Réforme du droit des obligations par ordonnance : échec de la CMP, reprise de la navette parlementaire

La réforme du droit des contrats est devenue un véritable feuilleton. Dans les précédents épisodes le Gouvernement avait déposé un projet de loi visant notamment à être habilité à réformer le droit des obligations par voie d’ordonnance(1), puis le Sénat avait supprimé en première lecture cette habilitation par voie d’amendement(2), avant que l’Assemblée nationale ne la réintroduise, également par voie d’amendement(3). Entre temps, le projet d’ordonnance de la Chancellerie a été diffusé sur la toile de façon officieuse(4).

La procédure accélérée étant engagée, le désaccord entre l’Assemblée nationale et le Sénat a débouché sur la réunion d’une commission mixte paritaire hier, le 13 mai 2014, qui n’est pas parvenue à un accord(5). Cela n’est guère surprenant puisque les sénateurs s’étaient opposés à une réforme par voie d’ordonnance à l’unanimité en commission des lois, et à l’unanimité moins une voix lors du vote en séance publique. Les sénateurs en ont fait une question de principe, comme en témoigne la déclaration faite par Jean-Pierre Sueur suite à l’échec de la CMP qu’il présidait : « je tiens à exprimer mon total désaccord avec le recours aux ordonnances pour modifier l’ensemble du droit des contrats et des obligations, soit un cinquième du Code civil »(6).

Commission mixte paritaire

Crédit : Photo Sénat © Sénat

En cas de désaccord au sein de la CMP (qui, rappelons le, est composée de sept députés et de sept sénateurs), la navette parlementaire reprend. Si les deux chambres ne parviennent toujours pas à un accord après une nouvelle lecture, ce qui arrivera très probablement, alors l’article 45 de la Constitution permettra au Gouvernement de demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement. Il y a donc de fortes chances que le Gouvernement soit finalement, après de nombreuses péripéties, habilité par le Parlement – ou devrais-je dire par l’Assemblée nationale – à réformer le droit des obligations par voie d’ordonnance, malgré l’opposition de principe du Sénat. Le feuilleton connaitra donc encore quelques épisodes avant son dénouement.

Mise à jour du 16/05/2014 : le rapport de la CMP vient d’être mis en ligne(7). Celle-ci s’est ouverte sur un constat de désaccord quant à l’article 3 du projet de loi, celui qui habilite le Gouvernement à réformer le droit des obligations par voie d’ordonnance, le Sénat adoptant une « position de principe », l’Assemblée nationale une « position réaliste »(8). Le président de la CMP, M. Sueur, a tout de même tenu à ce qu’un débat ait lieu sur les premiers articles du projet de loi, car certaines CMP « réussissent contre toute attente »(9). Il a notamment été question du nouvel article 515-14 du Code civil, relatif au statut juridique de l’animal, que les députés ont ajouté au projet de loi par voie d’amendement : « Votre rédaction intègre au code civil une disposition au contenu normatif incertain dont la vocation est sans doute proclamatoire » (M. Thani Mohamed Soilihi). Comme je l’avais suggéré en conclusion du billet que j’avais consacré à ce sujet, il s’agit d’une question sur laquelle les parlementaires peuvent être influencés par d’importants lobbys pro ou anti : « Nous avons tous été saisis, depuis le vote de ce texte, de nombreuses craintes, dont celles de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), qui ne sont pas dénuées de fondement » (même auteur). Finalement les députés et sénateurs sont très rapidement revenus au constat de désaccord sur l’article 3 du projet de loi, mettant fin à la CMP sur un constat d’échec après quelques brefs échanges.

Notes de bas de page :
  1. V. mon précédent billet La réforme du droit des obligations n’est pas enterrée, et se fera par ordonnance. []
  2. V. mon précédent billet Avant-projet d’ordonnance de réforme du droit des obligations (texte du 23/10/2013). []
  3. Cela a été rapidement évoqué dans mon dernier billet Le Code civil et le petit cheval blanc. []
  4. V. note n° 2 pour le consulter. []
  5. Le rapport n’est pas encore publié, la conclusion peut être consultée sur le site du Sénat : http://www.senat.fr/leg/pjl13-530.html. []
  6. Déclaration faite dans un billet publié sur son blog intitulé Je suis en total désaccord avec le recours aux ordonnances pour modifier un cinquième du Code civil. []
  7. Le rapport peut être consulté sur le site du Sénat : http://www.senat.fr/rap/l13-529/l13-529.html. []
  8. La garde des Sceaux a en effet prévenu que le projet de réforme ne serait pas inscrit à l’ordre du jour des deux assemblées sous ce mandat si la loi d’habilitation n’était pas votée, celui-ci étant déjà trop chargé. []
  9. « Je n’exclus pas que l’on puisse se convaincre. Je crois à la force du verbe. » []