L’application dans le temps de la réforme du droit des obligations

Mise à jour du 02/03/2016 : le présent billet a servi d’ébauche à un article plus complet publié au Recueil Dalloz du 3 mars 2016 : « Application dans le temps et incidence sur la jurisprudence antérieure de l’ordonnance de réforme du droit des contrats », D. 2016, chron., p. 506-509.Couverture Recueil Dalloz 2016 n° 9Le Gouvernement a publié aujourd’hui la très attendue ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. La teneur générale du texte était connue depuis que la Chancellerie a publié un projet d’ordonnance l’année dernière, mais une question restait en suspens : celle de l’application dans le temps de la réforme. La question est particulièrement sensible en matière contractuelle puisque le contrat est un outil de prévision, il est donc souhaitable que le législateur ne déjoue pas les prévisions des parties. Ce billet propose une synthèse des dispositions transitoires de l’ordonnance et de l’incidence de celle-ci sur le droit positif.

Calendrier réforme droit des obligations

L’entrée en vigueur de l’ordonnance le 1er octobre 2016

La date d’entrée en vigueur d’une loi est la date de sa « mise en application », le « moment où le texte devient obligatoire »(1). Selon l’article 1er du Code civil, les lois « entrent en vigueur à la date qu'[elles] fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication ».

En l’occurrence l’article 9 de l’ordonnance prévoit que toutes les dispositions de celle-ci entreront en vigueur le 1er octobre 2016. Ces dispositions ne pourront donc pas être appliquées avant le 1er octobre 2016. Cela ne signifie cependant pas que toutes ces dispositions deviendront applicables à tous les contrats dès le 1er octobre 2016, des distinctions doivent être faites.

L’application dans le temps des dispositions de l’ordonnance

Selon l’article 2 du Code civil, « La loi ne dispose que pour l’avenir, elle n’a point d’effet rétroactif. » Suite aux propositions de Roubier, la doctrine et la jurisprudence raisonnent désormais essentiellement en termes de situations juridiques. En ce qui concerne les situations juridiques légales formées antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, leurs conditions de formation et leurs effets antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle demeurent régis par la loi ancienne (la loi « n’a point d’effet rétroactif », selon l’article 2 du Code civil), cependant que leurs effets postérieurs sont immédiatement régis par la loi nouvelle (« la loi ne dispose que pour l’avenir », c’est le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle).

Le contrat étant un outil de prévision, les situations juridiques contractuelles sont traitées différemment. La jurisprudence écarte le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle et lui substitut un principe dit de « survie de la loi ancienne ». Tous les contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle restent donc en principe régis par la loi en vigueur à l’époque de leur conclusion, aussi bien en ce qui concerne leurs conditions de formation que leurs effets passés et futurs(2). Seuls les contrats conclus après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle sont donc, en principe, régis par celle-ci.

Le législateur peut toutefois déroger à ces règles en prévoyant des dispositions transitoires, dans la mesure où l’article 2 du Code civil n’a qu’une valeur légale(3). C’est ce que le Gouvernement a fait avec l’ordonnance du 10 février 2016 dont l’article 9 dispose que :

« Les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016.
Les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne.
Toutefois, les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’article 1123 et celles des articles 1158 et 1183 sont applicables dès l’entrée en vigueur de la présente ordonnance.
Lorsqu’une instance a été introduite avant l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, l’action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s’applique également en appel et en cassation. »

La disposition n’est pas des plus claires, mais il me semble qu’une interprétation littérale de celle-ci permet de comprendre que :

L’alinéa 1er prévoit que l’ordonnance ne pourra commencer à être appliquée qu’à compter du 1er octobre 2016, c’est ce que l’on vient de voir.

L’alinéa 2 rappelle le principe de survie de la loi ancienne en matière contractuelle : les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 demeurent régis par la loi qui était en vigueur au moment de leur conclusion, y compris pour leurs effets postérieurs au 1er octobre 2016. Cet alinéa n’est cependant pas superfétatoire, car s’il existe un principe jurisprudentiel de survie de la loi ancienne en matière contractuelle, la Cour de cassation en a consacré quelques exceptions, elle juge notamment que la loi nouvelle s’applique immédiatement aux effets légaux des contrats conclus avant son entrée en vigueur(4). L’alinéa 2 de l’article 9 de l’ordonnance semble exclure expressément cette exception : l’ordonnance ne s’appliquera pas aux contrats conclus avant le 1er octobre sans que l’on ait à distinguer entre leurs effets contractuels et leurs effets légaux.

L’alinéa 3 consacre trois exceptions au principe de survie de la loi ancienne posé à l’alinéa 2 : l’action interrogatoire en matière de pactes de préférence (art. 1123, alinéas 3 et 4), l’action interrogatoire en matière de représentation (art. 1158) et l’action interrogatoire/en confirmation forcée en matière de nullités (art. 1183) sont applicables « dès l’entrée en vigueur de la présente ». Il faut comprendre par là que ces dispositions seront applicables à tous les contrats, passés comme futurs, à compter du 1er octobre 2016. Cette dérogation au principe de survie de la loi ancienne semble raisonnable dès lors que ces actions interrogatoires visent uniquement à renforcer la sécurité juridique des tiers ou des parties sans déjouer les prévisions initiales de celles-ci. On est ici dans une hypothèse d’application immédiate de la loi nouvelle aux contrats en cours et non dans une hypothèse de rétroactivité puisque les effets produits par les contrats avant le 1er octobre 2016 demeurent régis par la loi ancienne(5).

L’alinéa 4, enfin, précise que l’ordonnance ne s’applique pas aux instances en cours et aux instances introduites avant le 1er octobre 2016. Cet alinéa semble superfétatoire puisque l’alinéa 2 dispose que les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 demeurent régis par la loi ancienne… La seule hypothèse que pourrait viser cet alinéa est celle dans laquelle une action serait introduite avant le 1er octobre 2016 sur le fondement d’un contrat conclu avant le 1er octobre 2016 et pour laquelle l’une des actions interrogatoires visées à l’alinéa 3 serait exercée, en cours d’instance, après le 1er octobre… L’hypothèse semble hautement improbable.

La tentation de l’interprétation de la loi ancienne à la lumière de la loi nouvelle

En théorie, les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 resteront régis par la loi ancienne, hors exceptions visées à l’alinéa 3 de l’article 9 de l’ordonnance. En pratique, on peut se demander si la Cour de cassation ne sera pas tentée de faire évoluer subrepticement son interprétation du droit ancien pour l’aligner progressivement sur le droit nouveau.

Sur certains points le Gouvernement a souhaité « moderniser » le droit des contrats, par exemple en consacrant la cession de dettes. Sur d’autres, le Gouvernement a cherché à codifier à droit constant les solutions jurisprudentielles antérieures pour les rendre plus accessibles, notamment aux juristes étrangers dans l’éventualité d’une uniformisation future du droit des contrats à l’échelle européenne. Pourtant ce travail de codification ne s’effectue pas toujours « à droit constant » car la jurisprudence manquait de clarté sur de nombreuses questions. L’ordonnance opère donc des changements subtils, mais bien réels, du droit positif sur ces questions. Dès lors que ces changements subtils sont généralement motivés par une jurisprudence confuse, il est probable que la Cour de cassation clarifie sa jurisprudence, voire opère des revirements, en s’alignant, sans le dire, sur le texte de l’ordonnance. Cela ne me semblerait pas choquant et me semblerait même parfois opportun, à condition de ne pas opérer de revirements de jurisprudence… pour l’avenir !

Blague à part, il est par exemple acquis en jurisprudence que le pollicitant ne peut rétracter son offre avant l’écoulement du délai dont il l’a assortie, mais la sanction d’une rétractation irrégulière fait l’objet d’un vif débat doctrinal que la Cour de cassation n’a jamais clairement tranché à ce jour. Selon certains, la rétractation irrégulière de l’offre ne peut être sanctionnée que par l’attribution de dommages-intérêts ; pour d’autres, la sanction de l’irrégularité de la rétractation est son inefficacité : la rétractation est considérée comme inefficace et l’acceptation formulée après la rétractation de l’offre, mais avant l’expiration du délai dont elle était assortie, permet de former le contrat. Le nouvel article 1116 du Code civil, introduit par l’ordonnance, dispose en son alinéa 2 que « La rétractation de l’offre en violation de cette interdiction empêche la conclusion du contrat. » Il serait étonnant que la Cour de cassation juge inefficaces les rétractations irrégulières effectuées avant le 1er octobre 2016… Elle va probablement profiter de l’ordonnance pour clarifier sa jurisprudence antérieure en jugeant que la rétractation irrégulière de l’offre, qu’elle soit faite avant ou après le 1er octobre 2016, entraîne la caducité de l’offre et engage simplement la responsabilité de son auteur.

En revanche il est probable que la Cour de cassation ne fasse pas évoluer son interprétation du droit antérieur sur d’autres points, même si elle diverge du droit nouveau. Je pense essentiellement à la jurisprudence Cruz sur la rétractation de la promesse unilatérale de vente. La Cour de cassation a maintenu cette jurisprudence depuis 1993 malgré des critiques doctrinales extrêmement virulentes, il est donc probable que les rétractations de PUV conclues avant le 1er octobre 2016 demeurent efficaces, empêchant le bénéficiaire de la PUV de lever efficacement l’option postérieurement à la rétractation irrégulière. Seules les PUV conclues après le 1er octobre 2016 ne pourront plus être efficacement rétractées avant l’expiration du délai d’option (article 1124, alinéa 2, introduit par l’ordonnance).

La ratification éventuelle de l’ordonnance

L’article 38, alinéa 2, de la Constitution prévoit que les ordonnances « entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation ». Le texte contient une subtilité, souvent exploitée sous la Ve République, qui permet au Gouvernement d’assurer l’efficacité de son ordonnance sans avoir à obtenir sa ratification par le Parlement. L’ordonnance ne devient en effet caduque que si elle n’est pas déposée au Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation, mais la Constitution ne prévoit aucun délai pour sa ratification. Le Gouvernement ayant une large maitrise de l’ordre du jour des assemblées (c’est un peu moins vrai depuis la révision constitutionnelle de 1995 qui a créé une « niche parlementaire »(6)), il peut s’arranger pour que la question de la ratification ne soit jamais débattue au Parlement.

Dès lors, trois hypothèses sont désormais possibles :

Première hypothèse, la ratification de l’ordonnance n’est jamais débattue au Parlement. Dans ce cas l’ordonnance entrera néanmoins en vigueur le 1er octobre 2016, mais aura une valeur réglementaire. En pratique cela signifie que le Conseil constitutionnel ne pourra pas contrôler la constitutionnalité de l’ordonnance, y compris dans le cadre d’une QPC, mais le Conseil d’Etat sera compétent pour contrôler à la fois sa légalité(7) et sa constitutionnalité(8).

Seconde hypothèse, le Parlement ratifie l’ordonnance, dans ce cas elle acquiert une valeur légale : la loi de ratification pourra être contrôlée par le Conseil constitutionnel. Dans cette hypothèse le Parlement aura la possibilité de modifier l’ordonnance en la ratifiant.

Troisième hypothèse, le Parlement refuse de ratifier l’ordonnance, elle deviendrait alors caduque.

