouvelle catégorie de biens entre les meubles et les immeubles mais créerait une nouvelle catégorie à un niveau supérieur, catégorie venant s’intercaler entre les personnes et les biens.

Depuis, l’effet de surprise s’étant estompé, chacun a pu affuter ses armes. Les débats entre les députés ont donc été bien plus substantiels sur ce point lors de la nouvelle lecture du texte par l’Assemblée nationale, aussi bien au sein de la commission des lois mi-septembre, qu’en séance publique hier soir.

La ratio legis manque toujours cruellement de cohérence

La ratio legis a certes été précisée, mais elle manque toujours cruellement de cohérence. Selon Mme Capdevielle, rapporteure pour la commission des lois de l’Assemblée nationale, l’article 1er bis du projet de loi « consacre l’animal, en tant que tel, dans le code civil afin de mieux concilier la nécessité de qualifier juridiquement l’animal et sa qualité d’être sensible, sans pour autant en faire une catégorie juridique nouvelle entre les personnes et les biens [souligné par mes soins] (…) Ce nouvel article s’insère avant le titre premier, relatif à la distinction des biens, afin de mieux marquer, symboliquement, le statut particulier des animaux. »(2) Répondant à une question de l’un des membres de la commission des lois, la rapporteure a ajouté que « le texte clarifie le statut juridique des animaux, mais ne crée aucune catégorie juridique nouvelle »(3). Enfin, il est précisé dans le rapport que la possibilité d’accorder la personnalité juridique à l’animal « a été clairement et sans aucune ambiguïté écartée »(4).

Nous pouvons donc formuler quatre nouvelles observations sur la base de ces affirmations :

  • L’animal ne serait plus qualifié de bien meuble ou immeuble, l’article 1er bis du projet de loi s’attachant à supprimer minutieusement toutes les références faites à ces deux qualifications dans le Code civil ;
  • L’animal ne serait pas pour autant une nouvelle catégorie juridique qui viendrait s’intercaler entre les biens et les personnes ;
  • L’animal n’accèderait pas à la catégorie des personnes ;
  • Le texte ne créerait aucune catégorie juridique nouvelle.

Si l’animal n’est pas une nouvelle catégorie venant s’intercaler entre les biens et les personnes, et qu’il n’est pas une personne, il ne peut s’agir que d’un bien(5), mais ni d’un bien immeuble ni d’un bien meuble nous dit-on, et il ne forme pas une catégorie juridique nouvelle… Nous voilà bien embêtés ! Le Code civil ne connaît en effet que deux catégories de biens, l’article 516 disposant que « tous les biens sont meubles ou immeubles ». Le législateur nous dit désormais que l’animal n’est ni un meuble, ni un immeuble, mais qu’il ne constitue pas une troisième catégorie de biens… Cela défie les lois de la logique ! Ajoutons à cela le fait que l’animal reste soumis au régime des biens meubles par nature et immeubles par destination(6), et on n’y comprend plus rien !

Il apparaît évident que les promoteurs de cet amendement veulent à tout prix éviter les qualifications de « meuble » et « d’immeuble » pour conférer à celui-ci une portée symbolique maximale. On sait que l’on veut abandonner ces deux qualifications, mais on n’a pas sérieusement réfléchi à la qualification que l’on veut leur substituer ; on veut abandonner ces deux qualifications, mais on veut conserver leurs régimes. Cela ne pouvait que conduire à l’exercice de contorsion auquel on assiste actuellement. La sécurité juridique n’en sortira pas grandie, ce qui est pour le moins ironique quand on sait que cet amendement s’inscrit dans un projet de loi de modernisation et de simplification du droit…

Un retour à l’orthodoxie juridique reste possible à moindre frais sur le plan de la symbolique

Je reste convaincu qu’un retour à l’orthodoxie juridique est possible à moindre frais sur le plan de la symbolique. Il suffirait d’affirmer dans le Code civil que l’animal est un être vivant doué de sensibilité, sans chercher à nier la qualification de bien meuble par nature et d’immeuble par destination. La singularité de l’animal au sein de la catégorie des biens serait ainsi mise en exergue (la symbolique), la cohérence des catégories juridiques serait préservée (l’orthodoxie juridique), et sur le plan du régime il n’y aurait aucune différence avec la rédaction actuelle de l’amendement Glavany comme j’ai pu l’expliquer dans mon précédent billet. Un amendement a été proposé en ce sens, la commission des lois y a émis un avis défavorable au motif qu’il « vide le texte qui a déjà été voté », texte à « portée symbolique »(7).

Il y aurait également beaucoup à dire sur le caractère normatif de l’article 1er bis du projet de loi. Les promoteurs de cette disposition revendiquent son caractère symbolique et répètent à l’envie, pour rassurer notamment la FNSEA, qu’elle n’entrainera aucun changement de régime. Cela revient à admettre l’absence de portée normative. Sur un plan constitutionnel une telle disposition non normative serait validée sans encombre si elle avait pour objet de clarifier les dispositions normatives déjà en vigueur. En l’espèce l’effet produit semble être inverse comme on a pu s’en rendre compte : le législateur complexifie la loi, voire la rend inintelligible, sans vouloir en modifier la substance, et ce pour des raisons purement symboliques. Une censure de la part du Conseil constitutionnel n’est donc pas à exclure, s’il venait à être saisi.

