Les obligations du propriétaire et du locataire relatives aux détecteurs de fumée

L’installation de détecteurs de fumée dans les immeubles à usage d’habitation sera rendue obligatoire à compter du 8 mars 2015(1). Des informations parfois erronées ou approximatives circulent sur la nature des obligations respectives du propriétaire et de l’éventuel locataire. Les professionnels de l’immobilier ne sont en effet pas toujours bien renseignés et certains entrepreneurs peu scrupuleux jouent sur les mots lorsqu’ils démarchent de nouveaux clients. Par ailleurs, aussi surprenant que cela puisse paraître, ces obligations légales ne sont pour l’instant assorties d’aucune sanction spécifique ! Je vais donc revenir sur ces différents points en prenant soin de citer systématiquement les textes de loi et décrets applicables, ce qui permettra à chacun de vérifier les informations communiquées en remontant à leurs sources(2).

Détecteur de fumée alerte incendie

Les obligations respectives du propriétaire et de l’occupant après le 8 mars 2015

Ces obligations sont définies à l’alinéa 1er de l’article L129-8 du Code de la construction et de l’habitation qui entrera en vigueur le 10 mars 2015 :

« Le propriétaire d’un logement installe dans celui-ci au moins un détecteur de fumée normalisé et s’assure, si le logement est mis en location, de son bon fonctionnement lors de l’établissement de l’état des lieux mentionné à l’article 3-2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986. L’occupant d’un logement, qu’il soit locataire ou propriétaire, veille à l’entretien et au bon fonctionnement de ce dispositif et assure son renouvellement, si nécessaire, tant qu’il occupe le logement. »

La loi impose donc d’installer un détecteur de fumée dans tous les immeubles à usage d’habitation, qu’ils soient loués ou non.

Lorsque le propriétaire occupe le logement, c’est-à-dire lorsque le propriétaire et l’occupant sont une seule et même personne, alors la situation est simple : il incombe au propriétaire-occupant d’acheter, d’installer et de s’assurer du bon fonctionnement du détecteur de fumée. L’article L129-8 précité dispose qu’il doit y avoir au moins un détecteur par logement, et c’est tout ! Certains entrepreneurs vous diront qu’il en faut au moins un par étage, c’est faux. Les différents sites Internet gouvernementaux recommandent d’installer au moins un détecteur par étage(3), il ne s’agit que d’une recommandation, le propriétaire n’est légalement tenu d’installer qu’un seul détecteur par logement.

Lorsque le propriétaire loue ou prête son immeuble, alors le propriétaire est légalement obligé de délivrer un logement équipé d’un détecteur de fumée en état de fonctionnement. On veillera à ce que cela soit bien mentionné dans l’état des lieux d’entrée, cela permettra au propriétaire de prouver qu’il a bien exécuté son obligation légale et d’exiger du locataire, lorsque le bail prendra fin, de restituer le logement avec un détecteur de fumée en état de fonctionnement. Une fois l’occupant installé dans les lieux, la loi lui impose en effet d’entretenir le détecteur de fumée (concrètement, d’en changer les piles) et même de le remplacer si celui-ci ne fonctionne plus ! Pendant la durée du contrat de bail, ce n’est pas au propriétaire-bailleur de remplacer les piles du détecteur de fumée ou de remplacer le détecteur de fumée s’il tombe en panne. Le locataire devra donc, au terme du contrat de bail, restituer le logement avec un détecteur de fumée en état de fonctionnement, à défaut cela pourra être constaté dans l’état des lieux de sortie et la somme nécessaire au remplacement des piles ou du détecteur pourra être déduite de l’éventuel dépôt de garantie.

L’obligation d’entretenir le détecteur de fumée et de le remplacer s’il ne fonctionne plus incombe exceptionnellement au propriétaire et non au locataire dans certains cas de figure : les locations saisonnières, les foyers, les logements de fonction et les locations meublées(4).

Le propriétaire n’a pas à installer le détecteur si le logement est loué le 8 mars 2015

Si le logement fait l’objet d’un contrat de bail en cours lorsque la loi entre en vigueur le 8 mars 2015, alors le propriétaire sera dispensé de l’obligation d’installation du détecteur de fumée. Il devra néanmoins soit fournir un détecteur de fumée au locataire, soit lui rembourser le prix d’achat du détecteur de fumée. L’installation sera en revanche à la charge du locataire. C’est l’article 3 III de la loi du 24 mars 2014(5) qui prévoit cela :

« Pour les logements occupés par un locataire au moment de l’entrée en vigueur de l’article 1er de la loi n° 2010-238 du 9 mars 2010 visant à rendre obligatoire l’installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d’habitation, l’obligation d’installation faite au propriétaire est satisfaite par la fourniture d’un détecteur à son locataire ou, s’il le souhaite, par le remboursement au locataire de l’achat du détecteur. »

L’état des lieux d’entrée ayant déjà été rédigé, il est vivement conseillé au propriétaire de se ménager une preuve de la fourniture du détecteur en faisant signer au locataire un document attestant de celle-ci. Par exemple :

Je soussigné <nom et prénom du locataire>, locataire de l’appartement sis au <adresse du logement>, reconnais avoir reçu ce jour, de la part du bailleur, un (1) détecteur de fumée normalisé conforme à la norme NF EN 14604.