La Garde des Sceaux de l’époque, Mme Taubira, avait annoncé lors des débats sur la loi d’habilitation que l’ordonnance serait soumise à la ratification dans les six mois de sa publication afin que les parlementaires puissent l’amender. Il faut toutefois noter que Mme Taubira a quitté ses fonctions récemment et que les attentats de janvier et novembre 2015 ont eu lieu depuis. Le Gouvernement et le Parlement semblant enlisés dans le débat sur la révision constitutionnelle, il n’est pas certain que la promesse puisse être tenue. Si l’ordonnance peut être débattue au Parlement, il est très peu probable que celui-ci refuse de la ratifier, ce cas de figure ne se produisant jamais(9).

Notes de bas de page :
  1. Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, G. Cornu (dir.), 10e éd., PUF, 2014, v° « vigueur ». []
  2. Cass. civ. 3e, 3 juill. 1979, n° 77-15.552. Ce principe a encore été rappelé récemment par la Cour de cassation : Cass. civ. 1re, 12 juin 2013, n° 12-15.688. []
  3. Si le législateur peut déroger à l’article 2 du Code civil, il y a en revanche des limites constitutionnelles et conventionnelles (essentiellement la Convention EDH) de plus en plus importantes à la rétroactivité de la loi. []
  4. Par « effet légal du contrat » il faut entendre « effet attaché par la loi au contrat », c’est-à-dire un effet que le contrat produit indépendamment de la volonté de ses parties. La Cour de cassation a par exemple jugé en 1981 que l’action directe consacrée par la loi nouvelle en matière de sous-traitance était un effet attaché par la loi au contrat et non un effet contractuel stricto sensu et en a conclu que les dispositions de la loi nouvelle relatives à l’action directe devaient s’appliquer immédiatement aux contrats en cours : Cass. ch. mixte, 13 mars 1981, n° 80-12.125. []
  5. Une action interrogatoire exercée avant le 1er octobre 2016 ne produirait donc aucun effet. []
  6. V. le pénultième alinéa de l’article 48 de la Constitution. []
  7. CE, 12 févr. 1960, Société Eky. []
  8. Cons. constit., déc. n° 2011-219 QPC du 10 févr. 2012, Patrick E. []
  9. M. Verpeaux, Droit constitutionnel français, 2e éd., PUF, 2015, p. 571-572, n° 333. Les deux décisions précitées sont extraites de cet ouvrage. []

La Constitution ne s’oppose pas à une réforme du droit des contrats par voie d’ordonnance

Au lendemain de l’adoption du projet de loi de modernisation et de simplification du droit en lecture définitive par l’Assemblée nationale, soixante sénateurs avaient saisi le Conseil constitutionnel. Ce dernier vient de publier sa décision(1) et, avec elle, l’acte de saisine(2) : étrangement celui-ci ne porte que sur l’article 8 du projet de loi habilitant le Gouvernement à réformer le droit des contrats par voie d’ordonnance, à l’exclusion donc de l’article 2 relatif au statut juridique de l’animal auquel le Sénat s’était pourtant opposé. L’acte de saisine était visiblement dans les cartons avant même que l’Assemblée nationale n’adopte le texte en lecture définitive, preuve qu’il n’y avait guère de doute sur l’issue de la procédure législative, puisque la saisine vise « l’article 3 » du projet de loi alors que celui-ci a entre temps été renuméroté, il s’agit désormais de l’article 8.

Entrée du Conseil constitutionnel

Dans une décision relativement laconique, le Conseil constitutionnel rejette sans grande surprise les deux principaux griefs formulés par les sénateurs.

La « Constitution civile de la France » peut être réformée par voie d’ordonnance

Le premier grief est connu puisque répété inlassablement au cours des débats parlementaires : l’habilitation « donnée au Gouvernement pour modifier par voie d’ordonnance le livre III du code civil excède, en raison de son ampleur et de l’importance que revêt dans l’ordre juridique le droit des contrats et des obligations, les limites qui résultent de l’article 38 de la Constitution en matière de recours aux ordonnances »(3).

Les requérants ont beau convoquer dans leur saisine le doyen Carbonnier qui qualifiait le Code civil de « Constitution civile de la France », le Conseil constitutionnel rappelle que « l’article 34 de la Constitution place les principes fondamentaux des obligations civiles dans le domaine de la loi »(4).  Le droit des contrats peut donc être réformé par voie d’ordonnance dès lors qu’aucune norme du bloc de constitutionnalité n’interdit le recours aux ordonnances pour modifier les dispositions du Code civil, fut-ce la totalité de celles relatives au droit des obligations. Autrement dit le Code civil, quelle que puisse être l’aura dont il jouit, et le droit des contrats, quelle que puisse être son importance pratique, n’ont pas une place à part dans la hiérarchie des normes et leurs dispositions légales peuvent être modifiées suivant les procédures applicables à n’importe quelle autre norme légale. Le grief est ainsi balayé par le Conseil.

La saisine ajoute : « Les requérants ne peuvent accepter le choix de la voie réglementaire qui ne peut être fait au détriment des principes constitutionnels. » Quels sont ces « principes constitutionnels » qui seraient violés ? La saisine reste très évasive sur ce point et se contente de suggérer que l’habilitation ne serait pas circonscrite avec suffisamment de précisions.

Le Conseil constitutionnel rappelle que l’article 38 de la Constitution « fait obligation au Gouvernement d’indiquer avec précision au Parlement, afin de justifier la demande qu’il présente, la finalité des mesures qu’il se propose de prendre par voie d’ordonnances ainsi que leur domaine d’intervention »(5), mais juge que cette obligation a bien été respectée en l’espèce.

Le second grief est davantage surprenant.

L’éventualité d’une modification de l’ordonnance à l’occasion de sa ratification ne porte pas atteinte à la sécurité juridique

Pour contenter les sénateurs qui s’opposaient à une réforme du droit des contrats par voie d’ordonnance, la Garde des sceaux s’est engagée à déposer un projet de loi dédié à la ratification de cette ordonnance afin que les parlementaires puissent, comme ils le souhaitaient, débattre du fond et, le cas échéant, proposer des modifications.

Paradoxalement les sénateurs se sont appuyés sur cette possibilité d’une modification de l’ordonnance à l’occasion de sa ratification pour plaider l’inconstitutionnalité de la loi d’habilitation. Il est vrai qu’un tel mécanisme conduirait à voir se succéder, dans un court laps de temps, deux régimes juridiques nouveaux dans un domaine, le droit des contrats, où la sécurité juridique est une préoccupation majeure. L’article 38, alinéa 2, de la Constitution prévoit en effet que les ordonnances entrent en vigueur dès leur publication, avant même leur ratification. Le droit commun des contrats sera donc modifié une première fois par l’ordonnance puis, potentiellement, une seconde fois peu après par le biais d’amendements apportés au projet de loi de ratification.

Cependant ce phénomène est inhérent au mécanisme de l’ordonnance et plus généralement à la procédure législative. Ce que le législateur a fait hier, il est toujours libre de le défaire le lendemain. La loi d’habilitation ne porte pas atteinte en elle-même à la sécurité juridique car elle ne modifie aucune norme. Seule l’ordonnance ou la loi de ratification seront susceptibles de porter atteinte à la sécurité juridique, et le Conseil constitutionnel rappelle à cet égard qu’il existe des garde-fous : « si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit, c’est à la condition de poursuivre un but d’intérêt général suffisant et de respecter tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions ; (…) le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 »(6).

Ces principes s’imposeront au Gouvernement lorsqu’il adoptera son ordonnance(7) et au Parlement s’il choisit d’en modifier les dispositions, mais la loi d’habilitation en elle-même ne les méconnaît pas. Ce second grief est donc également rejeté et la loi peut désormais être promulguée.

Notes de bas de page :
  1. Décision n° 2015-710 DC du 12 février 2015, Loi relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. []
  2. L’acte de saisine n’est en effet publié qu’une fois que le Conseil constitutionnel a rendu sa décision : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2015/2015-710-dc/saisine-par-60-senateurs.143273.html. []
  3. Considérant 4. []
  4. Considérant 5. []
  5. Considérant 4. []
  6. Considérant 6. []
  7. L’article 2 du Code civil s’imposera également au Gouvernement dès lors que l’ordonnance, tant qu’elle n’est pas ratifiée, est inférieure à la loi dans la hiérarchie des normes et dès lors que la loi d’habilitation ne permet pas au Gouvernement d’adopter des dispositions rétroactives par dérogation à l’article 2 du Code civil. Le Gouvernement a indiqué dans ses observations lors de la saisine du Conseil constitutionnel qu’il n’avait aucunement l’intention d’adopter des dispositions rétroactives. []

Les obligations du propriétaire et du locataire relatives aux détecteurs de fumée

L’installation de détecteurs de fumée dans les immeubles à usage d’habitation sera rendue obligatoire à compter du 8 mars 2015(1). Des informations parfois erronées ou approximatives circulent sur la nature des obligations respectives du propriétaire et de l’éventuel locataire. Les professionnels de l’immobilier ne sont en effet pas toujours bien renseignés et certains entrepreneurs peu scrupuleux jouent sur les mots lorsqu’ils démarchent de nouveaux clients. Par ailleurs, aussi surprenant que cela puisse paraître, ces obligations légales ne sont pour l’instant assorties d’aucune sanction spécifique ! Je vais donc revenir sur ces différents points en prenant soin de citer systématiquement les textes de loi et décrets applicables, ce qui permettra à chacun de vérifier les informations communiquées en remontant à leurs sources(2).

Détecteur de fumée alerte incendie

Les obligations respectives du propriétaire et de l’occupant après le 8 mars 2015

Ces obligations sont définies à l’alinéa 1er de l’article L129-8 du Code de la construction et de l’habitation qui entrera en vigueur le 10 mars 2015 :

« Le propriétaire d’un logement installe dans celui-ci au moins un détecteur de fumée normalisé et s’assure, si le logement est mis en location, de son bon fonctionnement lors de l’établissement de l’état des lieux mentionné à l’article 3-2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986. L’occupant d’un logement, qu’il soit locataire ou propriétaire, veille à l’entretien et au bon fonctionnement de ce dispositif et assure son renouvellement, si nécessaire, tant qu’il occupe le logement. »

La loi impose donc d’installer un détecteur de fumée dans tous les immeubles à usage d’habitation, qu’ils soient loués ou non.

Lorsque le propriétaire occupe le logement, c’est-à-dire lorsque le propriétaire et l’occupant sont une seule et même personne, alors la situation est simple : il incombe au propriétaire-occupant d’acheter, d’installer et de s’assurer du bon fonctionnement du détecteur de fumée. L’article L129-8 précité dispose qu’il doit y avoir au moins un détecteur par logement, et c’est tout ! Certains entrepreneurs vous diront qu’il en faut au moins un par étage, c’est faux. Les différents sites Internet gouvernementaux recommandent d’installer au moins un détecteur par étage(3), il ne s’agit que d’une recommandation, le propriétaire n’est légalement tenu d’installer qu’un seul détecteur par logement.

