La Constitution ne s’oppose pas à une réforme du droit des contrats par voie d’ordonnance

Au lendemain de l’adoption du projet de loi de modernisation et de simplification du droit en lecture définitive par l’Assemblée nationale, soixante sénateurs avaient saisi le Conseil constitutionnel. Ce dernier vient de publier sa décision(1) et, avec elle, l’acte de saisine(2) : étrangement celui-ci ne porte que sur l’article 8 du projet de loi habilitant le Gouvernement à réformer le droit des contrats par voie d’ordonnance, à l’exclusion donc de l’article 2 relatif au statut juridique de l’animal auquel le Sénat s’était pourtant opposé. L’acte de saisine était visiblement dans les cartons avant même que l’Assemblée nationale n’adopte le texte en lecture définitive, preuve qu’il n’y avait guère de doute sur l’issue de la procédure législative, puisque la saisine vise « l’article 3 » du projet de loi alors que celui-ci a entre temps été renuméroté, il s’agit désormais de l’article 8.

Entrée du Conseil constitutionnel

Dans une décision relativement laconique, le Conseil constitutionnel rejette sans grande surprise les deux principaux griefs formulés par les sénateurs.

La « Constitution civile de la France » peut être réformée par voie d’ordonnance

Le premier grief est connu puisque répété inlassablement au cours des débats parlementaires : l’habilitation « donnée au Gouvernement pour modifier par voie d’ordonnance le livre III du code civil excède, en raison de son ampleur et de l’importance que revêt dans l’ordre juridique le droit des contrats et des obligations, les limites qui résultent de l’article 38 de la Constitution en matière de recours aux ordonnances »(3).

Les requérants ont beau convoquer dans leur saisine le doyen Carbonnier qui qualifiait le Code civil de « Constitution civile de la France », le Conseil constitutionnel rappelle que « l’article 34 de la Constitution place les principes fondamentaux des obligations civiles dans le domaine de la loi »(4).  Le droit des contrats peut donc être réformé par voie d’ordonnance dès lors qu’aucune norme du bloc de constitutionnalité n’interdit le recours aux ordonnances pour modifier les dispositions du Code civil, fut-ce la totalité de celles relatives au droit des obligations. Autrement dit le Code civil, quelle que puisse être l’aura dont il jouit, et le droit des contrats, quelle que puisse être son importance pratique, n’ont pas une place à part dans la hiérarchie des normes et leurs dispositions légales peuvent être modifiées suivant les procédures applicables à n’importe quelle autre norme légale. Le grief est ainsi balayé par le Conseil.

La saisine ajoute : « Les requérants ne peuvent accepter le choix de la voie réglementaire qui ne peut être fait au détriment des principes constitutionnels. » Quels sont ces « principes constitutionnels » qui seraient violés ? La saisine reste très évasive sur ce point et se contente de suggérer que l’habilitation ne serait pas circonscrite avec suffisamment de précisions.

Le Conseil constitutionnel rappelle que l’article 38 de la Constitution « fait obligation au Gouvernement d’indiquer avec précision au Parlement, afin de justifier la demande qu’il présente, la finalité des mesures qu’il se propose de prendre par voie d’ordonnances ainsi que leur domaine d’intervention »(5), mais juge que cette obligation a bien été respectée en l’espèce.

Le second grief est davantage surprenant.

L’éventualité d’une modification de l’ordonnance à l’occasion de sa ratification ne porte pas atteinte à la sécurité juridique

Pour contenter les sénateurs qui s’opposaient à une réforme du droit des contrats par voie d’ordonnance, la Garde des sceaux s’est engagée à déposer un projet de loi dédié à la ratification de cette ordonnance afin que les parlementaires puissent, comme ils le souhaitaient, débattre du fond et, le cas échéant, proposer des modifications.

Paradoxalement les sénateurs se sont appuyés sur cette possibilité d’une modification de l’ordonnance à l’occasion de sa ratification pour plaider l’inconstitutionnalité de la loi d’habilitation. Il est vrai qu’un tel mécanisme conduirait à voir se succéder, dans un court laps de temps, deux régimes juridiques nouveaux dans un domaine, le droit des contrats, où la sécurité juridique est une préoccupation majeure. L’article 38, alinéa 2, de la Constitution prévoit en effet que les ordonnances entrent en vigueur dès leur publication, avant même leur ratification. Le droit commun des contrats sera donc modifié une première fois par l’ordonnance puis, potentiellement, une seconde fois peu après par le biais d’amendements apportés au projet de loi de ratification.

Cependant ce phénomène est inhérent au mécanisme de l’ordonnance et plus généralement à la procédure législative. Ce que le législateur a fait hier, il est toujours libre de le défaire le lendemain. La loi d’habilitation ne porte pas atteinte en elle-même à la sécurité juridique car elle ne modifie aucune norme. Seule l’ordonnance ou la loi de ratification seront susceptibles de porter atteinte à la sécurité juridique, et le Conseil constitutionnel rappelle à cet égard qu’il existe des garde-fous : « si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit, c’est à la condition de poursuivre un but d’intérêt général suffisant et de respecter tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions ; (…) le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 »(6).

Ces principes s’imposeront au Gouvernement lorsqu’il adoptera son ordonnance(7) et au Parlement s’il choisit d’en modifier les dispositions, mais la loi d’habilitation en elle-même ne les méconnaît pas. Ce second grief est donc également rejeté et la loi peut désormais être promulguée.

Notes de bas de page :
  1. Décision n° 2015-710 DC du 12 février 2015, Loi relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. []
  2. L’acte de saisine n’est en effet publié qu’une fois que le Conseil constitutionnel a rendu sa décision : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2015/2015-710-dc/saisine-par-60-senateurs.143273.html. []
  3. Considérant 4. []
  4. Considérant 5. []
  5. Considérant 4. []
  6. Considérant 6. []
  7. L’article 2 du Code civil s’imposera également au Gouvernement dès lors que l’ordonnance, tant qu’elle n’est pas ratifiée, est inférieure à la loi dans la hiérarchie des normes et dès lors que la loi d’habilitation ne permet pas au Gouvernement d’adopter des dispositions rétroactives par dérogation à l’article 2 du Code civil. Le Gouvernement a indiqué dans ses observations lors de la saisine du Conseil constitutionnel qu’il n’avait aucunement l’intention d’adopter des dispositions rétroactives. []

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