Obs. sous civ. 1re, 10 juill. 2014, n° 12-29.637 (inédit) :
Il y a deux ans, par un arrêt remarqué, la Cour de cassation affirmait que la responsabilité du restaurateur ne pouvait être que contractuelle lorsqu’un enfant se blessait, au cours d’un goûter auquel il participait, en faisant usage d’une aire de jeux exclusivement réservée à la clientèle du restaurant (civ. 1re, 28 juin 2012, n° 10-28.492 ; JCP G 2012, 1069, note J. DUBARRY ; Gaz. Pal. 27 sept. 2012, n° 271, p. 9, obs. M. MEKKI ; RTD Civ. 2012, p. 729, obs. P. JOURDAIN). La solution avait de quoi laisser perplexe : s’il y avait bien un contrat en l’espèce, on se demandait comment celui-ci pouvait lier à la fois l’enfant et les parents, ces derniers, victimes par ricochet, demandant réparation d’un préjudice qui leur était propre.
Une autre question concernait la nature et l’étendue de l’obligation contractuelle du restaurateur. La Cour de cassation ne s’était pas prononcée sur ce point en 2012, mais les commentateurs ont estimé qu’il s’agissait très probablement d’une obligation de sécurité de moyens (J. DUBARRY, ibid., M. MEKKI, ibid., P. JOURDAIN, ibid.). La Haute juridiction vient de leur donner raison dans un arrêt inédit (civ. 1re, 10 juill. 2014, n° 12-29.637).
La formulation du conclusif est très intéressante : « Mais attendu que l’arrêt, après avoir énoncé à bon droit qu’il incombait à la société Ammara, tenue d’une obligation de sécurité, d’établir qu’elle avait agi avec la diligence et la prudence nécessaires pour prévenir la survenance d’accidents à l’occasion de l’utilisation normale de la structure de jeu (…) ». L’expression « à bon droit » indique que la Cour de cassation exerce sur cette question un contrôle lourd : dans ce type de contrat, l’obligation de sécurité est nécessairement de moyens, les juges du fond qui retiendraient une solution contraire s’exposeraient à une cassation de leur décision en cas de pourvoi. Par ailleurs, c’est au restaurateur que revient la charge de prouver qu’il « avait agi avec la diligence et la prudence nécessaires pour prévenir la survenance d’accidents à l’occasion de l’utilisation normale de la structure de jeu ». La charge de la preuve est inversée car il revient traditionnellement au créancier d’une obligation de moyens de prouver que celle-ci n’a pas été correctement exécutée, c’est-à-dire que le débiteur n’a pas mis en œuvre tous les moyens qu’il s’était engagé à fournir (FLOUR, AUBERT, E. SAVAUX, Droit civil, Les obligations, t. 3, Le rapport d’obligation, Sirey, 8e éd., 2013, n° 201 et s. ; Rép. civ. Dalloz, v° Responsabilité contractuelle, mars 2014, n° 227 ; pour une illustration à propos de l’obligation de sécurité de moyens du médecin, V. civ. 1re, 4 janv. 2005, n° 03-13.579). La doctrine parle parfois d’obligation de sécurité de moyens « renforcée » lorsqu’il revient au débiteur de prouver qu’il n’a pas commis de faute. Il revient donc au restaurateur de prouver qu’il a correctement exécuté son obligation en mettant en œuvre tous les moyens attendus.
La solution est moins sévère pour la victime que l’on pouvait le penser
La solution est logique et finalement moins sévère pour la victime que l’on pouvait le penser dans un premier temps. Elle est logique car le créancier de l’obligation de sécurité joue ici un rôle actif dans son exécution, ce qui emporte traditionnellement la qualification d’obligation de moyens (FLOUR, AUBERT et E. SAVAUX, op. cit., n° 204 ; J. DUBARRY, op. cit.). Elle est moins sévère pour la victime que l’on pouvait le penser car si la responsabilité délictuelle du fait des choses (art. 1384, al. 1er, du Code civil) est traditionnellement présentée comme un régime favorable à la victime, c’est à la condition que la chose soit en mouvement et soit entrée en contact avec le siège du dommage, permettant ainsi à la victime de profiter de la présomption irréfragable de rôle actif de la chose (civ. 2e, 29 mars 2001, n° 99-10.735 ; RTD Civ. 2001, p. 598, obs. P. JOURDAIN). A défaut, la victime devra prouver que la chose était bien l’instrument du dommage, c’est-à-dire prouver l’anormalité de la position de la chose ou de son état (civ. 2e, 11 janv. 1995, n° 92-20.162). Or, dans la majorité des cas, il n’est pas certain que l’aire de jeux et sa position pourront être considérées comme anormales, contraignant ainsi la victime à agir sur le fondement de l’article 1382 du Code civil et donc à prouver une faute du restaurateur (M. MEKKI, op. cit.)… Le terrain contractuel s’avèrera alors plus favorable pour la victime puisque l’obligation de moyens renforcée inverse la charge la preuve : la victime n’aura pas à prouver l’inexécution, ce sera au restaurateur de prouver qu’il a correctement exécuté son obligation de sécurité.
L’arrêt est reproduit in extenso ci-dessous. Continuer la lecture