Lorsque le propriétaire loue ou prête son immeuble, alors le propriétaire est légalement obligé de délivrer un logement équipé d’un détecteur de fumée en état de fonctionnement. On veillera à ce que cela soit bien mentionné dans l’état des lieux d’entrée, cela permettra au propriétaire de prouver qu’il a bien exécuté son obligation légale et d’exiger du locataire, lorsque le bail prendra fin, de restituer le logement avec un détecteur de fumée en état de fonctionnement. Une fois l’occupant installé dans les lieux, la loi lui impose en effet d’entretenir le détecteur de fumée (concrètement, d’en changer les piles) et même de le remplacer si celui-ci ne fonctionne plus ! Pendant la durée du contrat de bail, ce n’est pas au propriétaire-bailleur de remplacer les piles du détecteur de fumée ou de remplacer le détecteur de fumée s’il tombe en panne. Le locataire devra donc, au terme du contrat de bail, restituer le logement avec un détecteur de fumée en état de fonctionnement, à défaut cela pourra être constaté dans l’état des lieux de sortie et la somme nécessaire au remplacement des piles ou du détecteur pourra être déduite de l’éventuel dépôt de garantie.

L’obligation d’entretenir le détecteur de fumée et de le remplacer s’il ne fonctionne plus incombe exceptionnellement au propriétaire et non au locataire dans certains cas de figure : les locations saisonnières, les foyers, les logements de fonction et les locations meublées(4).

Le propriétaire n’a pas à installer le détecteur si le logement est loué le 8 mars 2015

Si le logement fait l’objet d’un contrat de bail en cours lorsque la loi entre en vigueur le 8 mars 2015, alors le propriétaire sera dispensé de l’obligation d’installation du détecteur de fumée. Il devra néanmoins soit fournir un détecteur de fumée au locataire, soit lui rembourser le prix d’achat du détecteur de fumée. L’installation sera en revanche à la charge du locataire. C’est l’article 3 III de la loi du 24 mars 2014(5) qui prévoit cela :

« Pour les logements occupés par un locataire au moment de l’entrée en vigueur de l’article 1er de la loi n° 2010-238 du 9 mars 2010 visant à rendre obligatoire l’installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d’habitation, l’obligation d’installation faite au propriétaire est satisfaite par la fourniture d’un détecteur à son locataire ou, s’il le souhaite, par le remboursement au locataire de l’achat du détecteur. »

L’état des lieux d’entrée ayant déjà été rédigé, il est vivement conseillé au propriétaire de se ménager une preuve de la fourniture du détecteur en faisant signer au locataire un document attestant de celle-ci. Par exemple :

Je soussigné <nom et prénom du locataire>, locataire de l’appartement sis au <adresse du logement>, reconnais avoir reçu ce jour, de la part du bailleur, un (1) détecteur de fumée normalisé conforme à la norme NF EN 14604.

Fait à <ville>, le <date>

<signature du locataire>

Il n’y a aucune obligation de recourir à un entrepreneur pour l’installation

La loi n’oblige aucunement de recourir à un professionnel pour procéder à l’installation du détecteur de fumée. Le propriétaire ou le locataire, selon celui sur lequel pèse l’obligation d’installation, peut procéder lui-même à l’installation. Cela est d’ailleurs relativement simple en pratique car il suffit d’une perceuse, de deux vis et de deux chevilles. Il existe même des kits d’installation à base d’adhésifs pour ceux qui ne veulent pas avoir à percer le plafond.

Certains entrepreneurs peuvent tenter d’induire en erreur leurs clients en jouant sur la notion d’attestation mentionnée dans les textes. Le troisième alinéa de l’article L129-8 du Code de la construction et de l’habitation dispose en effet que « L’occupant du logement notifie cette installation à l’assureur avec lequel il a conclu un contrat garantissant les dommages d’incendie » et l’alinéa 1er de l’article R129-15 du même code précise que « La notification prévue au troisième alinéa du L. 129-8 se fait par la remise d’une attestation à l’assureur avec lequel il a conclu un contrat garantissant les dommages d’incendie (…) ».

Mais cette attestation n’a absolument pas à être établie par un professionnel ! Pour preuve, l’arrêté du 13 mars 2014(6) propose en annexe un modèle d’attestation que chacun peut reprendre et envoyer à son assureur :

« Je soussigné
(nom, prénom de l’assuré), détenteur du contrat n°
(numéro du contrat de l’assuré) atteste avoir installé un détecteur de fumée normalisé au
(adresse de l’assuré) conforme à la norme NF EN 14604. »

Ces obligations légales ne sont pour l’instant assorties d’aucune sanction spécifique

De l’aveu même des sites gouvernementaux, « aucune sanction n’est actuellement prévue par la réglementation en cas de non installation du détecteur de fumée »(7).

Ainsi, selon l’article L113-11 du Code des assurances, « Sont nulles (…) 3° Toutes clauses frappant de déchéance l’assuré en cas de non-respect des dispositions prévues aux articles L. 129-8 et L. 129-9 du code de la construction et de l’habitation. » L’assureur ne pourra donc pas refuser d’indemniser l’assuré en cas d’incendie au motif que celui-ci n’avait pas installé de détecteur de fumée. L’article L122-9 du même code énonce par ailleurs que l’assureur peut prévoir une minoration de la prime d’assurance lorsqu’un détecteur de fumée est installé dans le logement, mais ce n’est pas une obligation pour l’assureur.

Il faut toutefois rester prudent, car même si les textes ne prévoient aucune sanction spécifique il existe en droit français des mécanismes généraux qui pourraient permettre au preneur, aux victimes ou à leurs assureurs de se retourner contre celui qui n’a pas exécuté ses obligations légales. Il n’est pas exclu qu’une jurisprudence se développe sur la base de textes généraux pour sanctionner les propriétaires et les occupants n’ayant pas satisfait à leurs obligations légales en matière d’installation, d’entretien et de remplacement des détecteurs de fumée.

Il y a tout d’abord la responsabilité civile délictuelle qui repose en matière d’incendie sur un texte spécial, l’article 1384, alinéa 2, du Code civil :

« Toutefois, celui qui détient, à un titre quelconque, tout ou partie de l’immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable, vis-à-vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s’il est prouvé qu’il doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable. »

Le « détenteur » de l’immeuble (le propriétaire ou le locataire selon les cas) sera donc responsable des dommages causés à des tiers si deux conditions sont réunies : s’il a commis une faute et si cette faute a causé les préjudices subis par les tiers (proches hébergés dans le logement, voisins, etc.).

La notion de faute est entendue très largement en droit français, tout comportement est considéré comme fautif dès lors qu’une personne normalement prudente et diligente (le standard du « bon père de famille ») aurait agi différemment si elle avait été placée dans la même situation que celle du responsable. Ainsi toute violation d’une obligation légale est en principe considérée comme une faute, car une personne normalement prudente et diligente ne viole pas la loi. Le fait de ne pas installer, entretenir ou remplacer le détecteur de fumée alors qu’on y est légalement obligé est donc bien constitutif d’une faute civile(8).

En ce qui concerne le lien de causalité entre la faute et le préjudice, il est facilement envisageable : si la présence d’un détecteur de fumée en état de fonctionnement n’aurait pas permis avec certitude d’éviter le dommage, elle aurait au moins donné une chance supplémentaire de l’éviter en stoppant le début d’incendie avant qu’il ne se propage. Or la perte de chance est un préjudice réparable en droit français.

Peu importe par ailleurs que l’incendie n’ait pas été causé par l’occupant du logement du moment que l’absence de détecteur de fumée a fait perdre une chance d’éviter la propagation de cet incendie. La Cour de cassation a ainsi déjà jugé que « la responsabilité de celui qui détient à un titre quelconque tout ou partie de l’immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels l’incendie a pris naissance est engagée vis-à-vis des tiers victimes des dommages causés par cet incendie dès lors qu’il est prouvé que soit la naissance dudit incendie soit son aggravation ou son extension doivent être attribuées à sa faute ou à celle des personnes dont il est responsable »(9).

Le raisonnement est rigoureusement identique pour le propriétaire qui aurait mis son immeuble en location et qui n’aurait pas installé de détecteur de fumée dans le logement. Certes, le propriétaire ne peut pas être considéré comme « détenteur » de l’immeuble car il ne l’occupe pas, sa responsabilité ne peut donc pas être engagée sur le fondement de l’article 1384, alinéa 2, du Code civil. Mais sa responsabilité pourrait alors être engagée sur le fondement de l’article 1382 du Code civil qui exige des conditions identiques : une faute du responsable, un préjudice subi par la victime, et un lien de causalité entre la faute et le préjudice. Le fait de ne pas avoir respecté l’obligation légale qui impose l’installation d’un détecteur de fumée est bien une faute et en cas d’incendie cette faute aura fait perdre une chance d’éviter le dommage.

Enfin, nous avons pour l’instant envisagé l’action d’un tiers-victime contre le locataire ou le propriétaire n’ayant pas exécuté ses obligations légales, mais une action du locataire dirigée contre le propriétaire est également envisageable. L’article 1719 du Code civil oblige en effet le bailleur à délivrer un logement décent au preneur. La Cour de cassation pourrait considérer que la délivrance d’un logement non équipé d’un détecteur de fumée, alors qu’il s’agit d’une obligation légale, soit constitutif d’une violation de l’obligation de délivrance du contrat de bail. Le locataire pourrait alors intenter une action de nature contractuelle contre le bailleur soit pour le contraindre à installer un détecteur de fumée (action en exécution forcée), soit pour demander la réparation de la perte de chance subie en cas d’incendie (action en responsabilité contractuelle qui pourrait également être exercée par l’assureur du locataire si celui-ci a déjà indemnisé la victime).

Tout cela est bien sur hypothétique car aucune jurisprudence n’a encore eu le temps de se développer sur la base de ces textes qui ne sont pas encore entrés en vigueur, mais il s’agit d’éventualités qui ne sont pas à exclure. Je ne saurais donc que conseiller à chacun, propriétaire comme locataires, de respecter les obligations légales qui lui incombent en la matière et que j’ai rappelées dans ce billet.

Notes de bas de page :
  1. Article 5, I de la loi n° 2010-238 du 9 mars 2010 visant à rendre obligatoire l’installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d’habitation (NOR LOGX0508798L) et article 3 du décret n° 2011-36 du 10 janvier 2011 relatif à l’installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d’habitation (NOR DEVL1022270D). []
  2. Pour consulter une loi, un décret ou un arrêté il suffit de saisir son numéro « NOR », que j’indique systématiquement en note de bas de page, dans la case correspondante du formulaire de recherche du site Legifrance. Pour consulter les articles du Code de la construction et de l’habitation, il suffit d’utiliser ce lien qui contient la version du code au 10 mars 2015. []
  3. Les sites du Ministère de l’intérieur et du Ministère du logement et le site service-public.fr utilisent bien le terme « recommandé ». []
  4. Article L129-8, alinéa 2, du Code de la construction et de l’habitation. []
  5. Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (NOR ETLX1313501L). []
  6. Annexe 2 de l’arrêté du 5 février 2013 relatif à l’application des articles R. 129-12 à R. 129-15 du code de la construction et de l’habitation (NOR ETLL1126574A). []
  7. Site du Ministère de l’intérieur et site service-public.fr. []
  8. Encore faut-il que la victime parvienne à prouver cette faute, ce qui est quasiment impossible si la faute incombe au locataire et consiste à ne pas avoir remplacé les piles usagées du détecteur de fumée ou à ne pas avoir remplacé un détecteur défectueux. En effet, comment prouver, une fois que le détecteur a été détruit dans l’incendie, que celui-ci n’était pas en état de fonctionnement au moment de l’incendie ? []
  9. Civ. 3e, 31 mai 1976, Bull civ. III, n° 236, p. 182, n° 75-11.095. []

Le Gouvernement habilité à réformer le droit des contrats par ordonnance

Le débat parlementaire sur l’opportunité de procéder à une réforme du droit des contrats par voie d’ordonnance vient enfin de connaître son épilogue. Alors même que le Gouvernement avait engagé la procédure accélérée, il aura fallu plus d’un an pour que le projet de loi soit adopté, en raison d’une opposition ferme du Sénat à une réforme substantielle du Code civil par voie d’ordonnance.

