L’absence d’immunité civile de l’enfant mineur en présence de parents responsables rappelée

Obs. sous civ. 2e, 11 sept. 2014, n° 13-16.897 (à paraître) :

Il est des règles jurisprudentielles qui paraissent tellement certaines qu’elles ne sont plus contestées devant la Cour de cassation. Les années passent et l’absence de pourvoi empêche la Haute juridiction de rappeler ces règles, ce qui peut finir, paradoxalement, par semer le doute. Une piqûre de rappel est donc toujours la bienvenue, aussi évidente la solution puisse-t-elle paraître.

Une telle occasion a été récemment offerte à la Cour de cassation par un pourvoi dont l’unique moyen affirmait sans ambages que « la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur fait obstacle à ce que celui-ci soit personnellement tenu à indemniser la victime ». La deuxième chambre civile aurait pu se contenter de rejeter le pourvoi dans un arrêt inédit, au lieu de cela elle rend un arrêt publié comportant un attendu de principe on ne peut plus clair : « la condamnation des père et mère sur le fondement de l’article 1384, alinéa 4, du code civil ne fait pas obstacle à la condamnation personnelle du mineur sur le fondement de l’article 1382 du code civil ». Il aurait pu être tentant d’accorder à l’enfant une immunité civile sur le fondement de l’article 1384, alinéa 4, du Code civil à l’instar de celle dont jouit le préposé sur le fondement de l’alinéa 5 du même article. Le pourvoi allait en ce sens mais cette solution est rejetée sans aucune ambiguïté par la Cour de cassation. Les parents et l’enfant sont donc responsables in solidum, à la condition toutefois que l’enfant soit fautif, puisque si le simple fait causal de l’enfant permet d’engager la responsabilité de ses parents(1), elle ne suffit pas en revanche pour engager la responsabilité de l’enfant qui nécessite la preuve d’une faute ou du fait d’une chose se trouvant sous sa garde.

Responsabilité parents immunité civile enfant

La Haute juridiction aurait pu s’arrêter là, mais elle va plus loin, en rappelant que la minorité de l’enfant ne fait pas obstacle à sa responsabilité pour faute sur le fondement de l’article 1382 du Code civil : « Et attendu que l’arrêt retient à bon droit que la minorité de M. X… ne fait pas obstacle à sa condamnation à indemniser la victime pour le dommage qu’elle a subi à la suite de sa faute et qu’il doit l’être in solidum avec ses parents ». Là aussi la solution n’est guère surprenante puisque l’on savait déjà que l’absence de capacité de discernement de l’enfant n’était pas exclusive de sa responsabilité pour faute(2), il en va donc de même, à plus forte raison, de sa minorité.

On relèvera enfin une dernière précision à la toute fin du conclusif, dans un arrêt décidément pédagogique : l’enfant est obligé « in solidum avec ses parents lesquels, seuls, sont tenus solidairement ». Les coresponsables sont en principe tenus in solidum envers la victime et non solidairement du fait de la conjonction de plusieurs principes : l’obligation conjointe est le principe, l’obligation solidaire est donc l’exception(3), donc d’interprétation stricte, or la loi ne prévoit pas de solidarité en cas de cumul de responsabilités. L’obligation in solidum est donc une invention de la jurisprudence pour contourner l’absence de solidarité en matière de cumul de responsabilités. Il existe toutefois une exception en ce qui concerne la responsabilité des parents du fait de leur enfant qui découle de la lettre de l’article 1384, alinéa 4, du Code civil : « le père et la mère (…) sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants ». Cette exception résulte de la réforme du 4 juin 1970 puisqu’auparavant l’article 1384, alinéa 4, faisait peser la responsabilité sur celui des deux parents qui exerçait la « puissance paternelle », en principe le père.

On rappellera à cet égard que l’obligation in solidum est calquée sur l’obligation solidaire pour les rapports entre codébiteurs (contribution à la dette), mais ne reprend que les effets principaux de la solidarité pour les rapports entre créancier et débiteurs (obligation à la dette). Les effets principaux de la solidarité sont fondés sur la structure de l’obligation solidaire : elle contient un objet unique, mais une pluralité de liens obligatoires. Ainsi, dans l’obligation solidaire comme dans l’obligation in solidum, le créancier peut demander paiement à n’importe quel débiteur, voire à plusieurs débiteurs, et le paiement effectué par l’un ou plusieurs d’entre eux libère les autres vis-à-vis du créancier. Les effets secondaires de la solidarité ne sont pas fondés sur la structure de l’obligation mais sur l’existence supposée d’une communauté d’intérêts entre les codébiteurs qui conduit à considérer que chacun a qualité, dans une certaine mesure, pour représenter les autres. Ainsi, tout acte interrompant la prescription à l’égard de l’un des débiteurs l’interrompt également à l’égard de tous les autres(4) . On estime qu’une telle solution serait trop sévère vis-à-vis des coresponsables qui ne sont liés par aucune communauté d’intérêts, c’est pourquoi l’obligation in solidum ne reprend que les effets principaux de la solidarité.

