Le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures continue de progresser dans le dédale de la procédure parlementaire. Rappelons que l’article 3 de ce projet de loi habilite le Gouvernement à réformer le droit des contrats et des obligations par voie d’ordonnance, et constitue la pierre d’achoppement de ce texte. Si la majorité des parlementaires s’accorde sur la nécessité de réformer le Code civil en la matière, le Sénat s’est opposé à l’utilisation de l’ordonnance comme mode de réforme, d’abord lors de la navette parlementaire, puis lors de la commission mixte parlementaire, provoquant ainsi son échec. Le texte a donc été renvoyé à l’Assemblée nationale qui vient de l’examiner une nouvelle fois en séance publique dans la nuit d’hier à aujourd’hui. La position de l’Assemblée nationale sur l’article 3 du projet de loi n’a pas changée, cet article a donc reçu un vote favorable sans qu’un nouveau débat n’ait lieu sur le recours aux ordonnances.
C’est une autre disposition de ce projet de loi qui a fait l’objet d’importants débats entre les quelques députés présents dans l’hémicycle hier soir : l’article 1er bis, ajouté au texte par un amendement de M. Glavany. Cette disposition ajoute un article 515-14 au Code civil donnant une définition de l’animal : un « être vivant doué de sensibilité ». Il expurge par ailleurs le Code civil de toutes les références faites à l’animal en tant que « meuble par nature » ou « immeuble par destination ». Il est enfin précisé que « sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens corporels ».
Cet amendement surprise a soulevé d’importantes questions juridiques auxquelles il était, à l’époque, délicat de répondre tant les débats au sein de l’Assemblée nationale en première lecture ont été vite expédiés sur ce point, sans réflexion préalable. La question centrale était celle de la nouvelle nature juridique de l’animal si ce texte venait à être adopté. Je m’étais alors risqué à formuler une série d’hypothèses quelques jours après l’adoption de cet amendement :
- Cet amendement ne ferait pas accéder l’animal à la catégorie des personnes ;
- L’animal ne serait plus un bien meuble ou immeuble, puisque c’est la finalité symbolique avouée de l’amendement ;
- L’animal resterait néanmoins un bien, la place de l’article 515-14 dans le Code civil en témoignant (livre II intitulé « Des biens et des différentes modifications de la propriété ») ;
- L’animal n’étant ni un bien meuble, ni un bien immeuble, il deviendrait un bien sui generis, formant une catégorie nouvelle de biens à lui seul.
D’autres hypothèses pouvaient bien sûr être avancées. On a notamment pu défendre l’idée que l’amendement Glavany aurait pour effet « d’extraire formellement la bête de la catégorie des biens, des choses juridiques »(). Selon cette analyse, le nouvel article 515-14 n’aurait pas pour effet de créer une nouvelle catégorie de biens entre les meubles et les immeubles mais créerait une nouvelle catégorie à un niveau supérieur, catégorie venant s’intercaler entre les personnes et les biens.
Depuis, l’effet de surprise s’étant estompé, chacun a pu affuter ses armes. Les débats entre les députés ont donc été bien plus substantiels sur ce point lors de la nouvelle lecture du texte par l’Assemblée nationale, aussi bien au sein de la commission des lois mi-septembre, qu’en séance publique hier soir.
La ratio legis manque toujours cruellement de cohérence
La ratio legis a certes été précisée, mais elle manque toujours cruellement de cohérence. Selon Mme Capdevielle, rapporteure pour la commission des lois de l’Assemblée nationale, l’article 1er bis du projet de loi « consacre l’animal, en tant que tel, dans le code civil afin de mieux concilier la nécessité de qualifier juridiquement l’animal et sa qualité d’être sensible, sans pour autant en faire une catégorie juridique nouvelle entre les personnes et les biens [souligné par mes soins] (…) Ce nouvel article s’insère avant le titre premier, relatif à la distinction des biens, afin de mieux marquer, symboliquement, le statut particulier des animaux. »() Répondant à une question de l’un des membres de la commission des lois, la rapporteure a ajouté que « le texte clarifie le statut juridique des animaux, mais ne crée aucune catégorie juridique nouvelle »(). Enfin, il est précisé dans le rapport que la possibilité d’accorder la personnalité juridique à l’animal « a été clairement et sans aucune ambiguïté écartée »().
Nous pouvons donc formuler quatre nouvelles observations sur la base de ces affirmations :
- L’animal ne serait plus qualifié de bien meuble ou immeuble, l’article 1er bis du projet de loi s’attachant à supprimer minutieusement toutes les références faites à ces deux qualifications dans le Code civil ;
- L’animal ne serait pas pour autant une nouvelle catégorie juridique qui viendrait s’intercaler entre les biens et les personnes ;
- L’animal n’accèderait pas à la catégorie des personnes ;
- Le texte ne créerait aucune catégorie juridique nouvelle.