Hémicycle Assemblée nationale

Dès la première lecture du texte, une opposition de principe irréductible entre le Sénat et l’Assemblée nationale s’est faite jour. Alors que chacun reconnaissait la nécessité d’une réforme du droit des contrats, notamment pour rendre plus lisible un droit qui est aujourd’hui essentiellement jurisprudentiel, les sénateurs souhaitaient que le fond de la réforme soit discuté au Parlement, ce que le recours aux ordonnances ne permettait pas. Les députés, tout en reconnaissant le caractère souhaitable d’un débat parlementaire dans un monde idéal, ont adopté une position « réaliste », celle qui était défendue par le Gouvernement. Ce dernier agitait la menace d’un renvoi de la réforme aux calendes grecques si une loi d’habilitation n’était pas votée. L’ordre du jour des deux assemblées est en effet souvent chargé et c’est peu dire que l’expectative d’une réforme du droit des contrats ne déchaîne pas les passions en dehors de la petite sphère juridique. On se souvient que la précédente majorité avait fini par abandonner l’idée d’une réforme du droit des contrats pour ces mêmes raisons, la menace était donc bien réelle.

Le suspense n’aura donc pas été ménagé bien longtemps puisque l’on sait que l’article 45 de la Constitution permet au Gouvernement de donner le dernier mot à l’Assemblée nationale en cas d’opposition persistante entre les deux chambres. Les constituants estimaient en effet que l’Assemblée nationale avait une légitimité démocratique plus importante de par l’élection de ses membres au suffrage universel direct.

Après la première lecture du projet de loi par chacune des deux chambres, une commission mixte paritaire s’est réunie et s’est soldée par un constat d’échec au bout de quelques minutes seulement de discussion. Le texte est ensuite passé en nouvelle lecture devant l’Assemblée nationale et le Sénat. Chacun campant sur ses positions, le Gouvernement a donné le dernier mot à la chambre basse, et ce qui était annoncé depuis plusieurs mois a finalement eu lieu, celle-ci a adopté le texte en lecture définitive hier après-midi. Etrange spectacle que celui d’une démocratie parlementaire dont les acteurs égrènent avec une implacable prévisibilité les différentes étapes d’une procédure législative laborieuse dont l’issue est déjà connue de tous. C’est pourtant le propre de toute démocratie que d’imposer un strict respect de la procédure législative, quelle que prévisible puisse en être l’issue.

Le Sénat, sachant que la réforme se ferait par voie d’ordonnance avec ou sans sa bénédiction, a eu beau jeu de camper sur sa position de principe

Paradoxalement le fait que l’issue de la procédure soit déterminée dès la première lecture du texte par les deux chambres a probablement renforcé le Sénat dans sa position de principe puisque le jeu était devenu sans enjeu. Les députés, eux aussi, auraient souhaité un débat parlementaire sur le fond du texte, mais ils ont choisi de sacrifier cet idéal pour ne pas porter la responsabilité de l’échec d’une réforme qu’ils jugeaient souhaitable. Ce compromis des députés a sans doute permis de sauver la réforme. L’enjeu était tout autre pour le Sénat qui savait que la réforme se ferait par ordonnance avec ou sans sa bénédiction, par le jeu de l’article 45 de la Constitution. Dès lors, à quoi bon se compromettre ? Les sénateurs ont ainsi eu beau jeu de s’afficher comme les défenseurs intransigeants de la démocratie parlementaire tout en sachant pertinemment que la réforme se ferait de toute façon par voie d’ordonnance et qu’ils n’auraient donc pas à supporter la responsabilité d’un échec de la réforme.

L’article 3 du projet de loi contenant l’habilitation du Gouvernement à réformer le droit des contrats par voie d’ordonnance est devenu l’article 8 dans le texte de loi définitif. Les contours de l’habilitation sont définis avec précision par cette disposition, ce qui n’est guère surprenant puisque la Chancellerie dispose déjà d’un projet d’ordonnance bien ficelé dont une version circule sur Internet de façon officieuse depuis de nombreux mois. Ce projet d’ordonnance a lui-même été alimenté par une importante réflexion préalable à laquelle ont participé de nombreux universitaires (avant-projet Catala et projet Terré notamment) et des magistrats de la Cour de cassation. La Chancellerie avait également rédigé divers projets sous l’ancien Gouvernement.

Article 8 :

Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour modifier la structure et le contenu du livre III du code civil, afin de moderniser, de simplifier, d’améliorer la lisibilité, de renforcer l’accessibilité du droit commun des contrats, du régime des obligations et du droit de la preuve, de garantir la sécurité juridique et l’efficacité de la norme et, à cette fin :

1° Affirmer les principes généraux du droit des contrats tels que la bonne foi et la liberté contractuelle ; énumérer et définir les principales catégories de contrats ; préciser les règles relatives au processus de conclusion du contrat, y compris conclu par voie électronique, afin de clarifier les dispositions applicables en matière de négociation, d’offre et d’acceptation de contrat, notamment s’agissant de sa date et du lieu de sa formation, de promesse de contrat et de pacte de préférence ;

2° Simplifier les règles applicables aux conditions de validité du contrat, qui comprennent celles relatives au consentement, à la capacité, à la représentation et au contenu du contrat, en consacrant en particulier le devoir d’information et la notion de clause abusive et en introduisant des dispositions permettant de sanctionner le comportement d’une partie qui abuse de la situation de faiblesse de l’autre ;

3° Affirmer le principe du consensualisme et présenter ses exceptions, en indiquant les principales règles applicables à la forme du contrat ;

4° Clarifier les règles relatives à la nullité et à la caducité, qui sanctionnent les conditions de validité et de forme du contrat ;

5° Clarifier les dispositions relatives à l’interprétation du contrat et spécifier celles qui sont propres aux contrats d’adhésion ;

6° Préciser les règles relatives aux effets du contrat entre les parties et à l’égard des tiers, en consacrant la possibilité pour celles-ci d’adapter leur contrat en cas de changement imprévisible de circonstances ;

7° Clarifier les règles relatives à la durée du contrat ;

8° Regrouper les règles applicables à l’inexécution du contrat et introduire la possibilité d’une résolution unilatérale par notification ;

9° Moderniser les règles applicables à la gestion d’affaires et au paiement de l’indu et consacrer la notion d’enrichissement sans cause ;

10° Introduire un régime général des obligations et clarifier et moderniser ses règles ; préciser en particulier celles relatives aux différentes modalités de l’obligation, en distinguant les obligations conditionnelles, à terme, cumulatives, alternatives, facultatives, solidaires et à prestation indivisible ; adapter les règles du paiement et expliciter les règles applicables aux autres formes d’extinction de l’obligation résultant de la remise de dette, de la compensation et de la confusion ;

11° Regrouper l’ensemble des opérations destinées à modifier le rapport d’obligation ; consacrer, dans les principales actions ouvertes au créancier, les actions directes en paiement prévues par la loi ; moderniser les règles relatives à la cession de créance, à la novation et à la délégation ; consacrer la cession de dette et la cession de contrat ; préciser les règles applicables aux restitutions, notamment en cas d’anéantissement du contrat ;

12° Clarifier et simplifier l’ensemble des règles applicables à la preuve des obligations ; en conséquence, énoncer d’abord celles relatives à la charge de la preuve, aux présomptions légales, à l’autorité de chose jugée, aux conventions sur la preuve et à l’admission de la preuve ; préciser, ensuite, les conditions d’admissibilité des modes de preuve des faits et des actes juridiques ; détailler, enfin, les régimes applicables aux différents modes de preuve ;

13° Aménager et modifier toutes dispositions de nature législative permettant d’assurer la mise en œuvre et de tirer les conséquences des modifications apportées en application des 1° à 12°.

Le Gouvernement a désormais douze mois pour publier l’ordonnance (article 27, 3°). Le texte étant vraisemblablement déjà prêt, une publication rapide n’est pas à exclure. La réforme ne sera alors peut-être pas achevée pour autant puisque Mme Taubira s’est engagée au cours des débats à déposer un projet de loi de ratification dédié à cette ordonnance afin de permettre aux parlementaires d’apporter des modifications au texte.

La loi de modernisation et de simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures – c’est son nom… – contient bien sûr d’autres dispositions sur des sujets très divers, elles peuvent être consultées sur le site de l’Assemblée nationale. Je mentionnerai uniquement, puisque je l’ai déjà évoqué à plusieurs reprises sur ce blog, l’article 2 de la loi (ancien article 1er bis du projet de loi) relatif au statut juridique de l’animal. D’abord introduit dans la loi par l’amendement Glavany, puis retiré par le Sénat la semaine dernière lors de l’examen du texte en nouvelle lecture, il a finalement été adopté en lecture finale par l’Assemblée nationale. Il sera intéressant de voir si le Conseil constitutionnel sera saisi sur ce point, nul doute que le lobby agricole fera pression en ce sens. Les griefs d’absence de normativité et de cavalier législatif ont notamment été évoqués au cours des débats parlementaires contre cette disposition. La marge de manœuvre politique du Conseil constitutionnel serait toutefois limitée, car on imagine déjà les gros titres de la presse généraliste : « Le Conseil constitutionnel interdit au législateur de considérer l’animal comme un être vivant doué de sensibilité »…

Mise à jour du 30/01/2015 : comme pressenti la saisine du Conseil constitutionnel par 60 sénateurs n’aura pas tardé, elle a eu lieu hier, soit le lendemain de l’adoption définitive du projet de loi par l’Assemblée nationale. Les griefs porteront très vraisemblablement sur les articles 2 (statut juridique de l’animal) et 8 (réforme du droit des contrats par ordonnance) évoqués dans ce billet puisque les sénateurs se sont opposés à ces deux dispositions lors de l’examen du projet de loi.

Mise à jour du 12/02/2015 : le Conseil constitutionnel vient de rendre sa décision.

En bref : la commission des lois du Sénat supprime les articles 1er bis et 3 du projet de loi de modernisation et simplification du droit

Le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures cristallise les divergences de points de vue entre le Sénat et l’Assemblée nationale. Suite à l’échec de la commission mixte paritaire et du passage du projet de loi devant l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, la commission des lois du Sénat a rendu sa version amendée du texte hier soir.

Commission des lois du Sénat

Crédit : Photo Sénat © Sénat

Sans surprise, le Sénat continue de s’opposer à une réforme du droit des contrats par voie d’ordonnance et a derechef supprimé l’article 3 du projet de loi qui habilitait le Gouvernement à cette fin(1).

Mais la commission des lois du Sénat s’oppose également à l’Assemblée nationale sur l’amendement Glavany qui a pour objet de « reconnaître à l’animal dans le code civil la qualité d’être vivant doué de sensibilité ». Pour ce faire, les références à sa nature de bien meuble par nature ou de bien immeuble par destination seraient supprimées du Code civil, en précisant néanmoins que l’animal resterait soumis au « régime des biens ». Le nouvel article 1er bis, introduit à cette fin dans le projet de loi par l’amendement Glavany, a purement et simplement été supprimé par la commission des lois du Sénat(2).

