Méthodologie de l’introduction du commentaire d’arrêt

Le commentaire d’arrêt est un exercice purement académique si bien qu’il apparaît souvent aux yeux de l’étudiant de première année comme inutile, à l’instar de son formalisme jugé trop contraignant. En réalité ses bénéfices sont doubles.

Introduction du commentaire d'arrêt

D’abord sur le fond, savoir analyser un arrêt pour en dégager l’apport et en esquisser les suites prévisibles est indispensable à la pratique de n’importe quelle profession juridique. Le droit est vivant, les connaissances acquises lors des cours magistraux ne seront par conséquent jamais suffisantes, l’étudiant doit être capable de raisonner par lui même pour pouvoir les actualiser. Même dans un système de civil law victime de l’inflation législative comme le nôtre, la jurisprudence occupe une place prépondérante, plus encore dans certaines branches comme le droit de la responsabilité civile. Or, contrairement aux pays de common law, les arrêts de la Cour de cassation adoptent un style lapidaire qui rend leur compréhension malaisée à ceux qui ne sont pas rompus à la technique de cassation. L’exercice du commentaire d’arrêt permet donc de former l’étudiant à l’analyse de la jurisprudence afin qu’il puisse par la suite en extraire seul la quintessence, ce qui lui sera utile à l’exercice de sa profession quelle qu’elle soit (avocat, juriste d’entreprise, huissier, enseignant, etc).

Ensuite sur la forme, qui peut paraître inutilement pesante, il s’agit cette fois d’apprendre à structurer son raisonnement. Avoir compris est une chose, faire comprendre en est une autre. Or, là encore quelle que soit sa profession future, l’étudiant sera amené à communiquer avec d’autres spécialistes ou des profanes, il devra donc être capable de retranscrire sa pensée de la manière la plus intelligible possible. Mieux, il devra souvent convaincre, la forme aura alors au moins autant d’importance que le fond. « La forme, c’est le fond qui remonte à la surface » écrivait Hugo. Nombre d’étudiants argueront que le cadre du commentaire d’arrêt a l’inconvénient de la rigidité, et que la pensée souvent complexe se laisse difficilement enfermer dans un cadre aussi simpliste. Pourquoi diable aller contre nature en cherchant à réduire son raisonnement à une division binaire quand l’arrêt répond à un pourvoi composé de trois moyens se prêtant ainsi a priori parfaitement à une division tripartite ? En réalité les commentaires qui peuvent difficilement se réduire à un raisonnement binaire sont extrêmement rares, l’étudiant doit faire un effort de conceptualisation pour réduire sa pensée à deux axes. Surtout, et on en revient toujours au même, il faut penser à son interlocuteur, rendre sa pensée la plus intelligible possible. Si l’on rédige un commentaire d’arrêt, c’est pour qu’il soit lu, en l’occurrence par un correcteur. Ce dernier a en général un nombre important de copies à corriger, et sa tâche serait extrêmement complexe si chaque étudiant adoptait une structure particulière pour son devoir. Certes, ce formalisme peut être un peu pesant pour l’étudiant, mais c’est un élément à part entière de la formation de juriste, l’étudiant doit être capable d’appliquer des règles de forme strictes. Que l’on songe aux avocats qui rédigent des conclusions ou mémoires, aux huissiers qui effectuent des actes de procédure ou encore aux magistrats qui rédigent des décisions, chaque profession juridique a sa part de formalisme.

Après ce long propos introductif qui aura, à n’en pas douter, définitivement convaincu l’étudiant de l’utilité du commentaire d’arrêt, attaquons le vif du sujet.

L’introduction est probablement la partie la plus formaliste du commentaire d’arrêt, elle ne laisse pas beaucoup de place à l’imagination excepté dans la phrase d’accroche et dans l’annonce de plan. Ces deux parties mises à part, l’introduction est mutatis mutandis une fiche d’arrêt, c’est-à-dire, très schématiquement : faits, procédure, problème de droit et solution.

Il serait très difficile d’énumérer exhaustivement toutes les conventions d’usage applicables à l’introduction du commentaire d’arrêt, je n’ai nullement la prétention de condenser des années d’apprentissage en un simple billet de blog, et le résultat serait de surcroit probablement indigeste. Je tenterai par conséquent dans ce billet de rappeler les principales règles et celles qui sont, d’après ma modeste expérience de correcteur, les plus méconnues quantitativement.

