On qualifie aujourd’hui volontiers la jurisprudence de la Cour de cassation de source du droit, en soulignant toutefois sa singularité : plus qu’une source réelle, mais moins qu’une source formelle. Ce n’est que par le truchement de sa fonction disciplinaire de contrôle de la bonne application de la loi par les juges du fond que la Cour de cassation peut rendre des arrêts dotés de facto d’une portée normative générale. Ce statu quo tend à être remis en cause depuis trente ans par un mouvement, initié par la Cour elle-même, qui conduit à officialiser son pouvoir normatif et à édifier des procédures visant à le régir. Le rôle normatif s’autonomise progressivement du rôle disciplinaire. La présente étude se propose de mettre en lumière cette mutation de la jurisprudence de la Cour de cassation en source formelle du droit et d’esquisser les conséquences actuelles ou prévisibles, souhaitables ou redoutables, qu’elle emporte sur le fond du pouvoir normatif.

Mise à jour du 20/12/2025 : Retrouvez ci-dessous mon article publié à la Revue trimestrielle de droit civil (« La mutation de la jurisprudence de la Cour de cassation : Vers une source formelle du droit ? », RTD civ. 2024, p. 309) il y a plus d’un an et désormais disponible en libre accès sur mon site sur le fondement de l’article L. 533-4, I, du Code de la recherche.

1.- Si le xixe siècle a été celui de l’avènement du pouvoir normatif de la Cour de cassation et le xxe celui de son développement, le xxie siècle pourrait bien être celui de sa mutation en source formelle du droit. Du moins est-il possible de déceler, dans ses premières décennies, de nombreux éléments qui constituent le début d’un mouvement de formalisation.
Ainsi, le débat qui s’est tenu au cours du siècle dernier autour de la qualification de « source du droit » de la jurisprudence pourrait aujourd’hui se trouver dépassé au profit d’un autre débat : la jurisprudence, du moins celle de la Cour de cassation, devient-elle une source formelle du droit et, le cas échéant, faut-il encourager ce mouvement ou s’y opposer ?
2. Notion de source formelle du droit – Selon une métaphore filée bien connue, une source du droit est un lieu d’où « jaillissent » des règles de droit. Plus techniquement, lorsqu’elle est qualifiée de « formelle », elle désigne le « moule officiel qui préside, positivement, à l’élaboration, à l’énoncé et à l’adoption d’une règle de Droit »[1]. Selon Geny, qui avait développé ce concept, il s’agit des « injonctions d’autorités, extérieures à l’interprète et ayant qualité pour commander à son jugement, quand ces injonctions, compétemment formées, ont pour objet propre et immédiat la révélation d’une règle, qui serve à la direction de la vie juridique »[2]. La source formelle se singularise donc par son caractère officiel, par le fait qu’elle est érigée en source du droit par d’autres normes de l’ordre juridique et que celles-ci déterminent l’organe compétent et la procédure qu’il doit emprunter pour pouvoir édicter des règles de droit. Les sources formelles du droit, dont la loi est l’archétype, sont classiquement opposées aux sources « réelles » ou « matérielles », les « forces créatrices du droit » selon la formule de Ripert : l’économie, la politique, la démographie, les mœurs, etc. En somme, tous les facteurs exogènes qui agissent sur les auteurs des normes juridiques, et influencent indirectement le contenu de ces normes[3].
3. Le statut ambigu de la jurisprudence – Le pouvoir normatif des juges est parfois critiqué, mais sa réalité n’est aujourd’hui guère plus contestée. Certaines décisions de la Cour de cassation sont créatrices de normes juridiques générales similaires aux règles légales. D’autres emportent des effets normatifs dotés d’un certain degré de généralité en rayonnant au-delà des seules parties à l’instance : celles qui déclarent une loi inconventionnelle abstraitement, celles qui fixent le sens d’un texte légal par l’interprétation, etc.[4]. La littérature qui le constate est autant abondante qu’ancienne[5]. Ainsi ne sera-t-il pas question, dans cette étude, de se demander si la jurisprudence de la Cour de cassation est une véritable source du droit malgré l’absence de règle du précédent dans l’ordre juridique français. La question a été maintes fois labourée et nous tenons pour acquis ce pouvoir normatif. La nouveauté que nous souhaitons mettre en exergue réside dans la formalisation de ce pouvoir, entendue comme le mouvement par lequel une source informelle du droit s’officialise.
En effet, la jurisprudence demeure aujourd’hui une source du droit que l’on peine à classer. On admet volontiers qu’elle est plus qu’une source réelle, mais l’encombrante prohibition des arrêts de règlement fulminée à l’article 5 du Code civil rend difficile de l’élever au rang des sources formelles du droit, car il lui manque cette reconnaissance officielle dont jouissent les autres sources formelles[6]. Ainsi que le résume un manuel d’introduction au droit, « la jurisprudence “source formelle” de droit ? Si l’on veut dire par là – et l’adjectif est essentiel – que la jurisprudence est plus qu’une source matérielle du droit ou encore plus que l’une de ses forces créatrices, nul ne peut sérieusement en douter. De là à l’assimiler à la loi et au règlement, il y a un pas qu’on ne peut franchir »[7]. Si les normes de l’ordre juridique qui régissent le pouvoir juridictionnel de la Cour de cassation sont nombreuses, les normes qui ont pour objet de régir son pouvoir normatif ont longtemps été inexistantes. Et pour cause, le Code civil dénie un tel pouvoir au juge depuis 1804 par son article 5. La Cour de cassation elle-même a longtemps dénié son propre pouvoir normatif, en s’employant à l’abriter derrière des textes légaux qu’elle feignait plus ou moins d’interpréter. « Le juge qui n’a pas de véritable pouvoir normatif en possède néanmoins un tout à fait réel, donc effectif »[8]. La jurisprudence est en quelque sorte une source informelle, officieuse du droit ; une sorte d’avorton. La difficulté à classer les normes jurisprudentielles dans la traditionnelle hiérarchie des normes, qui demeure le paradigme dominant en droit français, contribue également à maintenir dans une zone grise ce pouvoir normatif[9].