Il est bien sûr possible que la jurisprudence finisse par conférer une portée normative à ce texte, comme elle a pu le faire par exemple avec l’alinéa 1er de l’article 1384 du Code civil. Il n’en demeure par moins qu’au jour où la loi entrera en vigueur, le nouvel article 515-14 du Code civil sera dénué de toute portée normative, et c’est ce qui sera pris en compte par le Conseil constitutionnel pour apprécier la régularité du texte. L’absence de portée normative a d’ailleurs été clairement affichée par le législateur au cours des débats parlementaires, l’objectif étant de ne pas toucher au régime actuellement applicable aux animaux tant le sujet est sensible, et de remettre à plus tard ce débat de fond – aux calendes grecques ? – une proposition de loi ayant été déposée en ce sens(8).

A l’issue de ces débats, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi dans son ensemble hier soir. L’article 1er bis a conservé sa substance et l’article 3, qui avait été réintroduit par l’Assemblée nationale en première lecture, a logiquement été maintenu lors de cette nouvelle lecture. Le texte va désormais retourner devant le Sénat, celui-ci va vraisemblablement supprimer de nouveau l’article 3 par voie d’amendement, et le Gouvernement devrait alors donner le dernier mot à l’Assemblée nationale comme le lui permet l’article 45, alinéa 4, de la Constitution. Sauf revirement, les articles 1er bis et 3 du projet de loi devraient finir par être adoptés dans leurs rédactions actuelles. J’en profite pour rappeler qu’une version du projet d’ordonnance circule sur Internet et que vous pouvez la consulter en cliquant ici.

Notes de bas de page :
  1. Pierre-Jérôme DELAGE, « L’animal, la chose juridique et la chose pure », D. 2014, p. 1097. []
  2. Rapport consultable sur le site de l’Assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r2200.asp. []
  3. Ibid. []
  4. Ibid. []
  5. Ce qui correspond d’ailleurs parfaitement à la notion de bien : « chose dont l’utilité justifie l’appropriation » (F. ZENATI-CASTAING, Th. REVET, Les biens, PUF, 2008, 3e éd., n° 2). On nous dit que l’animal n’est pas une personne, qu’il n’est pas une nouvelle catégorie, il ne peut donc s’agir que d’une chose, donc d’un bien, puisqu’il a été affirmé à plusieurs reprises au cours des débats et dans diverses réponses ministérielles que l’animal restait dans la « sphère patrimoniale » et qu’il était toujours susceptible d’appropriation. []
  6. C’est en effet ce que dispose expressément l’article 515-14 que l’amendement propose d’introduire dans le Code civil. []
  7. Propos de la rapporteure, Mme Capdevielle, lors de la 3e séance publique de l’Assemblée nationale du 30 octobre 2014 : http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2014-2015/20150043.asp. []
  8. Proposition de loi dont rien ne garantit l’examen en raison des règles relatives au contrôle de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. []

L’absence d’immunité civile de l’enfant mineur en présence de parents responsables rappelée

Obs. sous civ. 2e, 11 sept. 2014, n° 13-16.897 (à paraître) :

Il est des règles jurisprudentielles qui paraissent tellement certaines qu’elles ne sont plus contestées devant la Cour de cassation. Les années passent et l’absence de pourvoi empêche la Haute juridiction de rappeler ces règles, ce qui peut finir, paradoxalement, par semer le doute. Une piqûre de rappel est donc toujours la bienvenue, aussi évidente la solution puisse-t-elle paraître.

Une telle occasion a été récemment offerte à la Cour de cassation par un pourvoi dont l’unique moyen affirmait sans ambages que « la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur fait obstacle à ce que celui-ci soit personnellement tenu à indemniser la victime ». La deuxième chambre civile aurait pu se contenter de rejeter le pourvoi dans un arrêt inédit, au lieu de cela elle rend un arrêt publié comportant un attendu de principe on ne peut plus clair : « la condamnation des père et mère sur le fondement de l’article 1384, alinéa 4, du code civil ne fait pas obstacle à la condamnation personnelle du mineur sur le fondement de l’article 1382 du code civil ». Il aurait pu être tentant d’accorder à l’enfant une immunité civile sur le fondement de l’article 1384, alinéa 4, du Code civil à l’instar de celle dont jouit le préposé sur le fondement de l’alinéa 5 du même article. Le pourvoi allait en ce sens mais cette solution est rejetée sans aucune ambiguïté par la Cour de cassation. Les parents et l’enfant sont donc responsables in solidum, à la condition toutefois que l’enfant soit fautif, puisque si le simple fait causal de l’enfant permet d’engager la responsabilité de ses parents(1), elle ne suffit pas en revanche pour engager la responsabilité de l’enfant qui nécessite la preuve d’une faute ou du fait d’une chose se trouvant sous sa garde.