Pour illustrer le propos, j’utiliserai le célèbre arrêt Cruz rendu le 15 décembre 1993 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation relatif à l’exécution forcée de la promesse unilatérale de vente. C’est un arrêt très court, qui a fait l’objet d’abondants commentaires de la part de la doctrine, et dont la solution ne semble toujours pas solidement fixée en jurisprudence. La promesse unilatérale de vente (souvent désignée par ses initiales PUV entre juristes) est parfois étudiée en droit des contrats, un cours dispensé en licence 2, ou en droit des contrats spéciaux, un cours dispensé en licence 3 ou en master 1 selon les universités, cependant on ne s’attachera que très peu au fond ici, c’est la méthodologie qui nous intéresse et donc la forme.

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 8 novembre 1990), que Mme Y…, qui avait consenti, le 22 mai 1987, aux consorts X… une promesse de vente d’un immeuble, valable jusqu’au 1er septembre 1987, a notifié aux bénéficiaires, le 26 mai 1987, sa décision de ne plus vendre ; que les consorts X…, ayant levé l’option le 10 juin 1987, ont assigné la promettante en réalisation forcée de la vente ;

Attendu que les consorts X… font grief à l’arrêt de les débouter de cette demande, alors, selon le moyen, que, dans une promesse de vente, l’obligation du promettant constitue une obligation de donner ; qu’en rejetant la demande des bénéficiaires en réalisation forcée de la vente au motif qu’il s’agit d’une obligation de faire, la cour d’appel a ainsi violé les articles 1134 et 1589 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d’appel, ayant exactement retenu que tant que les bénéficiaires n’avaient pas déclaré acquérir, l’obligation de la promettante ne constituait qu’une obligation de faire et que la levée d’option, postérieure à la rétractation de la promettante, excluait toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d’acquérir, le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.

La phrase d’accroche

Devant sa feuille blanche, l’étudiant de première année à la plume fébrile est saisi d’une question que l’on s’est tous posée : comment commencer son commentaire ? Certainement pas directement par les faits, ce serait très abrupt et c’est pourquoi on exige une phrase d’accroche. On parle communément de « phrase d’accroche », mais en réalité il peut y en avoir deux ou trois tant que le tout tienne en un paragraphe de taille raisonnable.

On doit retrouver dans l’accroche les références de l’arrêt commenté, c’est-à-dire la juridiction et la date, ce qui permettra ensuite d’attaquer les faits par « En l’espèce (…) ».

A défaut d’inspiration on pourra utiliser une phrase vraiment très basique contenant les références de l’arrêt donc, mais aussi son thème. Le correcteur retrouvera probablement la même phrase d’accroche dans les trois quarts des copies, mais ce sera toujours beaucoup mieux que de ne pas en mettre, écueil que l’on retrouve malheureusement toujours dans quelques copies, quel que soit le niveau. Pour notre arrêt cela donnerait par exemple :

Dans un arrêt du 15 décembre 1993, la troisième chambre civile de la Cour de cassation aborde le délicat sujet de l’exécution forcée en nature de la promesse unilatérale de vente.

Les meilleurs étudiants, qui auront à coeur que leur copie se détache du lot, chercheront une phrase d’accroche plus originale. Toutes les phrases sont bonnes tant qu’elles ne sont pas hors sujet et qu’elles respectent les quelques règles qui ont été énumérées. Lors d’un devoir maison, il est relativement aisé de trouver une accroche originale car l’étudiant a le temps de chercher l’inspiration ou de trouver une citation. Lors d’une épreuve, limitée en général à trois heures, l’opération est beaucoup plus délicate car assez chronophage avec le risque pour l’étudiant, pressé par le temps, de se contenter finalement d’une accroche au lien très distendu avec l’arrêt commenté. La meilleure solution, bien que peu pédagogique, reste peut-être de noter quelques citations glanées au fil des lectures et de les apprendre par coeur avant l’épreuve, avec leurs références bien sûr car il faut offrir au correcteur le moyen de vérifier l’exactitude de la citation employée. En se débrouillant, on peut couvrir la totalité des arrêts potentiels avec seulement une petite dizaine de citations. Pour notre arrêt cela pourrait donner :

« Tel l’orfèvre de la Renaissance qui ciselait ‘le combat des Titans au pommeau d’une dague’, le juriste moderne est capable d’enfermer dans une note d’arrêt des développements à l’infini » (Jean Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Ve République, Champs Flammarion, 1996, p. 72). L’arrêt rendu le 15 décembre 1993 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation illustre parfaitement ce constat du regretté doyen Carbonnier, tant il a fait -et continue à faire- l’objet de nombreux commentaires, pour la plupart eschatologiques.