Les arguments qui motivent cette suppression ne sont pas nouveaux

Les arguments qui motivent cette suppression ne sont pas nouveaux et sont triples, je les avais déjà évoqués dans mes précédents billets : il s’agirait d’un cavalier législatif ; le texte serait dépourvu de portée normative et enfin la réflexion sur ce nouveau statut de l’animal aurait été insuffisante (on voit clairement transparaître les inquiétudes du lobby agricole dans ce dernier argument).

« Cet amendement supprime l’article 1er bis qui prévoit une reconnaissance de la spécificité des animaux dans le code civil.

Introduit en première lecture à l’Assemblée nationale par l’adoption d’un amendement en séance publique, cet article est dépourvu de lien, même indirect, avec les dispositions du projet de loi initial. L’article 1er bis est, à ce titre, contraire à l’article 45 de la Constitution.

Sur le fond ensuite, la notion d’« êtres vivants doués de sensibilité » est ici purement symbolique et n’a pas de portée normative.

Enfin, si le code civil devait évoluer pour prévoir un nouveau statut de l’animal, cela ne pourrait se faire sans une réflexion globale sur le droit des biens. Or, une telle réflexion n’a pu être menée au détour de ce texte, le Sénat examinant pour la première fois, en nouvelle lecture, cette disposition. »(3)

Le texte sera examiné en séance publique le 22 janvier 2015 à 9h30. Si l’opposition entre le Sénat et l’Assemblée nationale se confirme, le Gouvernement donnera probablement le dernier mot à l’Assemblée nationale comme le lui permet la Constitution.

Vous pouvez connaître l’historique de ce projet de loi, qui a été déposé par le Gouvernement il y a plus d’un an maintenant, en cliquant ici.

Mise à jour du 22/01/2015 : toujours sans surprise, le Sénat a adopté en nouvelle lecture le projet de loi dans sa version expurgée de ses articles 1er bis et 3 par la commission des lois.

Notes de bas de page :
  1. http://www.senat.fr/amendements/commissions/2014-2015/76/Amdt_COM-11.html. []
  2. http://www.senat.fr/amendements/commissions/2014-2015/76/Amdt_COM-4.html. []
  3. ibid. []

De la computation des alinéas d’un article

Comment compter le nombre d’alinéas que comporte une disposition légale, réglementaire ou constitutionnelle ? Comment déterminer le numéro d’un alinéa ? Ces questions peuvent paraître simples, mais elles le deviennent beaucoup moins en présence de textes qui contiennent des énumérations. Sauriez-vous par exemple déterminer le nombre d’alinéas que comporte l’article 524 du Code civil reproduit ci-dessous ?

Article 524 du Code civil :

Les animaux et les objets que le propriétaire d’un fonds y a placés pour le service et l’exploitation de ce fonds sont immeubles par destination.
Ainsi, sont immeubles par destination, quand ils ont été placés par le propriétaire pour le service et l’exploitation du fonds :
Les animaux attachés à la culture ;
Les ustensiles aratoires ;
Les semences données aux fermiers ou métayers ;
Les pigeons des colombiers ;
Les lapins des garennes ;
Les ruches à miel ;
Les poissons des eaux non visées à l’article 402 du code rural et des plans d’eau visés aux articles 432 et 433 du même code ;
Les pressoirs, chaudières, alambics, cuves et tonnes ;
Les ustensiles nécessaires à l’exploitation des forges, papeteries et autres usines ;
Les pailles et engrais.
Sont aussi immeubles par destination tous effets mobiliers que le propriétaire a attachés au fonds à perpétuelle demeure.

Computation des alinéas d'un article

Comme souvent en matière de grammaire ou de typographie, il n’y a pas une règle unique, simple et qui fasse l’unanimité, mais plutôt des règles multiples. Le Parlement et le Gouvernement ont en effet longtemps utilisé des méthodes de comptage différentes. Si les modes de calcul ont heureusement été harmonisés en 2000 (I), la divergence demeure dans les textes publiés antérieurement (II).

I) Le principe : un retour à la ligne = un nouvel alinéa

Le Parlement comme le Gouvernement ont aujourd’hui pour usage de compter comme un alinéa tout mot ou ensemble de mots qui commencent à la ligne, alors même qu’ils ne constituent pas, à eux seuls, une phrase, et quels que soient les signes de ponctuation dont ils sont précédés. Le Gouvernement, à la suite du Conseil d’Etat, s’est en effet aligné sur le mode de computation des deux chambres parlementaires par une circulaire du 20 novembre 2000(1).

La règle est donc aujourd’hui très simple : chaque retour à la ligne correspond à un nouvel alinéa. Ainsi, dans l’article 524 du Code civil précité, on compte treize alinéas. Dans l’article 347 du même code reproduit ci-dessous, on compte quatre alinéas. L’article 347 1° est donc l’article 347, alinéa 2.

Article 347 du Code civil :

Peuvent être adoptés :
1° Les enfants pour lesquels les père et mère ou le conseil de famille ont valablement consenti à l’adoption ;
2° Les pupilles de l’Etat ;
3° Les enfants déclarés abandonnés dans les conditions prévues par l’article 350.

II) L’exception : les textes réglementaires antérieurs à 2000

La circulaire harmonisant les règles de computation de l’exécutif et du législateur datant du 20 novembre 2000, tous les textes à valeur réglementaire adoptés avant cette date continuent d’utiliser l’ancien mode de computation.

Avant cette date, le Gouvernement utilisait le mode de computation préconisé à l’époque par le Conseil d’Etat(2), rappelé au point 1.1.3.5 de la circulaire du 30 janvier 1997 : « Un alinéa comprend au moins une phrase entière. »(3) Par conséquent il n’y a « d’alinéa que lorsque l’on va à la ligne après un point. (…) quand un alinéa se compose d’un « chapeau » suivi, après renvoi à la ligne, d’une énumération sous forme de tirets ou d’une numérotation (1°, 2°, etc.), il y a lieu d’en tenir compte pour désigner, dans le texte, celui des alinéas de l’article auquel on entend faire référence. »(4)

Ainsi, s’il est fait référence à l’article 347 du Code civil dans un texte à valeur réglementaire adopté avant le 20 octobre 2000, il faut considérer que cet article ne contient qu’un seul alinéa et non pas quatre puisqu’il ne comporte qu’une seule phrase et un alinéa doit comporter au moins une phrase entière. L’article 524 du même code, selon ce mode de computation, comporte trois alinéas et non pas treize.

Il peut être délicat de déterminer quel est le mode de computation utilisé lorsque le texte réglementaire est antérieur à la circulaire du 20 octobre 2000 mais a été modifié depuis. Lorsque le texte comporte une énumération numérotée ou sous forme de tirets, on peut faire référence à un élément de l’énumération par son numéro s’il en contient un, ou par le numéro du tiret à défaut, ce qui évite toute ambiguïté. Cette technique est régulièrement utilisée dans les décrets qui modifient d’autres décrets, on peut par exemple lire dans un décret de 1997 : « Les treizième et quatorzième tirets sont remplacés par les dispositions suivantes »(5). L’ambiguïté demeure en revanche lorsque l’énumération opère un retour à la ligne pour chaque élément énuméré sans tiret et sans numérotation, comme c’est le cas pour l’article 524 du Code civil.

Le point 4 de la circulaire du 20 octobre 2000 précitée donne la préconisation suivante : « Aussi est-il souhaitable qu’à l’occasion des mofidications qui seraient apportées à un texte rédigé sous l’empire de l’ancienne règle, vous vous assuriez que sa lecture ne prête pas à ambiguïté selon que l’on applique l’ancien ou le nouveau mode de décompte des alinéas. Si tel était le cas, il conviendrait de revoir cette rédaction, par exemple en recourant à la numérotation des dispositions auxquelles il est renvoyé. » Cette préconisation de bon sens semble globalement suivie dans les nouveaux textes. Il est par exemple frappant de voir que les nombreuses énumérations contenues dans les dispositions réglementaires du Code de la consommation sont toutes numérotées. On peut ainsi faire référence à un élément de l’énumération par son numéro ou sa lettre, sans avoir à faire référence au numéro de l’alinéa.

Une précision terminologique pour terminer ce billet. L’antépénultième alinéa peut être une façon élégante de désigner « l’avant-avant-dernier alinéa ». Le pénultième alinéa désigne logiquement « l’avant-dernier alinéa ».

Notes de bas de page :
  1. Circulaire du 20 octobre 2000 relative au mode de décompte des alinéas lors de l’élaboration des textes, JORF n°253 du 31 octobre 2000 p. 17302, NOR PRMX0004462C. []
  2. Point 1.1.3.5 de la circulaire du 30 janvier 1997 relative aux règles d’élaboration, de signature et de publication des textes au Journal officiel et à la mise en œuvre de procédures particulières incombant au Premier ministre, JORF n°27 du 1 février 1997 p. 1720, NOR PRMX9701883C ; point 1 de la circulaire du 20 octobre 2000 précitée. []
  3. Op. cit. []
  4. Ibid. []
  5. Décret n° 97-1323 du 31 décembre 1997 modifiant le décret n° 96-1154 du 26 décembre 1996 portant délimitation de zones franches urbaines dans certaines communes, JORF n°1 du 1 janvier 1998 p. 29, NOR MESV9723472D, annexe 1. []

L’animal, nouvel objet juridique non identifié ?

Le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures continue de progresser dans le dédale de la procédure parlementaire. Rappelons que l’article 3 de ce projet de loi habilite le Gouvernement à réformer le droit des contrats et des obligations par voie d’ordonnance, et constitue la pierre d’achoppement de ce texte. Si la majorité des parlementaires s’accorde sur la nécessité de réformer le Code civil en la matière, le Sénat s’est opposé à l’utilisation de l’ordonnance comme mode de réforme, d’abord lors de la navette parlementaire, puis lors de la commission mixte parlementaire, provoquant ainsi son échec. Le texte a donc été renvoyé à l’Assemblée nationale qui vient de l’examiner une nouvelle fois en séance publique dans la nuit d’hier à aujourd’hui. La position de l’Assemblée nationale sur l’article 3 du projet de loi n’a pas changée, cet article a donc reçu un vote favorable sans qu’un nouveau débat n’ait lieu sur le recours aux ordonnances.

C’est une autre disposition de ce projet de loi qui a fait l’objet d’importants débats entre les quelques députés présents dans l’hémicycle hier soir : l’article 1er bis, ajouté au texte par un amendement de M. Glavany. Cette disposition ajoute un article 515-14 au Code civil donnant une définition de l’animal : un « être vivant doué de sensibilité ». Il expurge par ailleurs le Code civil de toutes les références faites à l’animal en tant que « meuble par nature » ou « immeuble par destination ». Il est enfin précisé que « sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens corporels ».

Chien de prairie marmotte

Cet amendement surprise a soulevé d’importantes questions juridiques auxquelles il était, à l’époque, délicat de répondre tant les débats au sein de l’Assemblée nationale en première lecture ont été vite expédiés sur ce point, sans réflexion préalable. La question centrale était celle de la nouvelle nature juridique de l’animal si ce texte venait à être adopté. Je m’étais alors risqué à formuler une série d’hypothèses quelques jours après l’adoption de cet amendement :

  • Cet amendement ne ferait pas accéder l’animal à la catégorie des personnes ;
  • L’animal ne serait plus un bien meuble ou immeuble, puisque c’est la finalité symbolique avouée de l’amendement ;
  • L’animal resterait néanmoins un bien, la place de l’article 515-14 dans le Code civil en témoignant (livre II intitulé « Des biens et des différentes modifications de la propriété ») ;
  • L’animal n’étant ni un bien meuble, ni un bien immeuble, il deviendrait un bien sui generis, formant une catégorie nouvelle de biens à lui seul.