Responsabilité parents immunité civile enfant

La Haute juridiction aurait pu s’arrêter là, mais elle va plus loin, en rappelant que la minorité de l’enfant ne fait pas obstacle à sa responsabilité pour faute sur le fondement de l’article 1382 du Code civil : « Et attendu que l’arrêt retient à bon droit que la minorité de M. X… ne fait pas obstacle à sa condamnation à indemniser la victime pour le dommage qu’elle a subi à la suite de sa faute et qu’il doit l’être in solidum avec ses parents ». Là aussi la solution n’est guère surprenante puisque l’on savait déjà que l’absence de capacité de discernement de l’enfant n’était pas exclusive de sa responsabilité pour faute(2), il en va donc de même, à plus forte raison, de sa minorité.

On relèvera enfin une dernière précision à la toute fin du conclusif, dans un arrêt décidément pédagogique : l’enfant est obligé « in solidum avec ses parents lesquels, seuls, sont tenus solidairement ». Les coresponsables sont en principe tenus in solidum envers la victime et non solidairement du fait de la conjonction de plusieurs principes : l’obligation conjointe est le principe, l’obligation solidaire est donc l’exception(3), donc d’interprétation stricte, or la loi ne prévoit pas de solidarité en cas de cumul de responsabilités. L’obligation in solidum est donc une invention de la jurisprudence pour contourner l’absence de solidarité en matière de cumul de responsabilités. Il existe toutefois une exception en ce qui concerne la responsabilité des parents du fait de leur enfant qui découle de la lettre de l’article 1384, alinéa 4, du Code civil : « le père et la mère (…) sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants ». Cette exception résulte de la réforme du 4 juin 1970 puisqu’auparavant l’article 1384, alinéa 4, faisait peser la responsabilité sur celui des deux parents qui exerçait la « puissance paternelle », en principe le père.

On rappellera à cet égard que l’obligation in solidum est calquée sur l’obligation solidaire pour les rapports entre codébiteurs (contribution à la dette), mais ne reprend que les effets principaux de la solidarité pour les rapports entre créancier et débiteurs (obligation à la dette). Les effets principaux de la solidarité sont fondés sur la structure de l’obligation solidaire : elle contient un objet unique, mais une pluralité de liens obligatoires. Ainsi, dans l’obligation solidaire comme dans l’obligation in solidum, le créancier peut demander paiement à n’importe quel débiteur, voire à plusieurs débiteurs, et le paiement effectué par l’un ou plusieurs d’entre eux libère les autres vis-à-vis du créancier. Les effets secondaires de la solidarité ne sont pas fondés sur la structure de l’obligation mais sur l’existence supposée d’une communauté d’intérêts entre les codébiteurs qui conduit à considérer que chacun a qualité, dans une certaine mesure, pour représenter les autres. Ainsi, tout acte interrompant la prescription à l’égard de l’un des débiteurs l’interrompt également à l’égard de tous les autres(4) . On estime qu’une telle solution serait trop sévère vis-à-vis des coresponsables qui ne sont liés par aucune communauté d’intérêts, c’est pourquoi l’obligation in solidum ne reprend que les effets principaux de la solidarité.

On aurait tort de penser que ces questions sont purement académiques

On aurait tort de penser que ces questions sont purement académiques puisque la victime aurait de toute façon intérêt à n’assigner que les parents, toujours plus solvables que l’enfant. Cette croyance largement répandue est aussi largement erronée. Dans la majorité des cas l’enfant sera couvert par l’assurance multirisque habitation contractée par ses parents. Celle-ci contient en effet souvent une assurance « responsabilité du chef de famille » couvrant la responsabilité personnelle de l’enfant(5). Les étudiants ne doivent donc pas oublier qu’il faut toujours, dans un cas pratique, envisager à la fois la responsabilité des parents et celle de l’enfant.

L’arrêt est reproduit in extenso ci-dessous. Continuer la lecture

Notes de bas de page :
  1. Arrêt Levert, civ. 2e, 10 mai 2001, n° 99-11.287. []
  2. Arrêt Fullenwarth, ass. plén., 9 mai 1984, n° 80-93.481 ; civ. 2e, 19 févr. 1997, n° 94-19726. []
  3. C. civ., art. 1202. []
  4. C. civ., art. 1206. []
  5. Lamy Droit de la responsabilité civile, éd. 2014, 243-51. []

Obligation de sécurité de moyens renforcée pour le restaurateur quant à l’aire de jeux réservée à la clientèle

Obs. sous civ. 1re, 10 juill. 2014, n° 12-29.637 (inédit) :

Il y a deux ans, par un arrêt remarqué, la Cour de cassation affirmait que la responsabilité du restaurateur ne pouvait être que contractuelle lorsqu’un enfant se blessait, au cours d’un goûter auquel il participait, en faisant usage d’une aire de jeux exclusivement réservée à la clientèle du restaurant (civ. 1re, 28 juin 2012, n° 10-28.492 ; JCP G 2012, 1069, note J. DUBARRY ; Gaz. Pal. 27 sept. 2012, n° 271, p. 9, obs. M. MEKKI ; RTD Civ. 2012, p. 729, obs. P. JOURDAIN). La solution avait de quoi laisser perplexe : s’il y avait bien un contrat en l’espèce, on se demandait comment celui-ci pouvait lier à la fois l’enfant et les parents, ces derniers, victimes par ricochet, demandant réparation d’un préjudice qui leur était propre.