L’utilisation d’une citation ou d’une anecdote en guise d’accroche n’est conseillée que si celle-ci s’y prête véritablement, car une citation ou une anecdote qui ne serait pas pertinente serait en réalité contreproductive et jouerait en défaveur de l’étudiant. La fonction de l’accroche est d’introduire « en douceur », subtilement l’arrêt et d’éviter ainsi que le lecteur ait l’impression que le commentaire débute brutalement sur les faits de l’espèce. Si le lien n’est pas fait correctement entre la citation et l’arrêt, le correcteur va être perturbé dans sa lecture de l’accroche et sa fonction ne sera ainsi pas remplie : au lieu de commencer brutalement par les faits, le devoir va commencer par une citation débouchant brutalement ou maladroitement sur les références de l’arrêt, ce qui n’est guère mieux. Dans le pire des cas une citation ou une anecdote inopportune peut trahir une incompréhension de l’arrêt, ou du moins de ses subtilités. Il est évidemment très pénalisant pour l’étudiant de montrer dès le premier paragraphe du devoir qu’il n’a pas compris l’arrêt qu’il va commenter dans les dix pages qui vont suivre… cela donne un a priori négatif au correcteur dont il aura du mal à se départir. C’est pourquoi il vaut mieux retenir une accroche « bateau » (références de l’arrêt + thème de l’arrêt) quand on n’est pas entièrement sûr de son coup.

Quelle que soit l’approche retenue, on ne doit pas retrouver de manière précise dans l’accroche les faits, la problématique, ou la solution. C’est une question de bon sens, on ne donne pas la solution avant d’avoir expliqué les faits et donné la problématique, et si on prend la peine de rédiger une accroche ce n’est pas pour recopier un élément de la fiche d’arrêt qui sera donc redondant avec la suite de l’introduction…

En une phrase, l’accroche doit effleurer le sujet sans le déflorer.

L’énoncé des faits

Maintenant que l’on connait l’arrêt commenté grâce à la phrase d’accroche, on peut enchaîner directement sur l’énoncé chronologique des faits en commençant par l’expression « en l’espèce ». L’espèce, c’est le « cas soumis au juge considéré dans l’ensemble de ses éléments de fait et de droit, en insistant volontiers sur sa singularité » (Vocabulaire juridique Cornu).

Il existe deux règles essentielles pour l’énoncé des faits.

D’abord, l’étudiant doit faire un tri dans les faits pour ne garder que les éléments strictement nécessaires à la compréhension de l’arrêt et du problème de droit. Attention cependant à ne pas omettre certains éléments qui auraient un impact sur le problème de droit ou sa solution. C’est ici la capacité de l’étudiant à ne retenir que les éléments pertinents, mais tous les éléments pertinents, qui sera jugée.

Ensuite les parties doivent être qualifiées, trop d’étudiants l’oublient ! Sauf si la partie impliquée est très connue (par exemple l’EFS) ou a une importance pour la compréhension de l’arrêt (par exemple un arrêt relatif à l’appréciation de la force majeure à l’égard de la SNCF), on ne doit pas retrouver son nom dans votre commentaire mais seulement sa qualité. Il n’y a aucun intérêt à parler de M. X… ou de Mme Y…, on parlera plutôt de vendeur, d’acquéreur, de promettant, de bénéficiaire, de créancier, de débiteur, de responsable, de victime, de solvens, d’accipiens, d’époux, d’épouse, etc. Le devoir n’en sera que plus lisible.