D’autres hypothèses pouvaient bien sûr être avancées. On a notamment pu défendre l’idée que l’amendement Glavany aurait pour effet « d’extraire formellement la bête de la catégorie des biens, des choses juridiques »(1). Selon cette analyse, le nouvel article 515-14 n’aurait pas pour effet de créer une nouvelle catégorie de biens entre les meubles et les immeubles mais créerait une nouvelle catégorie à un niveau supérieur, catégorie venant s’intercaler entre les personnes et les biens.

Depuis, l’effet de surprise s’étant estompé, chacun a pu affuter ses armes. Les débats entre les députés ont donc été bien plus substantiels sur ce point lors de la nouvelle lecture du texte par l’Assemblée nationale, aussi bien au sein de la commission des lois mi-septembre, qu’en séance publique hier soir.

La ratio legis manque toujours cruellement de cohérence

La ratio legis a certes été précisée, mais elle manque toujours cruellement de cohérence. Selon Mme Capdevielle, rapporteure pour la commission des lois de l’Assemblée nationale, l’article 1er bis du projet de loi « consacre l’animal, en tant que tel, dans le code civil afin de mieux concilier la nécessité de qualifier juridiquement l’animal et sa qualité d’être sensible, sans pour autant en faire une catégorie juridique nouvelle entre les personnes et les biens [souligné par mes soins] (…) Ce nouvel article s’insère avant le titre premier, relatif à la distinction des biens, afin de mieux marquer, symboliquement, le statut particulier des animaux. »(2) Répondant à une question de l’un des membres de la commission des lois, la rapporteure a ajouté que « le texte clarifie le statut juridique des animaux, mais ne crée aucune catégorie juridique nouvelle »(3). Enfin, il est précisé dans le rapport que la possibilité d’accorder la personnalité juridique à l’animal « a été clairement et sans aucune ambiguïté écartée »(4).

Nous pouvons donc formuler quatre nouvelles observations sur la base de ces affirmations :

  • L’animal ne serait plus qualifié de bien meuble ou immeuble, l’article 1er bis du projet de loi s’attachant à supprimer minutieusement toutes les références faites à ces deux qualifications dans le Code civil ;
  • L’animal ne serait pas pour autant une nouvelle catégorie juridique qui viendrait s’intercaler entre les biens et les personnes ;
  • L’animal n’accèderait pas à la catégorie des personnes ;
  • Le texte ne créerait aucune catégorie juridique nouvelle.

Si l’animal n’est pas une nouvelle catégorie venant s’intercaler entre les biens et les personnes, et qu’il n’est pas une personne, il ne peut s’agir que d’un bien(5), mais ni d’un bien immeuble ni d’un bien meuble nous dit-on, et il ne forme pas une catégorie juridique nouvelle… Nous voilà bien embêtés ! Le Code civil ne connaît en effet que deux catégories de biens, l’article 516 disposant que « tous les biens sont meubles ou immeubles ». Le législateur nous dit désormais que l’animal n’est ni un meuble, ni un immeuble, mais qu’il ne constitue pas une troisième catégorie de biens… Cela défie les lois de la logique ! Ajoutons à cela le fait que l’animal reste soumis au régime des biens meubles par nature et immeubles par destination(6), et on n’y comprend plus rien !

Il apparaît évident que les promoteurs de cet amendement veulent à tout prix éviter les qualifications de « meuble » et « d’immeuble » pour conférer à celui-ci une portée symbolique maximale. On sait que l’on veut abandonner ces deux qualifications, mais on n’a pas sérieusement réfléchi à la qualification que l’on veut leur substituer ; on veut abandonner ces deux qualifications, mais on veut conserver leurs régimes. Cela ne pouvait que conduire à l’exercice de contorsion auquel on assiste actuellement. La sécurité juridique n’en sortira pas grandie, ce qui est pour le moins ironique quand on sait que cet amendement s’inscrit dans un projet de loi de modernisation et de simplification du droit…

Un retour à l’orthodoxie juridique reste possible à moindre frais sur le plan de la symbolique

Je reste convaincu qu’un retour à l’orthodoxie juridique est possible à moindre frais sur le plan de la symbolique. Il suffirait d’affirmer dans le Code civil que l’animal est un être vivant doué de sensibilité, sans chercher à nier la qualification de bien meuble par nature et d’immeuble par destination. La singularité de l’animal au sein de la catégorie des biens serait ainsi mise en exergue (la symbolique), la cohérence des catégories juridiques serait préservée (l’orthodoxie juridique), et sur le plan du régime il n’y aurait aucune différence avec la rédaction actuelle de l’amendement Glavany comme j’ai pu l’expliquer dans mon précédent billet. Un amendement a été proposé en ce sens, la commission des lois y a émis un avis défavorable au motif qu’il « vide le texte qui a déjà été voté », texte à « portée symbolique »(7).

Il y aurait également beaucoup à dire sur le caractère normatif de l’article 1er bis du projet de loi. Les promoteurs de cette disposition revendiquent son caractère symbolique et répètent à l’envie, pour rassurer notamment la FNSEA, qu’elle n’entrainera aucun changement de régime. Cela revient à admettre l’absence de portée normative. Sur un plan constitutionnel une telle disposition non normative serait validée sans encombre si elle avait pour objet de clarifier les dispositions normatives déjà en vigueur. En l’espèce l’effet produit semble être inverse comme on a pu s’en rendre compte : le législateur complexifie la loi, voire la rend inintelligible, sans vouloir en modifier la substance, et ce pour des raisons purement symboliques. Une censure de la part du Conseil constitutionnel n’est donc pas à exclure, s’il venait à être saisi.

Il est bien sûr possible que la jurisprudence finisse par conférer une portée normative à ce texte, comme elle a pu le faire par exemple avec l’alinéa 1er de l’article 1384 du Code civil. Il n’en demeure par moins qu’au jour où la loi entrera en vigueur, le nouvel article 515-14 du Code civil sera dénué de toute portée normative, et c’est ce qui sera pris en compte par le Conseil constitutionnel pour apprécier la régularité du texte. L’absence de portée normative a d’ailleurs été clairement affichée par le législateur au cours des débats parlementaires, l’objectif étant de ne pas toucher au régime actuellement applicable aux animaux tant le sujet est sensible, et de remettre à plus tard ce débat de fond – aux calendes grecques ? – une proposition de loi ayant été déposée en ce sens(8).

A l’issue de ces débats, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi dans son ensemble hier soir. L’article 1er bis a conservé sa substance et l’article 3, qui avait été réintroduit par l’Assemblée nationale en première lecture, a logiquement été maintenu lors de cette nouvelle lecture. Le texte va désormais retourner devant le Sénat, celui-ci va vraisemblablement supprimer de nouveau l’article 3 par voie d’amendement, et le Gouvernement devrait alors donner le dernier mot à l’Assemblée nationale comme le lui permet l’article 45, alinéa 4, de la Constitution. Sauf revirement, les articles 1er bis et 3 du projet de loi devraient finir par être adoptés dans leurs rédactions actuelles. J’en profite pour rappeler qu’une version du projet d’ordonnance circule sur Internet et que vous pouvez la consulter en cliquant ici.

Notes de bas de page :
  1. Pierre-Jérôme DELAGE, « L’animal, la chose juridique et la chose pure », D. 2014, p. 1097. []
  2. Rapport consultable sur le site de l’Assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r2200.asp. []
  3. Ibid. []
  4. Ibid. []
  5. Ce qui correspond d’ailleurs parfaitement à la notion de bien : « chose dont l’utilité justifie l’appropriation » (F. ZENATI-CASTAING, Th. REVET, Les biens, PUF, 2008, 3e éd., n° 2). On nous dit que l’animal n’est pas une personne, qu’il n’est pas une nouvelle catégorie, il ne peut donc s’agir que d’une chose, donc d’un bien, puisqu’il a été affirmé à plusieurs reprises au cours des débats et dans diverses réponses ministérielles que l’animal restait dans la « sphère patrimoniale » et qu’il était toujours susceptible d’appropriation. []
  6. C’est en effet ce que dispose expressément l’article 515-14 que l’amendement propose d’introduire dans le Code civil. []
  7. Propos de la rapporteure, Mme Capdevielle, lors de la 3e séance publique de l’Assemblée nationale du 30 octobre 2014 : http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2014-2015/20150043.asp. []
  8. Proposition de loi dont rien ne garantit l’examen en raison des règles relatives au contrôle de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. []

Le Code civil et le petit cheval blanc

L’Assemblée nationale a réintroduit l’article 3 du projet de loi de modernisation et de simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures qui avait été supprimé par le Sénat par voie d’amendement. Rappelons que cet article habilite le Gouvernement à réformer le droit des contrats par voie d’ordonnance. Les sénateurs s’y sont opposés au motif qu’une branche aussi importante du droit ne pourrait être réformée par voie d’ordonnance. La procédure accélérée étant engagée, ce sera à la Commission mixte paritaire de trancher cette divergence entre les deux chambres du Parlement.

Cependant l’essentiel n’est pas là, non. L’Assemblée nationale, lors de l’examen de ce projet de loi, a en effet été le théâtre d’un débat bien plus grave dont je voudrais me saisir dans ce billet tant il a passionné la presse généraliste mardi dernier : la question de la qualification juridique de l’animal.

Chaton qualification juridique animal

Un amendement a été adopté(1) pour abandonner les qualifications de bien meuble par nature (art. 528), ou de bien immeuble par destination (art. 522 et 524), qui sont celles retenues dans le Code civil depuis 1804. « Enfin ! », « Victoire ! », se sont empressés de s’écrier certains défenseurs de la cause animale.

Notons d’abord que, contrairement à ce qui est affirmé ci et là, le Code civil n’a pas encore été modifié. L’article 528 dispose toujours que « sont meubles par leur nature les animaux et les corps qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre, soit qu’ils se meuvent par eux-mêmes, soit qu’ils ne puissent changer de place que par l’effet d’une force étrangère », et l’article 524 dispose toujours que « les animaux et les objets que le propriétaire d’un fonds y a placés pour le service et l’exploitation de ce fonds sont immeubles par destination ». Le texte voté par l’Assemblée nationale n’est qu’un amendement, il est donc un peu tôt pour crier victoire car il n’est pas exclu que la loi soit à nouveau modifiée sur ce point par la Commission mixte paritaire avant d’être promulguée. Cette possibilité est cependant plus théorique que réelle tant l’opinion publique semble tranchée sur ce sujet de société majeur : selon un sondage Ifop réalisé pour « 30 millions d’amis », 89% des sondés étaient favorables à une nouvelle qualification juridique pour les animaux, celle « d’êtres vivants et sensibles ».

Exit la qualification de meuble ou d’immeuble

Il n’en fallait donc pas plus pour que le législateur s’empare du sujet et corrige cette terrible injustice(2). Exit donc la qualification de meuble par nature ou d’immeuble par destination, un nouvel article 515-14 serait introduit dans le Code civil, commençant ainsi : « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité ».