On aurait tort de penser que ces questions sont purement académiques

On aurait tort de penser que ces questions sont purement académiques puisque la victime aurait de toute façon intérêt à n’assigner que les parents, toujours plus solvables que l’enfant. Cette croyance largement répandue est aussi largement erronée. Dans la majorité des cas l’enfant sera couvert par l’assurance multirisque habitation contractée par ses parents. Celle-ci contient en effet souvent une assurance « responsabilité du chef de famille » couvrant la responsabilité personnelle de l’enfant(5). Les étudiants ne doivent donc pas oublier qu’il faut toujours, dans un cas pratique, envisager à la fois la responsabilité des parents et celle de l’enfant.

L’arrêt est reproduit in extenso ci-dessous. Continuer la lecture

Notes de bas de page :
  1. Arrêt Levert, civ. 2e, 10 mai 2001, n° 99-11.287. []
  2. Arrêt Fullenwarth, ass. plén., 9 mai 1984, n° 80-93.481 ; civ. 2e, 19 févr. 1997, n° 94-19726. []
  3. C. civ., art. 1202. []
  4. C. civ., art. 1206. []
  5. Lamy Droit de la responsabilité civile, éd. 2014, 243-51. []

Responsabilité du commettant et du préposé – Fiche notion

Abus de fonctions, limites de la mission excédées, agissements hors des fonctions, sans autorisation, et à des fins étrangères aux attributions, etc., il est facile de s’emmêler les pinceaux lorsqu’il est question de la responsabilité du commettant ou de celle de son préposé. Il n’y a pourtant rien de compliqué dès lors que l’on a compris une chose élémentaire : la question de la responsabilité du commettant et celle de la responsabilité du préposé doivent être examinées indépendamment l’une de l’autre. Ces deux questions doivent être rigoureusement distinguées car elles font l’objet de deux régimes distincts.

Responsabilité du commettant et du préposé

La seule condition commune aux deux régimes est l’existence d’un lien de préposition. Il faut en effet commencer par caractériser ce lien de préposition car sans lui il n’y a ni commettant ni préposé. « Le rapport de subordination d’où découle la responsabilité mise à la charge des commettants par l’article 1384, alinéa 5, du Code civil suppose de la part de ceux-ci le pouvoir de faire acte d’autorité en donnant à leurs préposés des ordres ou instructions sur la manière de remplir, fût-ce à titre temporaire et sans contrepartie financière, l’emploi confié »(1). Dans l’écrasante majorité des cas, le lien de préposition sera caractérisé par la présence d’un contrat de travail car celui-ci implique l’existence d’un lien de subordination, qui est une forme de lien de préposition. On notera à cet égard que « l’indépendance professionnelle dont jouit le médecin dans l’exercice même de son art n’est pas incompatible avec l’état de subordination qui résulte d’un contrat de louage de services le liant à un tiers », un médecin salarié est donc bien un préposé(2). Il reste possible de caractériser un lien de préposition en dehors de tout contrat de travail, pour ces cas particuliers on renverra à la jurisprudence agrégée par les éditeurs Dalloz et Litec sous l’article 1384 du Code civil.

Une fois le lien de préposition caractérisé, on peut étudier la responsabilité du fait d’autrui du commettant (I), puis la responsabilité personnelle du préposé (II). Ces deux questions sont totalement indépendantes, il est donc possible que les deux responsabilités se cumulent, il faudra alors envisager la contribution à la dette (III).

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Notes de bas de page :
  1. Cass. crim., 14 juin 1990, n° 88-87.396, solution constante. []
  2. Cass. crim., 5 mars 1992, n° 91-81.888. []

L’infraction pénale non intentionnelle n’est plus exclusive de l’immunité du préposé

Obs. sous Cass. crim., 27 mai 2014 (n° 13-80.849) :

La faute du préposé engageait initialement à la fois la responsabilité du fait d’autrui du commettant (art. 1384, al. 5, du Code civil, sauf abus de fonctions) et la responsabilité personnelle pour faute du préposé (art. 1382 du même code). Depuis l’arrêt Costedoat rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation en 2000, « n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant »(1). La victime peut en réalité toujours assigner l’assureur du préposé, ce qui a conduit la Cour de cassation et la doctrine à parler d’immunité du préposé plutôt que d’irresponsabilité(2).