Enfant jouant sur une aire de jeux

Une autre question concernait la nature et l’étendue de l’obligation contractuelle du restaurateur. La Cour de cassation ne s’était pas prononcée sur ce point en 2012, mais les commentateurs ont estimé qu’il s’agissait très probablement d’une obligation de sécurité de moyens (J. DUBARRY, ibid., M. MEKKI, ibid., P. JOURDAIN, ibid.). La Haute juridiction vient de leur donner raison dans un arrêt inédit (civ. 1re, 10 juill. 2014, n° 12-29.637).

La formulation du conclusif est très intéressante : « Mais attendu que l’arrêt, après avoir énoncé à bon droit qu’il incombait à la société Ammara, tenue d’une obligation de sécurité, d’établir qu’elle avait agi avec la diligence et la prudence nécessaires pour prévenir la survenance d’accidents à l’occasion de l’utilisation normale de la structure de jeu (…) ». L’expression « à bon droit » indique que la Cour de cassation exerce sur cette question un contrôle lourd : dans ce type de contrat, l’obligation de sécurité est nécessairement de moyens, les juges du fond qui retiendraient une solution contraire s’exposeraient à une cassation de leur décision en cas de pourvoi. Par ailleurs, c’est au restaurateur que revient la charge de prouver qu’il « avait agi avec la diligence et la prudence nécessaires pour prévenir la survenance d’accidents à l’occasion de l’utilisation normale de la structure de jeu ». La charge de la preuve est inversée car il revient traditionnellement au créancier d’une obligation de moyens de prouver que celle-ci n’a pas été correctement exécutée, c’est-à-dire que le débiteur n’a pas mis en œuvre tous les moyens qu’il s’était engagé à fournir (FLOUR, AUBERT, E. SAVAUX, Droit civil, Les obligations, t. 3, Le rapport d’obligation, Sirey, 8e éd., 2013, n° 201 et s. ; Rép. civ. Dalloz, v° Responsabilité contractuelle, mars 2014, n° 227 ; pour une illustration à propos de l’obligation de sécurité de moyens du médecin, V. civ. 1re, 4 janv. 2005, n° 03-13.579). La doctrine parle parfois d’obligation de sécurité de moyens « renforcée » lorsqu’il revient au débiteur de prouver qu’il n’a pas commis de faute. Il revient donc au restaurateur de prouver qu’il a correctement exécuté son obligation en mettant en œuvre tous les moyens attendus.

La solution est moins sévère pour la victime que l’on pouvait le penser

La solution est logique et finalement moins sévère pour la victime que l’on pouvait le penser dans un premier temps. Elle est logique car le créancier de l’obligation de sécurité joue ici un rôle actif dans son exécution, ce qui emporte traditionnellement la qualification d’obligation de moyens (FLOUR, AUBERT et E. SAVAUX, op. cit., n° 204 ; J. DUBARRY, op. cit.). Elle est moins sévère pour la victime que l’on pouvait le penser car si la responsabilité délictuelle du fait des choses (art. 1384, al. 1er, du Code civil) est traditionnellement présentée comme un régime favorable à la victime, c’est à la condition que la chose soit en mouvement et soit entrée en contact avec le siège du dommage, permettant ainsi à la victime de profiter de la présomption irréfragable de rôle actif de la chose (civ. 2e, 29 mars 2001, n° 99-10.735 ; RTD Civ. 2001, p. 598, obs. P. JOURDAIN). A défaut, la victime devra prouver que la chose était bien l’instrument du dommage, c’est-à-dire prouver l’anormalité de la position de la chose ou de son état (civ. 2e, 11 janv. 1995, n° 92-20.162). Or, dans la majorité des cas, il n’est pas certain que l’aire de jeux et sa position pourront être considérées comme anormales, contraignant ainsi la victime à agir sur le fondement de l’article 1382 du Code civil et donc à prouver une faute du restaurateur (M. MEKKI, op. cit.)… Le terrain contractuel s’avèrera alors plus favorable pour la victime puisque l’obligation de moyens renforcée inverse la charge la preuve : la victime n’aura pas à prouver l’inexécution, ce sera au restaurateur de prouver qu’il a correctement exécuté son obligation de sécurité.