Naturellement, avant d’utiliser la qualification d’une partie, il faudra bien souvent introduire cette qualité. Par exemple, on n’écrira pas « une victime est blessée au cours d’un match de rugby par un responsable » mais « un joueur est blessé au cours d’un match de rugby par un membre de l’équipe adverse. La victime assigne l’auteur du dommage en responsabilité ». Pour que l’on puisse parler de victime, il faut d’abord qu’il y ait un dommage, pour que l’on puisse parler de responsable, il faut d’abord que les conditions de sa responsabilité soient établies ; il ne faut pas inverser l’ordre logique des évènements. Une fois la partie qualifiée, on la désignera dans le reste du devoir par sa qualité.

Voici ce que cela donnerait avec notre arrêt du 15 décembre 1993 :

En l’espèce une personne physique consent à deux époux une promesse unilatérale de vente ayant pour objet un immeuble. Quelques jours seulement après la conclusion de la promesse et plusieurs mois avant son terme, le promettant notifie aux bénéficiaires sa décision de ne plus vendre. Les bénéficiaires décident malgré tout de lever l’option, après la rétractation du promettant mais avant la survenance du terme de la promesse.

La procédure

Une fois les faits énoncés, l’assignation par le demandeur doit être la suite logique des évènements. Dans notre exemple les bénéficiaires ont levé l’option malgré la rétractation du promettant, il est donc logique que le promettant refuse d’exécuter la promesse, et que les bénéficiaires l’assignent en exécution forcée du contrat.

Comme pour l’énoncé des faits, il faut ici veiller à bien qualifier les parties. L’étudiant sera particulièrement vigilant à la terminologie employée, notamment:

  • Les juges du premier degré rendent des jugements ;
  • La cour d’appel et la Cour de cassation rendent des arrêts ;
  • Une partie interjette appel ;
  • Une partie se pourvoit en cassation ou forme un pourvoi en cassation ;
  • La cour d’appel confirme/infirme le jugement ;
  • La Cour de cassation casse l’arrêt ou rejette le pourvoi ;
  • Les parties à l’instance sont le demandeur/la demanderesse (et non pas la demandeuse) et le défendeur (et non pas le défenseur qui est l’avocat) ;
  • Devant la cour d’appel les parties sont l’appelant et l’intimé ;
  • Devant la Cour de cassation on parle de demandeur au pourvoi (et non pas de pourvoyeur) et de défendeur au pourvoi.

Il faut aussi être vigilant à l’emploi des majuscules dans le nom des institutions, il y a des règles précises, à ce sujet on pourra consulter utilement cet article. On peut citer ici les noms les plus utilisés : la cour d’appel de Paris(1), une cour d’appel, assemblée plénière de la Cour de cassation, Conseil constitutionnel, Conseil d’Etat, Tribunal des conflits, Gouvernement (si on vise l’organe de l’Etat français composé de ministres, sans majuscule si on utilise le nom de manière générique ou dans un sens plus large), Assemblée nationale, Sénat, Code civil/de commerce/de la consommation, etc.

La procédure doit être décrite de manière chronologique :

  1. Assignation : « la victime assigne l’auteur du dommage en responsabilité sur le fondement de l’article 1382 du Code civil »
  2. Jugement en première instance : « les juges du premier degré rejettent la demande »
  3. Une partie interjette appel : « la victime interjette appel »
  4. Arrêt de la cour d’appel avec ses références et ses motifs : « la Cour d’appel de Paris confirme le jugement dans un arrêt du 23 mars 2003, elle retient que l’auteur du dommage n’était pas doué de discernement et que sa responsabilité ne pouvait par conséquent pas être engagée sur le fondement de l’article 1382 du Code civil »
  5. Une partie se pourvoit en cassation avec les moyens du pourvoi : « la victime se pourvoit en cassation, elle soutient que la faculté de discernement de l’auteur du dommage n’est pas une condition nécessaire à l’engagement de sa responsabilité ». Un pourvoi se décompose en moyens, chaque moyen attaquant un chef du dispositif de l’arrêt de la cour d’appel. Par exemple si la cour d’appel condamne solidairement deux responsables à indemniser la victime puis prévoit une répartition de la charge finale de la dette par parts viriles, le responsable qui se pourvoit en cassation pourra contester dans un premier moyen sa condamnation à indemniser la victime, puis dans un second moyen la répartition retenue pour la contribution à la dette. Enfin chaque moyen peut se subdiviser en plusieurs branches, chaque branche correspondant à un argument attaquant le chef de dispositif critiqué par le moyen.