Les contours de cette immunité ont été précisés très progressivement depuis l’arrêt Costedoat au fil des arrêts rendus par la Cour de cassation. C’est d’abord dans l’arrêt Cousin, en 2001, que l’Assemblée plénière a énoncé que « le préposé condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis, fût-ce sur l’ordre du commettant, une infraction ayant porté préjudice à un tiers, engage sa responsabilité civile à l’égard de celui-ci »(3). L’immunité du préposé tombe donc en présence d’une condamnation pénale consécutive à la commission d’une infraction pénale intentionnelle. L’exigence d’une condamnation pénale a ensuite été abandonnée en 2004, la caractérisation d’une faute pénale intentionnelle étant suffisante(4). Puis c’est l’exigence d’une faute pénale intentionnelle qui a été assouplie : une faute pénale qualifiée au sens de l’article 121-3 du Code pénal a été jugée suffisante en 2006 pour faire tomber l’immunité du préposé(5). Ce mouvement de réduction de l’immunité du préposé a atteint son apogée lorsque la deuxième chambre civile a déclaré, en 2007, que le préposé bénéficiait d’une immunité « hors le cas où le préjudice de la victime résulte d’une infraction pénale ou d’une faute intentionnelle »(6). Le préposé engageait donc sa responsabilité personnelle dès lors qu’il avait excédé les limites de sa mission, commis une infraction pénale quelconque ou commis une faute civile intentionnelle, solution sévère pour le préposé mais favorable à la victime dans les rares hypothèses où le commettant serait insolvable et non assuré. Solution également favorable au commettant qui peut, en l’absence d’immunité, intenter un recours subrogatoire contre son préposé.

On pouvait penser que les contours de l’immunité du préposé étaient désormais fixés : on conçoit difficilement comment il serait possible de restreindre davantage cette immunité sans l’anéantir totalement. La chambre criminelle vient pourtant de rendre un arrêt le 27 mai 2014 qui fait à nouveau bouger les frontières de l’immunité, mais cette fois à rebours du mouvement initié depuis l’arrêt Cousin de 2001.

L’infraction pénale non intentionnelle ne fait plus tomber l’immunité du préposé

En l’espèce un salarié, marin pêcheur, chargé par son employeur de placer le produit de la pêche dans la glacière de la criée du port, en a été empêché par une fourgonnette arrêtée devant le bâtiment. Il a pénétré dans le véhicule et l’a déplacé, blessant grièvement, dans la manœuvre, son propriétaire qui chargeait des marchandises par la portière latérale gauche. La Cour d’appel de Poitiers a déclaré le salarié coupable du délit de blessures involontaires, mais lui a néanmoins reconnu une immunité pour les intérêts civils. La chambre criminelle ne casse pas l’arrêt sur ce point et approuve la Cour d’appel d’avoir retenu l’immunité du préposé « condamné pour une infraction non intentionnelle ». Il apparaît donc clairement dans cet arrêt que l’infraction pénale non intentionnelle ne suffit pas à faire tomber l’immunité du préposé.

Port de Calais - Bateaux de pêcheLa position de la chambre criminelle de la Cour de cassation est désormais claire. Celle-ci avait en effet cassé en 2010 l’arrêt d’une cour d’appel qui avait retenu que le préposé, « en conduisant un véhicule automobile sans être titulaire du permis de conduire, (…) n’a pu qu’excéder les limites de la mission qui lui avait été impartie »(7). L’interprétation de l’arrêt n’était cependant pas évidente à l’époque car la chambre criminelle s’était contentée d’affirmer que la commission d’une infraction pénale n’entraînait pas nécessairement un dépassement des limites de la mission, ce qui n’est pas nouveau. Le commettant peut en effet ordonner à son préposé de commettre une infraction pénale, le préposé pourra alors commettre l’infraction pénale sans excéder les limites de sa mission. Cependant la chambre criminelle aurait pu, au lieu de casser l’arrêt, relever que l’infraction pénale, même commise dans les limites de la mission, faisait tomber l’immunité. En ne le faisant pas, on pouvait penser que la chambre criminelle avait adopté une solution différente de celle retenue par la deuxième chambre civile en 2007. Il s’agissait cependant d’une interprétation incertaine, et de surcroît cet arrêt de 2010 était inédit. L’arrêt de 2014 permet de dissiper ces doutes.

Trois lectures de cette solution nouvelle me semblent donc possibles : soit il s’agit d’un rétropédalage de la Cour de cassation qui est allée un peu loin dans le mouvement de réduction de l’immunité du préposé, soit les mots choisis par la deuxième chambre civile en 2007 ont dépassé sa pensée, soit il existe une divergence de jurisprudence entre la deuxième chambre civile et la chambre criminelle. Il faudra attendre de nouveaux arrêts pour dire quelle analyse est la bonne.