L’arrêt est reproduit in extenso ci-dessous. Continuer la lecture

Responsabilité du commettant et du préposé – Fiche notion

Abus de fonctions, limites de la mission excédées, agissements hors des fonctions, sans autorisation, et à des fins étrangères aux attributions, etc., il est facile de s’emmêler les pinceaux lorsqu’il est question de la responsabilité du commettant ou de celle de son préposé. Il n’y a pourtant rien de compliqué dès lors que l’on a compris une chose élémentaire : la question de la responsabilité du commettant et celle de la responsabilité du préposé doivent être examinées indépendamment l’une de l’autre. Ces deux questions doivent être rigoureusement distinguées car elles font l’objet de deux régimes distincts.

Responsabilité du commettant et du préposé

La seule condition commune aux deux régimes est l’existence d’un lien de préposition. Il faut en effet commencer par caractériser ce lien de préposition car sans lui il n’y a ni commettant ni préposé. « Le rapport de subordination d’où découle la responsabilité mise à la charge des commettants par l’article 1384, alinéa 5, du Code civil suppose de la part de ceux-ci le pouvoir de faire acte d’autorité en donnant à leurs préposés des ordres ou instructions sur la manière de remplir, fût-ce à titre temporaire et sans contrepartie financière, l’emploi confié »(1). Dans l’écrasante majorité des cas, le lien de préposition sera caractérisé par la présence d’un contrat de travail car celui-ci implique l’existence d’un lien de subordination, qui est une forme de lien de préposition. On notera à cet égard que « l’indépendance professionnelle dont jouit le médecin dans l’exercice même de son art n’est pas incompatible avec l’état de subordination qui résulte d’un contrat de louage de services le liant à un tiers », un médecin salarié est donc bien un préposé(2). Il reste possible de caractériser un lien de préposition en dehors de tout contrat de travail, pour ces cas particuliers on renverra à la jurisprudence agrégée par les éditeurs Dalloz et Litec sous l’article 1384 du Code civil.

Une fois le lien de préposition caractérisé, on peut étudier la responsabilité du fait d’autrui du commettant (I), puis la responsabilité personnelle du préposé (II). Ces deux questions sont totalement indépendantes, il est donc possible que les deux responsabilités se cumulent, il faudra alors envisager la contribution à la dette (III).

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Notes de bas de page :
  1. Cass. crim., 14 juin 1990, n° 88-87.396, solution constante. []
  2. Cass. crim., 5 mars 1992, n° 91-81.888. []

L’infraction pénale non intentionnelle n’est plus exclusive de l’immunité du préposé

Obs. sous Cass. crim., 27 mai 2014 (n° 13-80.849) :

La faute du préposé engageait initialement à la fois la responsabilité du fait d’autrui du commettant (art. 1384, al. 5, du Code civil, sauf abus de fonctions) et la responsabilité personnelle pour faute du préposé (art. 1382 du même code). Depuis l’arrêt Costedoat rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation en 2000, « n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant »(1). La victime peut en réalité toujours assigner l’assureur du préposé, ce qui a conduit la Cour de cassation et la doctrine à parler d’immunité du préposé plutôt que d’irresponsabilité(2).

Les contours de cette immunité ont été précisés très progressivement depuis l’arrêt Costedoat au fil des arrêts rendus par la Cour de cassation. C’est d’abord dans l’arrêt Cousin, en 2001, que l’Assemblée plénière a énoncé que « le préposé condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis, fût-ce sur l’ordre du commettant, une infraction ayant porté préjudice à un tiers, engage sa responsabilité civile à l’égard de celui-ci »(3). L’immunité du préposé tombe donc en présence d’une condamnation pénale consécutive à la commission d’une infraction pénale intentionnelle. L’exigence d’une condamnation pénale a ensuite été abandonnée en 2004, la caractérisation d’une faute pénale intentionnelle étant suffisante(4). Puis c’est l’exigence d’une faute pénale intentionnelle qui a été assouplie : une faute pénale qualifiée au sens de l’article 121-3 du Code pénal a été jugée suffisante en 2006 pour faire tomber l’immunité du préposé(5). Ce mouvement de réduction de l’immunité du préposé a atteint son apogée lorsque la deuxième chambre civile a déclaré, en 2007, que le préposé bénéficiait d’une immunité « hors le cas où le préjudice de la victime résulte d’une infraction pénale ou d’une faute intentionnelle »(6). Le préposé engageait donc sa responsabilité personnelle dès lors qu’il avait excédé les limites de sa mission, commis une infraction pénale quelconque ou commis une faute civile intentionnelle, solution sévère pour le préposé mais favorable à la victime dans les rares hypothèses où le commettant serait insolvable et non assuré. Solution également favorable au commettant qui peut, en l’absence d’immunité, intenter un recours subrogatoire contre son préposé.

On pouvait penser que les contours de l’immunité du préposé étaient désormais fixés : on conçoit difficilement comment il serait possible de restreindre davantage cette immunité sans l’anéantir totalement. La chambre criminelle vient pourtant de rendre un arrêt le 27 mai 2014 qui fait à nouveau bouger les frontières de l’immunité, mais cette fois à rebours du mouvement initié depuis l’arrêt Cousin de 2001.