Fait à <ville>, le <date>

<signature du locataire>

Il n’y a aucune obligation de recourir à un entrepreneur pour l’installation

La loi n’oblige aucunement de recourir à un professionnel pour procéder à l’installation du détecteur de fumée. Le propriétaire ou le locataire, selon celui sur lequel pèse l’obligation d’installation, peut procéder lui-même à l’installation. Cela est d’ailleurs relativement simple en pratique car il suffit d’une perceuse, de deux vis et de deux chevilles. Il existe même des kits d’installation à base d’adhésifs pour ceux qui ne veulent pas avoir à percer le plafond.

Certains entrepreneurs peuvent tenter d’induire en erreur leurs clients en jouant sur la notion d’attestation mentionnée dans les textes. Le troisième alinéa de l’article L129-8 du Code de la construction et de l’habitation dispose en effet que « L’occupant du logement notifie cette installation à l’assureur avec lequel il a conclu un contrat garantissant les dommages d’incendie » et l’alinéa 1er de l’article R129-15 du même code précise que « La notification prévue au troisième alinéa du L. 129-8 se fait par la remise d’une attestation à l’assureur avec lequel il a conclu un contrat garantissant les dommages d’incendie (…) ».

Mais cette attestation n’a absolument pas à être établie par un professionnel ! Pour preuve, l’arrêté du 13 mars 2014(6) propose en annexe un modèle d’attestation que chacun peut reprendre et envoyer à son assureur :

« Je soussigné
(nom, prénom de l’assuré), détenteur du contrat n°
(numéro du contrat de l’assuré) atteste avoir installé un détecteur de fumée normalisé au
(adresse de l’assuré) conforme à la norme NF EN 14604. »

Ces obligations légales ne sont pour l’instant assorties d’aucune sanction spécifique

De l’aveu même des sites gouvernementaux, « aucune sanction n’est actuellement prévue par la réglementation en cas de non installation du détecteur de fumée »(7).

Ainsi, selon l’article L113-11 du Code des assurances, « Sont nulles (…) 3° Toutes clauses frappant de déchéance l’assuré en cas de non-respect des dispositions prévues aux articles L. 129-8 et L. 129-9 du code de la construction et de l’habitation. » L’assureur ne pourra donc pas refuser d’indemniser l’assuré en cas d’incendie au motif que celui-ci n’avait pas installé de détecteur de fumée. L’article L122-9 du même code énonce par ailleurs que l’assureur peut prévoir une minoration de la prime d’assurance lorsqu’un détecteur de fumée est installé dans le logement, mais ce n’est pas une obligation pour l’assureur.

Il faut toutefois rester prudent, car même si les textes ne prévoient aucune sanction spécifique il existe en droit français des mécanismes généraux qui pourraient permettre au preneur, aux victimes ou à leurs assureurs de se retourner contre celui qui n’a pas exécuté ses obligations légales. Il n’est pas exclu qu’une jurisprudence se développe sur la base de textes généraux pour sanctionner les propriétaires et les occupants n’ayant pas satisfait à leurs obligations légales en matière d’installation, d’entretien et de remplacement des détecteurs de fumée.

Il y a tout d’abord la responsabilité civile délictuelle qui repose en matière d’incendie sur un texte spécial, l’article 1384, alinéa 2, du Code civil :

« Toutefois, celui qui détient, à un titre quelconque, tout ou partie de l’immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable, vis-à-vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s’il est prouvé qu’il doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable. »

Le « détenteur » de l’immeuble (le propriétaire ou le locataire selon les cas) sera donc responsable des dommages causés à des tiers si deux conditions sont réunies : s’il a commis une faute et si cette faute a causé les préjudices subis par les tiers (proches hébergés dans le logement, voisins, etc.).

La notion de faute est entendue très largement en droit français, tout comportement est considéré comme fautif dès lors qu’une personne normalement prudente et diligente (le standard du « bon père de famille ») aurait agi différemment si elle avait été placée dans la même situation que celle du responsable. Ainsi toute violation d’une obligation légale est en principe considérée comme une faute, car une personne normalement prudente et diligente ne viole pas la loi. Le fait de ne pas installer, entretenir ou remplacer le détecteur de fumée alors qu’on y est légalement obligé est donc bien constitutif d’une faute civile(8).