Circulez !, il n’y a plus rien à voir ? Pas si vite, le nouvel article 515-14 disposerait in fine : « Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens corporels. » Cette dernière phrase trahit la nature purement cosmétique de la modification.

Si la qualification juridique et la taxinomie ont tous deux pour objet de nommer puis de classer les espèces dans des genres, la comparaison s’arrête là. La qualification juridique a en effet pour fonction de déterminer un régime applicable. Le simple fait de nommer un phénomène permet au législateur de lui appliquer un régime juridique et donc de le contrôler. Le doyen Cornu, qui avait parfaitement décrit ce mécanisme, parlait de « nominalisme législatif ». Ainsi la garantie autonome, invention de la pratique, a pu être réglementée par le législateur dès lors qu’elle a été nommée dans le Code civil et qualifiée de sûreté personnelle, passant ainsi de la catégorie des contrats innommés à la catégorie des contrats nommés (art. 1107 du Code civil).

Il ne peut donc y avoir un intérêt juridique à la requalification de l’animal que si elle s’accompagne de l’application d’un régime juridique différent propre à cette nouvelle qualification. Ce n’est nullement le cas, le régime juridique de l’animal ne changera pas d’un iota après la promulgation de cette loi puisque celle-ci dispose expressément que le régime applicable sera toujours celui des biens corporels, c’est-à-dire celui des meubles par nature et des immeubles par destination…

Pis, la façon dont cette nouvelle qualification a vocation à s’intégrer dans les classifications déjà existantes du Code civil n’est pas sans poser problème. La summa divisio des biens retenue dans le Code civil se fait, depuis 1804, entre les biens meubles et les biens immeubles(3). Le législateur nous dit aujourd’hui que l’animal n’est plus un bien meuble ou un bien immeuble, puisqu’il ressort de l’exposé des motifs que l’abandon de ces deux qualifications est l’unique raison d’être de l’amendement(4). Cela ne peut donc signifier que deux choses : soit l’animal n’est plus un bien, soit il devient un bien sui generis.

L’animal n’est plus un bien ? Le droit français distingue traditionnellement les choses des personnes. L’animal accèdera-t-il, lors de la promulgation de cette loi, à la personnalité juridique ? Assurément non, le Rubicon est encore très loin d’être franchi sur ce point et espérons qu’il y aura des débats bien plus sérieux si l’on venait à envisager qu’il le soit. Il reste donc deux possibilités : soit l’animal demeure un bien, soit l’animal n’est ni une personne ni un bien. L’exposé des motifs de l’amendement demeure très évasif sur ce point, la ratio legis est donc incertaine. L’élément le plus tangible permettant de répondre à cette question est à mon sens la place de l’article 515-14 dans le Code civil : cet article préliminaire serait introduit dans le livre II avant le titre 1er, livre relatif aux « biens » et aux « différentes modifications de la propriété ». Voilà donc un changement terminologique majeur ! L’animal n’est plus un bien meuble ou immeuble, mais reste un bien… Ce changement de qualification juridique est-il si significatif pour que les « défenseurs des animaux » se réjouissent autant de l’adoption de cet amendement ? Même d’un point de vue purement symbolique, on perçoit difficilement comment la qualification de « bien » serait préférable à celle de « bien meuble » ou de « bien immeuble », le caractère mobilier ou immobilier du bien signifiant simplement que celui-ci peut être déplacé ou non.

L’animal est un bien sui generis ? Si l’animal n’est plus un bien meuble ou immeuble, mais reste un bien, c’est que le législateur vient de créer un bien sui generis, c’est-à-dire un bien qui constitue une catégorie à lui seul. La lecture de l’exposé des motifs de l’amendement semble aller dans le sens de cette hypothèse : « cet amendement a pour objet de consacrer l’animal, en tant que tel, dans le code civil afin de mieux concilier sa qualification juridique et sa valeur affective ». Cette analyse introduirait cependant une incohérence dans notre Code civil puisque l’article 516 n’est pas modifié par l’amendement et dispose toujours que « tous les biens sont meubles ou immeubles ». La summa divisio est donc conservée alors même que le législateur introduit une nouvelle catégorie de biens qu’il refuse de qualifier de meubles ou d’immeubles.

Etait-il nécessaire d’en arriver là pour permettre une meilleure protection de l’animal ? Aucunement.

La qualification de bien meuble ou de bien immeuble entraîne l’application du droit commun des biens meubles et immeubles, mais n’empêche par ailleurs aucunement l’application de règles spéciales propres à certaines sous-catégories de biens. C’est le cas des souvenirs de famille qui sont des biens auxquels on applique un régime spécial, mais c’est aussi le cas des animaux qui bénéficient déjà d’une protection par le biais du droit pénal notamment(5).

L’article 515-14, en disposant que les animaux sont soumis au régime des biens corporels « sous réserve des lois qui les protègent », n’apporte rien à l’état actuel du droit positif. Le régime des biens corporels est déjà applicable aux animaux qui sont qualifiés de meubles par nature ou d’immeubles par destination, c’est le droit commun. Quant aux lois qui protègent les animaux, elles existent déjà dans le Code pénal et dans le Code rural(6), et la qualification de bien meuble ou de bien immeuble n’est pas un obstacle à leur application grâce au jeu de la maxime specialia generalibus derogant(7).

La nouvelle qualification est une coquille vide perturbant de manière irréfléchie la summa divisio des biens

Si l’on voulait renforcer la protection juridique des animaux, cela aurait dû se faire par une modification des règles spéciales qui leur sont applicables, et non par la création d’une nouvelle catégorie sui generis de biens venant perturber de manière irréfléchie la summa divisio séculaire du Code civil tout en restant en l’état une coquille vide. Il est sans doute plus aisé politiquement de proposer un changement purement cosmétique que de prendre position sur des sujets plus sensibles, comme l’interdiction des corridas. Un autre amendement avait été déposé pour interdire ces dernières, mais celui-ci a été rejeté(8).

L’objectif poursuivi par les députés aurait pu, à mon sens, être atteint sans défigurer le Code civil. Si le but était de proposer une définition juridique unique de l’animal permettant de lui appliquer plus aisément un régime spécial protecteur, pourquoi ne pas l’avoir fait tout en maintenant la qualification de meuble par nature ou d’immeuble par destination ? Le résultat aurait été le même, à la différence près que la summa divisio meuble/immeuble de l’article 516 aurait conservé son intégrité et le peu d’utilité qui lui reste aujourd’hui. La garantie autonome est un contrat, on lui applique le droit commun des contrats, mais c’est aussi un contrat spécial, on lui applique donc également les dispositions qui ont été spécialement édictées pour le régir. En cas de contrariété entre les dispositions du droit commun et celles du droit spécial, ce sont ces dernières qui priment en application du principe speciala generalibus derogant. L’idée serait ici identique : l’animal est un bien meuble par nature ou un bien immeuble par destination, on lui applique donc le droit commun applicable à tous les meubles par nature et immeubles par destination, mais s’agissant d’un bien particulier, « vivant et doué de sensibilité », on lui applique également des règles spéciales ayant vocation à le protéger, celles-ci primant sur celles-là en cas de conflit. C’est d’ailleurs le droit positif actuel, à la différence près que le Code civil ne contient pour l’instant aucune définition de l’animal.

Le législateur est décidemment très préoccupé par les questions de terminologie juridique ces derniers temps. Rappelons en effet que celui-ci a récemment proposé la suppression de l’expression « bon père de famille », également par voie d’amendement.

On notera enfin que le projet de loi amendé est celui relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. On pourrait aisément parler de cavalier législatif si le contenu de ce projet de loi n’était pas déjà aussi hétéroclite : amélioration des procédures en matière de tutelle ; reconnaissance de la possibilité, pour les personnes sourdes ou muettes, de conclure un testament authentique devant notaire ; réforme du Tribunal des conflits pour en supprimer la présidence par le ministre de la Justice ; mise en place des garanties relatives à la communication électronique en matière pénale ; suppression de commissions administratives qui ont accompli leur mission et, surtout, réforme du droit des contrats, tout cela par voie d’ordonnance. Une censure du texte reste cependant envisageable si le Conseil constitutionnel venait à être saisi. Le risque de cavalier législatif a été évoqué par un député lors des débats, et une saisine du Conseil sur ce point n’est pas à exclure car s’il existe un puissant lobby des « défenseurs des animaux », il existe un autre lobby aux intérêts antagonistes, celui des professionnels de l’élevage.

Mise à jour : Le projet de loi a été examiné en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale, pour en savoir plus consultez ce nouveau billet du 31/10/2014 : L’animal, nouvel objet juridique non identifié ?

Notes de bas de page :
  1. Amendement n° 59 : http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/1808/AN/59.asp []
  2. Le terme « injustice » est utilisé à dessein, puisque cette disposition a été intégrée par voie d’amendement dans un projet de loi intitulé « modernisation et simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures ». []
  3. La pertinence de cette summa divisio est aujourd’hui critiquée par la plupart des spécialistes du droit des biens, mais ce n’est pas le sujet ici. []
  4. « Alors que le code rural et le code pénal reconnaissent, explicitement ou implicitement, les animaux comme des « êtres vivants et sensibles », ces derniers sont encore considérés par le code civil comme des « biens meubles » (art. 528) ou des « immeubles par destination » quand ils ont été placés par le propriétaire d’un fonds pour le service et l’exploitation de celui-ci (art. 524). » []
  5. V. note n° 6. []
  6. Not. art. 521-1, 521-2, R653-1, R654-1 et R655-1 du Code pénal ; art. L214-1 à L215-13 du Code rural et de la pêche maritime et la parie réglementaire y afférente. []
  7. Le spécial déroge au général. []
  8. Sous-amendement n° 79 à l’amendement n° 59 : http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/1808/AN/79.asp []

Suppression de l’expression « bon père de famille », tempête dans un bénitier…

Hier après-midi, mardi 21 janvier, l’Assemblée nationale adopte un amendement au projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes substituant les termes « raisonnable » et « raisonnablement » aux expressions « bon père de famille » et « en bon père de famille »(1). Quelques minutes plus tard, c’est le déchaînement sur les réseaux sociaux, l’anonymat ne contribuant pas à la modération des propos(2).

Bonus pater familias

La notion de bon père de famille est issue du droit romain, traduite littéralement de l’expression bonus pater familias. Les auteurs de l’amendement, plusieurs députés EELV, dénoncent une expression « désuète qui remonte au système patriarcal. Régulièrement incomprise par les citoyennes et les citoyens, elle pourrait pourtant être facilement remplacée ». Ce constat semble plutôt raisonnable – sans jeu de mots. La société a évolué si bien que l’expression « bon père de famille » peut être incomprise par le citoyen profane et peut paraître dérangeante, ou à tout le moins anachronique, à celui qui l’aurait comprise.

Car il s’agit bien d’un simple changement de vocable qui est proposé, les travaux parlementaires étant univoques quant à la ratio legis – encore une expression latine… « La notion de ‘raisonnable’ est en effet identique à la notion de ‘bon père famille' », peut-on lire dans l’exposé de l’amendement. « L’amendement propose de modifier le code civil pour remplacer cette expression par un adverbe plus neutre, qui ne véhicule plus aucun stéréotype fondé sur le sexe », a-t-on pu entendre de la bouche du rapporteur lors des débats en séance publique(3). La notion a donc vocation à perdurer, immuable quant à son contenu, seule sa dénomination étant affectée.