L’infraction pénale non intentionnelle ne fait plus tomber l’immunité du préposé

En l’espèce un salarié, marin pêcheur, chargé par son employeur de placer le produit de la pêche dans la glacière de la criée du port, en a été empêché par une fourgonnette arrêtée devant le bâtiment. Il a pénétré dans le véhicule et l’a déplacé, blessant grièvement, dans la manœuvre, son propriétaire qui chargeait des marchandises par la portière latérale gauche. La Cour d’appel de Poitiers a déclaré le salarié coupable du délit de blessures involontaires, mais lui a néanmoins reconnu une immunité pour les intérêts civils. La chambre criminelle ne casse pas l’arrêt sur ce point et approuve la Cour d’appel d’avoir retenu l’immunité du préposé « condamné pour une infraction non intentionnelle ». Il apparaît donc clairement dans cet arrêt que l’infraction pénale non intentionnelle ne suffit pas à faire tomber l’immunité du préposé.

Port de Calais - Bateaux de pêcheLa position de la chambre criminelle de la Cour de cassation est désormais claire. Celle-ci avait en effet cassé en 2010 l’arrêt d’une cour d’appel qui avait retenu que le préposé, « en conduisant un véhicule automobile sans être titulaire du permis de conduire, (…) n’a pu qu’excéder les limites de la mission qui lui avait été impartie »(7). L’interprétation de l’arrêt n’était cependant pas évidente à l’époque car la chambre criminelle s’était contentée d’affirmer que la commission d’une infraction pénale n’entraînait pas nécessairement un dépassement des limites de la mission, ce qui n’est pas nouveau. Le commettant peut en effet ordonner à son préposé de commettre une infraction pénale, le préposé pourra alors commettre l’infraction pénale sans excéder les limites de sa mission. Cependant la chambre criminelle aurait pu, au lieu de casser l’arrêt, relever que l’infraction pénale, même commise dans les limites de la mission, faisait tomber l’immunité. En ne le faisant pas, on pouvait penser que la chambre criminelle avait adopté une solution différente de celle retenue par la deuxième chambre civile en 2007. Il s’agissait cependant d’une interprétation incertaine, et de surcroît cet arrêt de 2010 était inédit. L’arrêt de 2014 permet de dissiper ces doutes.

Trois lectures de cette solution nouvelle me semblent donc possibles : soit il s’agit d’un rétropédalage de la Cour de cassation qui est allée un peu loin dans le mouvement de réduction de l’immunité du préposé, soit les mots choisis par la deuxième chambre civile en 2007 ont dépassé sa pensée, soit il existe une divergence de jurisprudence entre la deuxième chambre civile et la chambre criminelle. Il faudra attendre de nouveaux arrêts pour dire quelle analyse est la bonne.

L’arrêt se prononce par ailleurs sur l’articulation de la loi du 5 juillet 1985 avec la responsabilité du commettant du fait de son préposé : « les dispositions d’ordre public de la loi du 5 juillet 1985 relatives à l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation n’excluent pas celles de l’article 1384, alinéa 5, du code civil relatives à la responsabilité du commettant du fait du préposé ». La deuxième chambre civile avait déjà affirmé en 2009, dans un arrêt de principe, que « n’est pas tenu à indemnisation à l’égard de la victime le préposé conducteur d’un véhicule de son commettant impliqué dans un accident de la circulation qui agit dans les limites de la mission qui lui a été impartie »(8). Cette solution constitue indéniablement une exception au principe d’exclusivité du régime de la loi de 1985 et a pu être critiquée pour cette raison. La loi de 1985 a en effet pour objectif premier l’indemnisation des victimes, c’est pourquoi son régime est fortement dérogatoire au droit commun, autonome et d’application exclusive. Le régime de l’article 1384, alinéa 5, du Code civil vient ici interférer avec cet objectif poursuivi par le législateur en accordant une immunité au préposé qui prive la victime d’un débiteur supplémentaire.

Le commettant exerce les pouvoirs d’usage, de contrôle et de direction du véhicule par le truchement de son préposé