En pratique, il est rare que tous les éléments que l’on vient d’énumérer figurent dans l’arrêt de la Cour de cassation, les juges du quai de l’Horloge effectuant déjà un tri extrêmement sélectif. Le jugement de première instance est ainsi rarement évoqué, puisque c’est l’arrêt de la cour d’appel qui est attaqué. Il est également fréquent dans les arrêts de rejet que seuls les moyens du pourvoi rejeté soient mentionnés, et dans les arrêts de cassation que seuls les motifs critiqués soient repris. Dans ce cas, il est évident que le correcteur ne s’attendra pas à retrouver dans l’introduction des éléments que l’étudiant n’est pas en mesure de connaître.

L’étudiant veillera enfin à ne pas confondre pourvoi, arrêt de la cour d’appel, et solution de la Cour de cassation. C’est une erreur bien souvent rédhibitoire qui entraînera une mauvaise compréhension de l’arrêt et donc des contresens.

Les éléments à retenir pour retranscrire la procédure étant très nombreux, voyons ce que cela donnerait en pratique avec notre arrêt de 1993 :

Le promettant refusant de s’exécuter, les bénéficiaires l’assignent en réalisation forcée de la vente.

La Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 8 novembre 1990, rejette la demande. Elle retient que le promettant est débiteur d’une obligation de faire non susceptible d’exécution forcée en nature.

Les bénéficiaires se pourvoient alors en cassation, ils soutiennent au contraire que le promettant serait débiteur d’une obligation de donner, et que la cour d’appel aurait ainsi violé les articles 1134 et 1589 du Code civil.

S’agissant en l’espèce d’un arrêt de rejet, la Cour de cassation a reproduit les moyens du pourvoi mais pas les motifs de l’arrêt de la cour d’appel. Les motifs de l’arrêt d’appel peuvent toutefois être déduits du moyen, comme je l’ai fait : la cour d’appel semble s’être fondée sur le fait qu’il s’agissait d’une obligation de faire non susceptible d’exécution forcée en nature, si on en croit le moyen du pourvoi reproduit dans l’arrêt. Ce procédé comporte toutefois un risque : il arrive que l’avocat aux Conseils qui a rédigé le mémoire ampliatif ait légèrement modifié les motifs de l’arrêt d’appel pour les tourner à son avantage. Si l’on veut être rigoureux il faut donc, dans cette hypothèse, soit vérifier que les motifs ont été fidèlement reproduits en allant consulter l’arrêt de la cour d’appel (s’il s’agit d’un devoir maison), soit ajouter une réserve dans la fiche d’arrêt du type « D’après l’unique moyen du pourvoi reproduit dans l’arrêt de la Cour de cassation, la cour d’appel se serait fondée sur la nature de l’obligation du promettant pour rejeter la demande : il s’agirait d’une obligation de faire non susceptible d’exécution forcée en nature ».

La problématique

On connait les arguments de la cour d’appel (les motifs de son arrêt qui fondent le chef de dispositif critiqué), on connait les arguments du demandeur au pourvoi (à travers les moyens de son pourvoi), on peut donc désormais en déduire le problème de droit qui se pose aux magistrats de la Cour de cassation.

La question de droit doit être déduite du pourvoi et/ou de l’arrêt de la cour d’appel et non pas induite de la solution de la Cour de cassation. En effet, il arrive que la Cour de cassation ne réponde pas au problème qui était soulevé par le pourvoi, ou se prononce ultra petita (sous forme d’obiter dictum), ce qui aura alors une importance dans l’analyse de l’arrêt, or la seule façon de détecter cet écart entre la question posée et la réponse apportée est de déduire la question du pourvoi et non pas de l’induire de la solution… Pour ne pas se tromper, l’étudiant peut se mettre à la place des magistrats de la Haute juridiction lorsqu’ils sont saisis du pourvoi. Il va de soi que ces derniers ne peuvent pas induire la question de droit de la solution, puisqu’ils ne pourront donner la solution qu’après avoir déterminé le problème qui leur est posé…

Une fois la problématique cernée, il faut savoir comment la rédiger. Malheureusement les règles de forme sur ce point varient sensiblement d’une matière à l’autre et d’un enseignant à l’autre. Cependant on peut dégager quelques règles qui, à défaut de faire consensus, semblent majoritairement admises au moins en droit privé.