Prenons un exemple concret pour mesurer la magnitude du changement annoncé. L’article 1728 actuel du Code civil dispose que « Le preneur est tenu de deux obligations principales : 1° D’user de la chose louée en bon père de famille (…) ». Si le projet de loi était adopté en l’état, l’article serait rédigé ainsi : « Le preneur est tenu de deux obligations principales : 1° D’user de la chose louée raisonnablement (…) ». Le terme « raisonnablement » n’est pas nécessairement le plus heureux(4), on aurait pu lui préférer l’expression « avec diligence et prudence » par exemple, le bon père de famille étant souvent défini comme une personne normalement prudente et diligente(5). Il se murmure d’ailleurs que certains sénateurs pourraient proposer une nouvelle expression, également par voie d’amendement. Mais le changement devrait en principe rester purement formel, quoi qu’il arrive, puisqu’il suffira aux magistrats de faire une interprétation téléologique du texte pour conserver la substance de la notion de bon père de famille.

On ne peut s’empêcher de trouver un certain charme suranné à certaines expressions séculaires du Code civil, mais il faut savoir raison garder

En tant que juriste, on ne peut s’empêcher de trouver un certain charme suranné à certaines expressions séculaires du Code civil : bon père de famille, folle enchère(6), louage d’ouvrage, etc. Ces expressions font partie de notre patrimoine culturel juridique. Il faut cependant parfois être capable de prendre du recul sur sa propre condition et se souvenir que le juriste est conservateur par nature. Il y a parfois – souvent – chez les juristes un réflexe très humain tendant à la préservation de son pré carré. Quelle meilleure protection pour le juriste que l’ésotérisme de son langage ? Avec un peu de recul, fallait-il, hier, s’indigner de la substitution de l’expression « gage immobilier » au terme « antichrèse » ? Faut-il, aujourd’hui, s’indigner de la suppression éventuelle de l’expression « bon père de famille » ? Cornu n’aurait sans doute pas manqué de le faire(7), probablement avec un peu plus de retenue…

On peut regretter ce changement terminologique, y a-t-il cependant matière à pousser la critique jusqu’à l’indignation ? Comme l’écrivait Eisenmann, « il faut éviter de consacrer une ardeur excessive à se battre sur des questions de mots ; c’est là une règle absolument générale (…) l’essentiel, c’est l’analyse, ce sont les idées, et il faut éviter de prendre les batailles sur les mots pour des batailles sur les idées, sur la connaissance, comme de se passionner trop fort pour elles »(8). Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe, réforme du droit des obligations par voie d’ordonnance, suppression de l’expression « bon père de famille », l’heure est décidément aux discours eschatologiques, y compris dans la sphère juridique. Cette ambiance explosive est malheureusement peu propice aux débats constructifs. Espérons seulement que ceux qui qualifient les parlementaires de « bande de cons »(9) pour avoir supprimé l’expression « bon père de famille » des textes législatifs ne soient pas ceux qui s’insurgent que le Gouvernement puisse avoir le toupet de proposer une réforme du droit des obligations par voie d’ordonnance sans débat parlementaire sur le fond du texte, il en va du principe de cohérence…

Pour parachever ce billet par une note un peu plus légère, je ne peux que vous recommander un peu de Brassens : Tempête dans un bénitier. J’ai également une pensée pour un collègue qui vient de soutenir sa thèse sur la notion de bon père de famille…

Mise à jour : c’est désormais acté, l’article 26 de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes substitue les termes « raisonnable » ou « raisonnablement » à l’expression « bon père de famille ».

I. – Le code civil est ainsi modifié :
1° A l’article 601, au 1° de l’article 1728, à l’article 1729 et au premier alinéa de l’article 1766, les mots : « en bon père de famille » sont remplacés par le mot : « raisonnablement » ;
2° A la fin de l’article 627, les mots : « en bons pères de famille » sont remplacés par le mot : « raisonnablement » ;
3° A la fin du premier alinéa des articles 1137 et 1374, à l’article 1806 et à la fin de la seconde phrase du premier alinéa de l’article 1962, les mots : « d’un bon père de famille » sont remplacés par le mot : « raisonnables » ;
4° A la première phrase de l’article 1880, les mots : « , en bon père de famille, » sont remplacés par le mot : « raisonnablement ».
II. – A la fin du premier alinéa de l’article L. 314-8 du code de la consommation, les mots : « d’un bon père de famille » sont remplacés par le mot : « raisonnables ».
III. – Au premier alinéa de l’article L. 462-12 du code rural et de la pêche maritime, les mots : « en bon père de famille » sont remplacés par le mot : « raisonnablement ».
IV. – A la fin du premier alinéa de l’article L. 221-2 du code de l’urbanisme, les mots : « en bon père de famille » sont remplacés par le mot : « raisonnablement ».
V. – A la fin de la seconde phrase du deuxième alinéa de l’article L. 641-4 du code de la construction et de l’habitation, les mots : « en bon père de famille » sont remplacés par le mot : « raisonnablement ».

Notes de bas de page :
  1. L’amendement est consultable à cette adresse : http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/1663/AN/249.asp []
  2. Voir par exemple ce tweet : « On vient d’assassiner une notion fondamentale issue du droit romain. Le « bonus pater familias » est mort. BANDE DE CONS DE PARLEMENTAIRES ». https://twitter.com/LawJQG/status/425767551675551744. []
  3. Le rapporteur est M. Sébastien Denaja, le compte rendu des débats est consultable à cette adresse : http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2013-2014/20140138.asp []
  4. Bien que la common law utilise le standard du reasonable man et que l’on retrouve le terme dans certains manuels de droit français, par exemple dans celui de Philippe Brun pour qui la comparaison au comportement qu’aurait adopté le « bon père de famille » revient à se demander le « comportement a été ou non raisonnable », Responsabilité civile extracontractuelle, Litec, 2e éd., n° 303 []
  5. V. not. le Vocabulaire juridique de l’association Henri Capitant, v° Bon père de famille []
  6. Dont la suppression éventuelle a aussi récemment suscité l’indignation des sénateurs lors de l’examen du projet de loi habilitant le Gouvernement à réformer le droit des obligations par ordonnance. []
  7. Cornu défendait en effet ces « trouvailles », « formules frappées » et « mots justes » qu’il qualifiait de « trésors », « joyaux », « perles agrafées au texte qui font scintiller la loi » Linguistique juridique, Montchrestien, coll. Domat droit privé, 3e éd., p. 329 []
  8. Cours de droit administratif, LGDJ, 1982, Tome I, p. 390 []
  9. V. note n° 2. []

Avant-projet d’ordonnance de réforme du droit des obligations (texte du 23/10/2013)

Le site Internet Les Echos a diffusé hier un document de travail du « Bureau du droit des obligations » du ministère de la Justice. Intitulé « avant-projet de réforme du droit des obligations », ce texte daté du 23 octobre 2013 confirme les rumeurs qui indiquaient que la Chancellerie disposait déjà d’un projet d’ordonnance bien ficelé prêt à être publié aussitôt la loi d’habilitation adoptée. Long de 76 pages, cet avant-projet comporte 307 articles.

Avant-projet d'ordonnance portant réforme du droit des contrats

La teneur du texte correspond à ce qui a été annoncé dans le projet de loi d’habilitation du 27 novembre 2013, que j’avais présenté succinctement dans mon précédent billet. On relèvera tout de même l’article 77 qui introduirait la notion de clause abusive dans le droit commun des contrats. Etant donné le volume de l’avant-projet de la Chancellerie, je ne vais pas m’adonner ici à une description des nouveautés article par article : mon précédent billet vous donnera une vue d’ensemble de la réforme envisagée que vous pourrez compléter en consultant directement le fichier PDF diffusé par le site Les Echos. Il faut noter que quelques pages sont malheureusement manquantes dans le fichier PDF, et que cet avant-projet, comme son nom l’indique, n’est pas nécessairement le texte définitif qui sera adopté par le Gouvernement s’il est habilité à légiférer par voie d’ordonnance.

La diffusion du projet de la Chancellerie n’est pas la seule actualité de la semaine relative à la réforme du droit des obligations. La commission des lois du Sénat a en effet adopté un amendement supprimant l’article 3 du projet de loi(1), article qui habilitait le Gouvernement à réformer le droit des obligations par voie d’ordonnance… L’argument mis en avant est classique : « la commission des lois, conformément à une position constante, ne pouvait souscrire au choix de légiférer par ordonnance dans les matières relevant du droit civil aussi essentielles que le droit des contrats et des obligations sur lesquelles le Parlement devrait se prononcer au terme d’un débat éclairé et approfondi »(2). Un contre-argument peut toutefois être mis en avant, formulé notamment par Mustapha Mekki : « les enjeux politiques d’une réforme du droit des obligations sont moindres que ses enjeux techniques. L’intérêt de l’ordonnance est de rendre possible un droit des obligations cohérent et homogène qui ne sera pas défiguré par le dépôt de trop nombreux amendements »(3). On rappellera à cet égard que le Code civil de 1804, tant loué pour ses innombrables qualités rédactionnelles, a été adopté dans des conditions très peu démocratiques. Présentés à la Convention en 1793 puis en 1794, et au Conseil des Cinq-Cents en 1796, les différents projets, pourtant de qualité, se sont systématiquement enlisés dans les débats parlementaires. Il faut attendre le coup d’Etat du 18 brumaire pour que Bonaparte nomme la commission composée de quatre magistrats(4) à qui l’on doit la rédaction du Code civil de 1804.

L’opposition du Sénat sera-t-elle décisive et la réforme sera-t-elle de nouveau renvoyée aux calendes grecques ?

Cette opposition du Sénat sera-t-elle décisive, ou l’article 3 sera-t-il rétabli par l’Assemblée nationale puis maintenu par la commission mixte paritaire ? On se souvient que les sénateurs ont récemment fait parler d’eux au sein de la petite communauté des universitaires-juristes dans des circonstances similaires, en supprimant par voie d’amendement le processus de qualification des enseignants-chercheurs par le CNU(5). Cependant cette tentative de rébellion a fait long feu puisque la version originale du texte a été immédiatement rétablie par la commission mixte paritaire. On sera fixé assez rapidement. Le projet de loi, qui a été déposé au Sénat le 27 novembre dernier, sera examiné en première lecture le 21 janvier.

Mise à jour du 25/02/2015 : la loi d’habilitation ayant été adoptée, la Chancellerie vient de lancer une consultation publique sur la réforme du droit des contrats et a publié à cette occasion un projet d’ordonnance officiel dont le contenu semble identique à cet avant-projet.

Notes de bas de page :
  1. L’amendement est consultable à cette adresse : http://www.senat.fr/amendements/commissions/2013-2014/175/Amdt_COM-11.html []
  2. Communiqué de presse du Sénat du 15 janvier 2014, http://www.senat.fr/presse/cp20140115c.html []
  3. Billet « Noël avant l’heure : la réforme du droit des obligations bientôt dans les « bacs » ! », actu.dalloz-etudiant.fr, http://actu.dalloz-etudiant.fr/le-billet/article/noel-avant-lheure-la-reforme-du-droit-des-obligations-bientot-dans-les-bacs//h/80f6a51a425115a5b43808635425ee97.html []
  4. Tronchet, Bigot de Préameneu, Portalis et Maleville []
  5. L’amendement est consultable à cette adresse : http://www.senat.fr/amendements/2012-2013/660/Amdt_6.html []