Cet arrêt nous donne enfin un éclairage intéressant sur le transfert de la garde entre un propriétaire et un commettant. Rappelons que les responsables sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985 relative aux accidents de la circulation sont à la fois le conducteur et le gardien du véhicule. Lorsqu’il y a un rapport de préposition, le préposé sera responsable en tant que conducteur, mais il ne pourra jamais être considéré comme gardien – sauf abus de fonctions – la Cour de cassation ayant jugé à plusieurs reprises que « ces deux qualités sont incompatibles »(9). La solution est donc simple lorsque le commettant est propriétaire du véhicule : il est présumé gardien du véhicule, et cette présomption ne peut être combattue puisque la garde ne peut avoir été transférée au préposé. Mais qui sera reconnu gardien du véhicule lorsque le commettant et le propriétaire seront deux personnes distinctes ? La garde est-elle toujours exercée par le propriétaire du véhicule (présomption simple), ou est-elle transférée au commettant dès lors que son préposé devient conducteur du véhicule ? La seconde solution nous semble plus logique, et c’est celle qui a été retenue dans notre arrêt du 27 mai 2014 où la victime était propriétaire du véhicule. Le commettant exerce les pouvoirs d’usage, de contrôle et de direction du véhicule par le truchement de son préposé, concrètement par le biais des ordres qu’il lui donne. C’est en quelque sorte un pouvoir de garde médiat de la chose. Dès lors que le préposé conduit le véhicule, il n’y aurait aucun sens à considérer que le propriétaire en reste gardien au seul motif que les qualités de préposé et de gardien sont incompatibles. Si ni le propriétaire ni le préposé ne peuvent être considérés comme gardien du véhicule, il ne reste que le commettant.

L’arrêt est reproduit in extenso ci-dessous.

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Notes de bas de page :
  1. Cass. ass. plén., 25 févr. 2000, n° 97-17.378, n° 97-20.152 []
  2. « cette immunité n’emportant pas l’irresponsabilité de son bénéficiaire », Cass. civ. 1re, 12 juill. 2007, n° 06-12.624, n° 06-13.790. V. aussi G. Viney, P. Jourdain, S. Carval, Les conditions de la responsabilité, LGDJ, 2013, 4e éd., n° 811-5, p. 1085. []
  3. Cass. ass. plén., 14 déc. 2001, n° 00-82.066. []
  4. « le préposé qui a intentionnellement commis une infraction ayant porté préjudice à un tiers engage sa responsabilité civile à l’égard de celui-ci, alors même que la juridiction répressive qui, saisie de la seule action civile, a déclaré l’infraction constituée en tous ses éléments, n’a prononcé contre lui aucune condamnation pénale », Cass. crim., 7 avr. 2004, n° 03-86.203. []
  5. Cass. crim., 28 mars 2006, n° 05-82.975. []
  6. Cass. civ. 2e, 20 déc. 2007, n° 07-11.679 []
  7. Cass. crim., 19 oct. 2010, n° 09-87.983 []
  8. Cass. civ. 2e, 28 mai 2009, n° 08-13.310. []
  9. Cass. civ. 2e, 1er avr. 1998, n° 96-17.903, et ce n’est pas un poisson d’avril. []

Les clauses limitatives de réparation – Fiche notion

L’été approche et avec lui la période des révisions intensives pour les étudiants qui préparent les épreuves écrites de l’examen d’entrée aux CRFPA. Le droit des obligations est la seule matière qui n’est pas laissée au choix du candidat, et il peut être fastidieux de se replonger dans ses cours de licence 2 et de licence 3, a fortiori si l’on s’est spécialisé par la suite en droit public. La matière est tellement vaste qu’elle est traditionnellement l’objet à l’université de trois cours fondamentaux : droit des contrats, droit de la responsabilité civile et régime général de l’obligation. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de m’atteler à la rédaction de fiches sur quelques notions clés du droit des obligations dans l’optique de rendre les révisions un peu plus aisées.

L’idée est de constituer des fiches les plus synthétiques possibles proposant une vue d’ensemble des notions. Au-delà du CRFPA, ces fiches peuvent bien sûr être utiles aux révisions pour d’autres examens ou concours et, pourquoi pas, pour tenter d’y voir un peu plus clair sur des notions complexes parfois difficiles à appréhender, par exemple lors de la préparation d’une séance de travaux dirigés. Afin de pouvoir atteindre un compromis acceptable entre synthèse et complétude, j’ai choisi de me concentrer sur le droit positif en vigueur en proposant une vue transversale de chaque notion sans trop entrer dans les détails. Je m’efforcerai tout de même d’évoquer le droit antérieur lorsqu’il y aura eu d’importantes évolutions afin de replacer un minimum le sujet dans son contexte et suggérer ainsi quelques pistes de réflexion, mais je n’irai pas plus loin que la simple évocation.

L’objectif étant de rendre ces notions les plus accessibles possibles, il va de soi que ces fiches ne sont pas suffisamment approfondies pour servir à un travail de recherche sérieux, ne serait-ce qu’une dissertation ou un commentaire d’arrêt. Pour cela il existe déjà de nombreuses ressources, notamment les manuels et les bases de données en ligne.

Ma première fiche, que vous trouverez ci-dessous, est consacrée aux clauses limitatives de réparation. La rédaction de ce genre de fiches demandant un certain temps, il est évident qu’elles seront publiées très progressivement et que je n’ai aucunement la prétention de couvrir la totalité des notions du droit des obligations. J’essaierai de sélectionner quelques notions incontournables qui se prêtent facilement à cet exercice de présentation synthétique.