Tout d’abord, comme son nom l’indique, il s’agit d’une question de droit et non pas de fait. Si les juridictions du fond jugent en droit et en fait, la Cour de cassation elle ne juge en principe que du droit, sa mission étant d’unifier l’application du droit sur le territoire français. La Cour de cassation n’est pas un troisième degré de juridiction, mais une cour suprême. Ainsi, par exemple, il importe peu à la Cour de cassation de savoir si un contrat de prêt réel a vraiment existé en l’espèce entre les parties, c’est aux juges du fond de le dire, en revanche la question de savoir si la preuve de l’existence de ce contrat peut être apportée par le biais de témoignages peut lui être posée. La question doit donc être formulée en des termes les plus généraux possibles.

Ensuite, la question doit être abstraite, c’est-à-dire qu’elle doit garder son sens une fois extraite de son contexte. Concrètement, un juriste qui ne connait pas les faits de l’arrêt doit être en mesure de comprendre la problématique. Une problématique du type « la victime pouvait-elle assigner le responsable ? » est donc à proscrire, on lui préfèrera la problématique suivante : « la responsabilité civile pour faute de l’auteur d’un dommage non doué de discernement peut-elle être engagée ? ».

La problématique doit être la plus concise possible, mais elle doit également être complète. Par exemple, la question de la responsabilité d’un club sportif du fait de l’un de ses joueurs diffère radicalement au niveau du fondement selon qu’il s’agit d’une société employant des joueurs professionnels (art. 1384 alinéa 5 du Code civil) ou d’une association sportive dont les membres sont des joueurs amateurs (art. 1384 alinéa 1er du même code).

Enfin, on préfèrera une véritable question de droit, c’est-à-dire posée sous la forme interrogative directe et donc se terminant par un point d’interrogation. Il s’agit cependant de l’un des points les plus contestés, certains enseignants acceptant les problématiques non posées sous forme interrogative directive, voire exigeront qu’elles soient formulées de la sorte. Quoi qu’il en soit, la problématique doit être rédigée en bon français, par conséquent un mélange des formes interrogatives directe et indirecte est à proscrire : « la question est de savoir si la responsabilité civile pour faute de l’auteur d’un dommage non doué de discernement peut-elle être engagée ? » (la syntaxe est incorrecte).

Mettons encore une fois tout cela en pratique avec notre arrêt du 15 décembre 1993 :

Les juges du quai de l’Horloge devaient donc répondre au problème de droit suivant : la rétractation par le promettant d’une promesse unilatérale de vente avant son terme et avant la levée d’option est-elle efficace ?

Bien souvent la problématique peut être formulée de diverses manières tant qu’elle exprime la même idée, c’est le cas en l’espèce. On aurait par exemple pu intégrer dans la problématique la question de la nature de l’obligation que fait naitre la PUV, mais ce n’est pas indispensable puisque la question telle que nous l’avons formulée implique que la nature de l’obligation soit préalablement déterminée pour pouvoir y répondre.

La solution

Le problème soulevé par le pourvoi appelle logiquement une solution de la Cour de cassation. Il faut bien sûr que cette solution figure dans l’introduction du commentaire d’arrêt. S’il s’agit d’un attendu de principe, le mieux est de le recopier intégralement entre guillemets. A défaut, il faudra faire un effort de généralisation pour dégager une réponse à la question de droit soulevée qui se détache des particularités de l’espèce.

Une fois la solution posée en des termes généraux, il faudra préciser pourquoi l’arrêt de la cour d’appel a été approuvé ou au contraire cassé eu égard à la solution énoncée. Autrement dit, il faut appliquer la solution générale aux faits particuliers de l’espèce.