En ce qui concerne le lien de causalité entre la faute et le préjudice, il est facilement envisageable : si la présence d’un détecteur de fumée en état de fonctionnement n’aurait pas permis avec certitude d’éviter le dommage, elle aurait au moins donné une chance supplémentaire de l’éviter en stoppant le début d’incendie avant qu’il ne se propage. Or la perte de chance est un préjudice réparable en droit français.

Peu importe par ailleurs que l’incendie n’ait pas été causé par l’occupant du logement du moment que l’absence de détecteur de fumée a fait perdre une chance d’éviter la propagation de cet incendie. La Cour de cassation a ainsi déjà jugé que « la responsabilité de celui qui détient à un titre quelconque tout ou partie de l’immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels l’incendie a pris naissance est engagée vis-à-vis des tiers victimes des dommages causés par cet incendie dès lors qu’il est prouvé que soit la naissance dudit incendie soit son aggravation ou son extension doivent être attribuées à sa faute ou à celle des personnes dont il est responsable »(9).

Le raisonnement est rigoureusement identique pour le propriétaire qui aurait mis son immeuble en location et qui n’aurait pas installé de détecteur de fumée dans le logement. Certes, le propriétaire ne peut pas être considéré comme « détenteur » de l’immeuble car il ne l’occupe pas, sa responsabilité ne peut donc pas être engagée sur le fondement de l’article 1384, alinéa 2, du Code civil. Mais sa responsabilité pourrait alors être engagée sur le fondement de l’article 1382 du Code civil qui exige des conditions identiques : une faute du responsable, un préjudice subi par la victime, et un lien de causalité entre la faute et le préjudice. Le fait de ne pas avoir respecté l’obligation légale qui impose l’installation d’un détecteur de fumée est bien une faute et en cas d’incendie cette faute aura fait perdre une chance d’éviter le dommage.

Enfin, nous avons pour l’instant envisagé l’action d’un tiers-victime contre le locataire ou le propriétaire n’ayant pas exécuté ses obligations légales, mais une action du locataire dirigée contre le propriétaire est également envisageable. L’article 1719 du Code civil oblige en effet le bailleur à délivrer un logement décent au preneur. La Cour de cassation pourrait considérer que la délivrance d’un logement non équipé d’un détecteur de fumée, alors qu’il s’agit d’une obligation légale, soit constitutif d’une violation de l’obligation de délivrance du contrat de bail. Le locataire pourrait alors intenter une action de nature contractuelle contre le bailleur soit pour le contraindre à installer un détecteur de fumée (action en exécution forcée), soit pour demander la réparation de la perte de chance subie en cas d’incendie (action en responsabilité contractuelle qui pourrait également être exercée par l’assureur du locataire si celui-ci a déjà indemnisé la victime).

Tout cela est bien sur hypothétique car aucune jurisprudence n’a encore eu le temps de se développer sur la base de ces textes qui ne sont pas encore entrés en vigueur, mais il s’agit d’éventualités qui ne sont pas à exclure. Je ne saurais donc que conseiller à chacun, propriétaire comme locataires, de respecter les obligations légales qui lui incombent en la matière et que j’ai rappelées dans ce billet.

Notes de bas de page :
  1. Article 5, I de la loi n° 2010-238 du 9 mars 2010 visant à rendre obligatoire l’installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d’habitation (NOR LOGX0508798L) et article 3 du décret n° 2011-36 du 10 janvier 2011 relatif à l’installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d’habitation (NOR DEVL1022270D). []
  2. Pour consulter une loi, un décret ou un arrêté il suffit de saisir son numéro « NOR », que j’indique systématiquement en note de bas de page, dans la case correspondante du formulaire de recherche du site Legifrance. Pour consulter les articles du Code de la construction et de l’habitation, il suffit d’utiliser ce lien qui contient la version du code au 10 mars 2015. []
  3. Les sites du Ministère de l’intérieur et du Ministère du logement et le site service-public.fr utilisent bien le terme « recommandé ». []
  4. Article L129-8, alinéa 2, du Code de la construction et de l’habitation. []
  5. Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (NOR ETLX1313501L). []
  6. Annexe 2 de l’arrêté du 5 février 2013 relatif à l’application des articles R. 129-12 à R. 129-15 du code de la construction et de l’habitation (NOR ETLL1126574A). []
  7. Site du Ministère de l’intérieur et site service-public.fr. []
  8. Encore faut-il que la victime parvienne à prouver cette faute, ce qui est quasiment impossible si la faute incombe au locataire et consiste à ne pas avoir remplacé les piles usagées du détecteur de fumée ou à ne pas avoir remplacé un détecteur défectueux. En effet, comment prouver, une fois que le détecteur a été détruit dans l’incendie, que celui-ci n’était pas en état de fonctionnement au moment de l’incendie ? []
  9. Civ. 3e, 31 mai 1976, Bull civ. III, n° 236, p. 182, n° 75-11.095. []