Si l’animal n’est pas une nouvelle catégorie venant s’intercaler entre les biens et les personnes, et qu’il n’est pas une personne, il ne peut s’agir que d’un bien(), mais ni d’un bien immeuble ni d’un bien meuble nous dit-on, et il ne forme pas une catégorie juridique nouvelle… Nous voilà bien embêtés ! Le Code civil ne connaît en effet que deux catégories de biens, l’article 516 disposant que « tous les biens sont meubles ou immeubles ». Le législateur nous dit désormais que l’animal n’est ni un meuble, ni un immeuble, mais qu’il ne constitue pas une troisième catégorie de biens… Cela défie les lois de la logique ! Ajoutons à cela le fait que l’animal reste soumis au régime des biens meubles par nature et immeubles par destination(), et on n’y comprend plus rien !
Il apparaît évident que les promoteurs de cet amendement veulent à tout prix éviter les qualifications de « meuble » et « d’immeuble » pour conférer à celui-ci une portée symbolique maximale. On sait que l’on veut abandonner ces deux qualifications, mais on n’a pas sérieusement réfléchi à la qualification que l’on veut leur substituer ; on veut abandonner ces deux qualifications, mais on veut conserver leurs régimes. Cela ne pouvait que conduire à l’exercice de contorsion auquel on assiste actuellement. La sécurité juridique n’en sortira pas grandie, ce qui est pour le moins ironique quand on sait que cet amendement s’inscrit dans un projet de loi de modernisation et de simplification du droit…
Un retour à l’orthodoxie juridique reste possible à moindre frais sur le plan de la symbolique
Je reste convaincu qu’un retour à l’orthodoxie juridique est possible à moindre frais sur le plan de la symbolique. Il suffirait d’affirmer dans le Code civil que l’animal est un être vivant doué de sensibilité, sans chercher à nier la qualification de bien meuble par nature et d’immeuble par destination. La singularité de l’animal au sein de la catégorie des biens serait ainsi mise en exergue (la symbolique), la cohérence des catégories juridiques serait préservée (l’orthodoxie juridique), et sur le plan du régime il n’y aurait aucune différence avec la rédaction actuelle de l’amendement Glavany comme j’ai pu l’expliquer dans mon précédent billet. Un amendement a été proposé en ce sens, la commission des lois y a émis un avis défavorable au motif qu’il « vide le texte qui a déjà été voté », texte à « portée symbolique »().
Il y aurait également beaucoup à dire sur le caractère normatif de l’article 1er bis du projet de loi. Les promoteurs de cette disposition revendiquent son caractère symbolique et répètent à l’envie, pour rassurer notamment la FNSEA, qu’elle n’entrainera aucun changement de régime. Cela revient à admettre l’absence de portée normative. Sur un plan constitutionnel une telle disposition non normative serait validée sans encombre si elle avait pour objet de clarifier les dispositions normatives déjà en vigueur. En l’espèce l’effet produit semble être inverse comme on a pu s’en rendre compte : le législateur complexifie la loi, voire la rend inintelligible, sans vouloir en modifier la substance, et ce pour des raisons purement symboliques. Une censure de la part du Conseil constitutionnel n’est donc pas à exclure, s’il venait à être saisi.
Il est bien sûr possible que la jurisprudence finisse par conférer une portée normative à ce texte, comme elle a pu le faire par exemple avec l’alinéa 1er de l’article 1384 du Code civil. Il n’en demeure par moins qu’au jour où la loi entrera en vigueur, le nouvel article 515-14 du Code civil sera dénué de toute portée normative, et c’est ce qui sera pris en compte par le Conseil constitutionnel pour apprécier la régularité du texte. L’absence de portée normative a d’ailleurs été clairement affichée par le législateur au cours des débats parlementaires, l’objectif étant de ne pas toucher au régime actuellement applicable aux animaux tant le sujet est sensible, et de remettre à plus tard ce débat de fond – aux calendes grecques ? – une proposition de loi ayant été déposée en ce sens().
A l’issue de ces débats, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi dans son ensemble hier soir. L’article 1er bis a conservé sa substance et l’article 3, qui avait été réintroduit par l’Assemblée nationale en première lecture, a logiquement été maintenu lors de cette nouvelle lecture. Le texte va désormais retourner devant le Sénat, celui-ci va vraisemblablement supprimer de nouveau l’article 3 par voie d’amendement, et le Gouvernement devrait alors donner le dernier mot à l’Assemblée nationale comme le lui permet l’article 45, alinéa 4, de la Constitution. Sauf revirement, les articles 1er bis et 3 du projet de loi devraient finir par être adoptés dans leurs rédactions actuelles. J’en profite pour rappeler qu’une version du projet d’ordonnance circule sur Internet et que vous pouvez la consulter en cliquant ici.
Notes de bas de page :