A ce stade on n’exige aucune analyse de fond de la solution, ce sera l’objet des développements suivant l’introduction. En revanche il faut mentionner toutes les informations utiles se rapportant à la solution que l’on peut dégager des seuls éléments de technique de cassation. Par exemple si l’arrêt comporte un visa, il faudra mentionner que la Cour de cassation rend sa solution au visa de tel texte ; si la solution est formulée dans un attendu de principe inédit alors il faudra indiquer que la Cour de cassation consacre le principe selon lequel(…) ; si le type de contrôle effectué par la Cour de cassation peut être déduit de l’arrêt, il sera également utile de le mentionner. Pour identifier le type de contrôle opéré, on consultera l’article très complet de Jean-François Weber disponible sur le site de la Cour de cassation.

Enfin, il faut bien sûr indiquer si le pourvoi est rejeté ou l’arrêt de la cour d’appel cassé.

Pour notre arrêt relatif à la PUV cela donnerait :

La troisième chambre civile de la Cour de cassation répond par l’affirmative et rejette par conséquent le pourvoi. Elle énonce que le promettant est débiteur d’une obligation de faire et que la levée d’option, postérieure à la rétractation de la promesse, exclut toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d’acquérir. En l’espèce la levée d’option ayant eu lieu après que la promettante se soit rétractée, le raisonnement de la cour d’appel est approuvé au terme d’un contrôle lourd.

Dans cet arrêt de 1993, le contrôle lourd est identifiable à l’emploi de l’expression « a exactement retenu » dans le conclusif.

L’annonce de plan

Il s’agit d’annoncer en une ou deux phrases les deux principaux axes du commentaire (I et II) qui doivent apparaître au lecteur comme la conséquence logique de tout ce qui vient d’être énoncé, particulièrement la solution de la Cour de cassation.

Les deux parties doivent être indiquées formellement : (I) pour la première partie, (II) pour la seconde partie. Le reste n’est que conseils de bon sens. Ainsi il ne faut pas se contenter de reprendre les intitulés des deux parties, ou l’annonce de plan serait superfétatoire. L’annonce de plan doit refléter fidèlement le contenu réel de chaque partie, faute de quoi le correcteur relèvera le décalage. Enfin, même si ça n’est pas rédhibitoire, mieux vaut éviter les annonces de plan trop scolaires du type « Nous verrons dans une première partie que… puis dans une deuxième partie que… ».

Voici une annonce de plan possible pour notre arrêt de 1993 :

Cette solution a soulevé un tolé quasi général de la part de la doctrine. C’est d’abord la qualification d’obligation de faire qui a été très contestée, la qualification de droit potestatif lui étant souvent préférée (I), mais selon certains l’exécution forcée en nature de la promesse serait possible même en présence d’une obligation de faire (II). On verra que cette analyse du mécanisme de la promesse unilatérale de vente, bien que très majoritaire, n’est pas la panacée.

Derniers détails et illustration finale

Il va sans dire – mais à en juger par certaines copies que j’ai eu à corriger, ça va mieux en le disant – que le nom des différentes parties de l’introduction ne doit pas apparaître dans le devoir. Il ne faut par exemple pas indiquer « Problème : » avant la problématique, il ne faut pas non plus mettre un tiret ou une flèche avant chaque partie, le devoir doit être entièrement rédigé.

Il ne faut pas non plus souligner, mettre en gras ou mettre en couleur les mots importants du devoir, cela ne se fait pas, le correcteur n’est pas idiot – du moins aime-t-il le penser – et la langue française offre d’autres moyens pour mettre en exergue ce qui doit l’être.

Le même principe s’applique pour l’italique qui ne doit être employé que pour les termes d’une langue étrangère ou pour le nom des ouvrages dans les références. Exemple fictif : « La fiducie est l’équivalent français du trust anglo-saxon. Les constituant, fiduciaire et bénéficiaire sont ainsi les équivalents respectifs du settlor, trustee et cestuis que trust (J. WAYNE, Droit comparé franco-anglo-malgache du contrat de fiducie in Mélanges offerts à George Abitbol, LGDJ, 2008, p. 49 s.) ».

Enfin il est vivement conseillé de faire respirer un minimum le devoir. L’introduction ne doit pas être monobloc mais doit contenir des paragraphes au moins marqués par un alinéa ou par un saut de ligne (ou un interligne plus grand pour les devoirs dactylographiés). Il faut également laisser une marge vierge pour les annotations du correcteur.