Les clauses limitatives de réparation

La clause limitative de réparation peut être définie comme la « clause qui a pour objet de limiter par avance à une somme ou à un taux déterminé le montant des dommages-intérêts »(1). Si l’on trouve parfois l’expression « clause limitative de responsabilité » (y compris dans le Vocabulaire juridique de l’association Henri Capitant), les spécialistes du sujet lui préfèrent en général l’expression « clause limitative de réparation » car il ne s’agit pas de modifier les conditions de la responsabilité, mais simplement de plafonner le montant de la réparation due lorsque les conditions de la responsabilité sont réunies.

Première difficulté de qualification : il faut distinguer les clauses relatives à la réparation des clauses relatives aux obligations. Imaginons un contrat entre une société de pressing et son client qui contiendrait la clause suivante : « La société de  pressing ne sera tenue au paiement d’aucun dommage-intérêt si elle ne parvient pas à faire disparaître les tâches d’huile ». Malgré les apparences, il ne s’agit pas d’une clause limitative de réparation, mais d’une clause qui vient, en amont de la réparation, limiter l’obligation de nettoyage (obligation de faire) dont est tenue la société de pressing : le débiteur s’engage à nettoyer toutes les tâches, sauf les tâches d’huile. Ainsi s’il reste une tâche d’huile sur le vêtement l’obligation ne sera pas considérée comme inexécutée et la question de la limitation de la réparation ne se posera même pas. Ce n’est donc pas une clause limitative de réparation, mais une clause qui définit les obligations que le contrat va faire naître.

Deuxième difficulté de qualification : il faut distinguer les clauses limitatives de réparation des clauses pénales. La distinction est simple dans la théorie : la première fixe un plafond au montant des dommages-intérêts dus en cas d’inexécution, la seconde fixe par avance et forfaitairement le montant des dommages-intérêts dus en cas d’inexécution. La clause limitative de réparation est stipulée dans l’intérêt du débiteur, ce dernier connaît le montant maximum qu’il devra payer en cas d’inexécution : il pourra payer moins si le préjudice subi par le créancier est moindre, mais il ne pourra pas payer plus si le préjudice est supérieur au plafond d’indemnisation prévu par la clause. A contrario la clause pénale est stipulée dans l’intérêt du créancier : elle a un caractère comminatoire par le fait que le débiteur sait exactement, par avance, le montant des dommages-intérêts qu’il devra payer en cas d’inexécution, ce montant est soustrait à l’aléa de l’évaluation du préjudice par le juge, et surtout le montant prévu par la clause pénale est souvent supérieur au préjudice réel anticipé afin de donner sa fonction punitive à la clause (d’où son nom de clause pénale) et donc son caractère comminatoire. En pratique la distinction peut être plus délicate lorsque le montant prévu par la clause pénale est inférieur au préjudice réellement subi par le créancier de l’obligation inexécutée. Dans ce cas on pourra se demander s’il ne s’agit pas en réalité d’une clause limitative de réparation déguisée. La qualification n’est pas sans conséquence puisque le régime juridique applicable aux clauses pénales est différent de celui applicable aux clauses limitatives de réparation : les clauses pénales ont des conditions de validité beaucoup moins strictes, mais en contrepartie leurs montants peuvent être révisés par le juge s’ils sont manifestement excessifs ou dérisoires (art. 1152 du Code civil).

Les problématiques afférentes à la qualification ayant été rapidement abordées, nous allons nous concentrer dans le reste de cette fiche sur le régime applicable.

La validité des clauses limitatives de réparation en matière de responsabilité délictuelle est discutée au sein de la doctrine. C’est une question qui se pose très rarement en pratique, les arrêts et dispositions sur le sujet sont donc très rares mais sont généralement hostiles à ces clauses(2). La quasi-totalité du contentieux concerne la responsabilité contractuelle, c’est donc sur ce terrain que nous allons nous concentrer dans cette fiche. Pour qu’une clause limitative de réparation puisse produire ses effets en cas d’inexécution, c’est-à-dire limiter le montant de la réparation due par le débiteur, il faut d’abord qu’elle soit déclarée valide (I), puis qu’elle ne soit pas rendue inefficace du fait de la gravité de l’inexécution (II).

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Notes de bas de page :
  1. Vocabulaire juridique de l’association Henri Capitant, dir. G. Cornu, PUF, 2008, v° Clause limitative de responsabilité. []
  2. On peut notamment citer l’arrêt Cass. civ. 2e, 28 nov. 1962 : « en cette matière [délictuelle] sont nulles les clauses d’exonération ou d’atténuation de responsabilité, les articles 1382 et 1383 du Code civil étant d’ordre public et leur application ne pouvant être paralysée d’avance par une convention ». En ce qui concerne les dispositions spéciales relatives à cette question, on peut citer l’article L415-6 du Code rural : « Est réputée non écrite toute clause insérée dans les baux stipulant que les détenteurs du droit de chasse dans les bois situés au voisinage des terres louées ne sont pas responsables au sens des articles 1382 et suivants du code civil, des dégâts causés aux cultures par les lapins de garenne et le gibier vivant dans leurs bois ». []