L’arrêt se prononce par ailleurs sur l’articulation de la loi du 5 juillet 1985 avec la responsabilité du commettant du fait de son préposé : « les dispositions d’ordre public de la loi du 5 juillet 1985 relatives à l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation n’excluent pas celles de l’article 1384, alinéa 5, du code civil relatives à la responsabilité du commettant du fait du préposé ». La deuxième chambre civile avait déjà affirmé en 2009, dans un arrêt de principe, que « n’est pas tenu à indemnisation à l’égard de la victime le préposé conducteur d’un véhicule de son commettant impliqué dans un accident de la circulation qui agit dans les limites de la mission qui lui a été impartie »(8). Cette solution constitue indéniablement une exception au principe d’exclusivité du régime de la loi de 1985 et a pu être critiquée pour cette raison. La loi de 1985 a en effet pour objectif premier l’indemnisation des victimes, c’est pourquoi son régime est fortement dérogatoire au droit commun, autonome et d’application exclusive. Le régime de l’article 1384, alinéa 5, du Code civil vient ici interférer avec cet objectif poursuivi par le législateur en accordant une immunité au préposé qui prive la victime d’un débiteur supplémentaire.

Le commettant exerce les pouvoirs d’usage, de contrôle et de direction du véhicule par le truchement de son préposé

Cet arrêt nous donne enfin un éclairage intéressant sur le transfert de la garde entre un propriétaire et un commettant. Rappelons que les responsables sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985 relative aux accidents de la circulation sont à la fois le conducteur et le gardien du véhicule. Lorsqu’il y a un rapport de préposition, le préposé sera responsable en tant que conducteur, mais il ne pourra jamais être considéré comme gardien – sauf abus de fonctions – la Cour de cassation ayant jugé à plusieurs reprises que « ces deux qualités sont incompatibles »(9). La solution est donc simple lorsque le commettant est propriétaire du véhicule : il est présumé gardien du véhicule, et cette présomption ne peut être combattue puisque la garde ne peut avoir été transférée au préposé. Mais qui sera reconnu gardien du véhicule lorsque le commettant et le propriétaire seront deux personnes distinctes ? La garde est-elle toujours exercée par le propriétaire du véhicule (présomption simple), ou est-elle transférée au commettant dès lors que son préposé devient conducteur du véhicule ? La seconde solution nous semble plus logique, et c’est celle qui a été retenue dans notre arrêt du 27 mai 2014 où la victime était propriétaire du véhicule. Le commettant exerce les pouvoirs d’usage, de contrôle et de direction du véhicule par le truchement de son préposé, concrètement par le biais des ordres qu’il lui donne. C’est en quelque sorte un pouvoir de garde médiat de la chose. Dès lors que le préposé conduit le véhicule, il n’y aurait aucun sens à considérer que le propriétaire en reste gardien au seul motif que les qualités de préposé et de gardien sont incompatibles. Si ni le propriétaire ni le préposé ne peuvent être considérés comme gardien du véhicule, il ne reste que le commettant.

L’arrêt est reproduit in extenso ci-dessous.

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Notes de bas de page :
  1. Cass. ass. plén., 25 févr. 2000, n° 97-17.378, n° 97-20.152 []
  2. « cette immunité n’emportant pas l’irresponsabilité de son bénéficiaire », Cass. civ. 1re, 12 juill. 2007, n° 06-12.624, n° 06-13.790. V. aussi G. Viney, P. Jourdain, S. Carval, Les conditions de la responsabilité, LGDJ, 2013, 4e éd., n° 811-5, p. 1085. []
  3. Cass. ass. plén., 14 déc. 2001, n° 00-82.066. []
  4. « le préposé qui a intentionnellement commis une infraction ayant porté préjudice à un tiers engage sa responsabilité civile à l’égard de celui-ci, alors même que la juridiction répressive qui, saisie de la seule action civile, a déclaré l’infraction constituée en tous ses éléments, n’a prononcé contre lui aucune condamnation pénale », Cass. crim., 7 avr. 2004, n° 03-86.203. []
  5. Cass. crim., 28 mars 2006, n° 05-82.975. []
  6. Cass. civ. 2e, 20 déc. 2007, n° 07-11.679 []
  7. Cass. crim., 19 oct. 2010, n° 09-87.983 []
  8. Cass. civ. 2e, 28 mai 2009, n° 08-13.310. []
  9. Cass. civ. 2e, 1er avr. 1998, n° 96-17.903, et ce n’est pas un poisson d’avril. []