Mettons maintenant bout à bout les différentes parties de l’introduction de notre commentaire de l’arrêt du 15 décembre 1993 utilisé pour illustrer ce billet :

 « Tel l’orfèvre de la Renaissance qui ciselait ‘le combat des Titans au pommeau d’une dague’, le juriste moderne est capable d’enfermer dans une note d’arrêt des développements à l’infini » (Jean Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Ve République, Champs Flammarion, 1996, p. 72). L’arrêt rendu le 15 décembre 1993 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation illustre parfaitement ce constat du regretté doyen Carbonnier, tant il a fait -et continue à faire- l’objet de nombreux commentaires, pour la plupart eschatologiques.

En l’espèce une personne physique consent à deux époux une promesse unilatérale de vente ayant pour objet un immeuble. Quelques jours seulement après la conclusion de la promesse et plusieurs mois avant son terme, le promettant notifie aux bénéficiaires sa décision de ne plus vendre. Les bénéficiaires décident malgré tout de lever l’option, après la rétractation du promettant mais avant la survenance du terme de la promesse. Le promettant refusant de s’exécuter, les bénéficiaires l’assignent en réalisation forcée de la vente.

La Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 8 novembre 1990, rejette la demande. Elle retient que le promettant est débiteur d’une obligation de faire non susceptible d’exécution forcée en nature.

Les bénéficiaires se pourvoient alors en cassation, ils soutiennent au contraire que le promettant serait débiteur d’une obligation de donner, et que la cour d’appel aurait ainsi violé les articles 1134 et 1589 du Code civil.

Les juges du quai de l’Horloge devaient donc répondre au problème de droit suivant : la rétractation par le promettant d’une promesse unilatérale de vente avant son terme et avant la levée d’option est-elle efficace ?

La troisième chambre civile de la Cour de cassation répond par l’affirmative et rejette par conséquent le pourvoi. Elle énonce que le promettant est débiteur d’une obligation de faire et que la levée d’option, postérieure à la rétractation de la promesse, exclut toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d’acquérir. En l’espèce la levée d’option ayant eu lieu après que la promettante se soit rétractée, le raisonnement de la cour d’appel est approuvé au terme d’un contrôle lourd.

Cette solution a soulevé un tolé quasi général de la part de la doctrine. C’est d’abord la qualification d’obligation de faire qui a été très contestée, la qualification de droit potestatif lui étant souvent préférée (I), mais selon certains l’exécution forcée en nature de la promesse serait possible même en présence d’une obligation de faire (II). On verra que cette analyse du mécanisme de la promesse unilatérale de vente, bien que très majoritaire, n’est pas la panacée.

Cette méthode n’a pas la prétention d’être exhaustive ou parfaite mais, appliquée, elle devrait en général garantir une bonne note. Je dis en général parce que la méthodologie peut varier d’un enseignant à l’autre, les différences sont souvent minimes mais réservent parfois des surprises. J’ai par exemple le souvenir d’un professeur de droit international public qui ne tolérait pas les problématiques posées sous la forme interrogative, alors que la plupart des enseignants en droit privé – et à ma connaissance en droit public – tolèrent que la problématique soit posée sous cette forme, voire l’imposent. J’ignore s’il s’agissait d’une particularité de la matière, ou d’une exigence particulière de l’enseignant.

Après l’introduction, la suite : rendez-vous dans cet autre billet consacré à la méthodologie des développements du commentaire d’arrêt. Vous pouvez aussi consulter cet autre billet consacré à la méthodologie du commentaire d’arrêts comparés, pour connaître les spécificités de l’introduction dans cet exercice. J’ai enfin mis en ligne le corrigé d’un commentaire d’arrêt en introduction générale au droit (L1) afin d’illustrer concrètement l’application de la méthode.

Notes de bas de page :
  1. Ce point est discuté, certains auteurs considèrent qu’il n’existe qu’une seule cour d’appel de Paris en France et qu’il s’agit donc d’une institution unique qui doit prendre une majuscule. Il me semble que les typographes considèrent majoritairement que seules les institutions qui ont une portée nationale doivent prendre une majuscule, ce qui n’est pas le cas des cours d’appel. On ne mettra donc jamais de majuscule à « cour d’appel », c’est cet usage typographique qui est notamment retenu par l’éditeur Dalloz et par la Cour de cassation pour la rédaction de ses arrêts. []