4. La formalisation de la jurisprudence de la Cour de cassation – Pourtant, le mythe du juge qui se contente d’interpréter la loi s’est progressivement effrité, la Cour édictant parfois des principes ex nihilo. Parallèlement, les doctrines réalistes ont remis en cause le dogme de l’interprétation-acte cognitif, mettant au jour le rôle déterminant de la volonté du juge en matière d’interprétation[10]. Ces mouvements convergents ont progressivement créé un décalage entre la méthode de rédaction des arrêts de la Cour de cassation et la perception de son office par la doctrine et la pratique. Ce décalage est devenu, à la fin du xxe siècle, un fossé. Le parapet de la loi, qui apparaissait initialement comme une nécessité évidente au regard de la prohibition des arrêts de règlement, est apparu successivement comme un voile pudique, une fiction et, plus radicalement aujourd’hui, comme une forme d’hypocrisie, tant il peine à dissimuler le véritable pouvoir normatif qu’exerce de facto la Cour de cassation. Il est ainsi possible d’observer une remise en cause du statu quo qui semblait s’être instauré en la matière au cours du xxe siècle. Pour la Cour de cassation, l’occulte semble désormais présenter plus d’inconvénients que d’attraits, ce qui la conduit à dévoiler son pouvoir. Selon les termes d’un rapport rédigé sous l’égide de la Cour de cassation elle-même, « il faut prendre en compte l’acceptabilité sociale des fictions juridiques et ne pas négliger le réalisme que le traitement des phénomènes juridiques réclame. Parce que le juge n’est pas la bouche figée de la loi, il n’est pas admissible que le système juridique dans son entier se comporte, sans nuance et toujours, comme s’il l’était »[11]. Pour la première présidente Chantal Arens, « en trente ans, l’office du juge a plus évolué qu’en deux siècles »[12].
Un examen rétrospectif des trois dernières décennies fait ainsi apparaître le début d’un mouvement de formalisation (I). Cette formalisation emporte des conséquences de fond en contribuant à affermir et à étendre le pouvoir normatif de la Cour de cassation, mais aussi en créant les conditions de son encadrement futur ; la période contemporaine pourrait ainsi être propice à une clarification du statut de la jurisprudence (II).
I. La formalisation à l’œuvre
5. – Plusieurs éléments récents inédits ont contribué à formaliser le pouvoir normatif de la Cour de cassation. Ils peuvent être rassemblés autour de deux axes : d’une part, ce pouvoir normatif est aujourd’hui de plus en plus assumé publiquement (A), d’autre part, des règles ayant pour objet tant l’exercice que le produit de ce pouvoir normatif commencent à être construites, constituant les balbutiements d’une forme de procéduralisation de ce pouvoir qui est le propre de toute source formelle du droit (B).
A. Le dévoilement du pouvoir normatif
6. – Initialement conçue restrictivement comme la garante du respect de la loi par les juridictions du fond, la Cour de cassation abritait son œuvre normative derrière l’écran de la loi par nécessité. C’est parce que le pouvoir normatif de la Cour est aujourd’hui considéré comme une réalité évidente irréductible à une simple interprétation mécanique de la loi (1) que la Cour peut abandonner progressivement le voile de la loi, contribuant à officialiser son pouvoir (2).
1) Le voile de la loi, une fiction devenue dispensable
7. La nécessité initiale du recours au voile de la loi – La création du Tribunal de cassation s’est faite dans un contexte révolutionnaire franchement hostile à l’idée d’une jurisprudence créatrice, en réaction aux abus des anciens parlements, que l’on illustre souvent, à tort ou à raison[13], par la célèbre image de Montesquieu d’un juge qui ne devrait être « que la bouche qui prononce les paroles de la loi »[14]. Ce Tribunal, conçu davantage comme une émanation du pouvoir législatif que comme une partie du pouvoir judiciaire[15], avait pour fonction de « venger le texte légal »[16] en cas de violation par les juges du fond.
Le Code civil de 1804, qui s’inscrit dans un contexte déjà moins hostile à la jurisprudence[17], porte néanmoins les stigmates de la période révolutionnaire en son article 5 : « Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises. » S’ensuit une période largement marquée par l’École de l’exégèse, ainsi que l’illustre le mémoire lu en 1841 devant l’Académie des sciences morales et politiques par Blondeau, alors doyen de la faculté de droit de Paris : « la volonté du législateur doit être la source exclusive de toutes les décisions juridiques »[18]. L’exégèse « devint la base de la méthode, enseignée, sinon toujours mise en pratique, par les auteurs les plus accrédités des traités généraux de droit civil »[19].
Pourtant, dès le xixe siècle, « doctrine et jurisprudence ont fait […] œuvre de justice, œuvre de science et œuvre de progrès social. Mais elles font tout cela sans se l’avouer, même en prétendant, pour le principe seulement, qu’elles ne le font pas. À les entendre, elles ne font qu’interpréter la volonté stricte du législateur de 1804, que consacrer les solutions qu’il aurait voulu faire prévaloir »[20]. Cette époque se singularise ainsi par un rattachement quasi systématique des constructions jurisprudentielles à la loi par le truchement de l’interprétation, afin de « faire tenir tout le droit positif dans la loi écrite »[21]. La Cour de cassation exerçait déjà un pouvoir normatif certain, mais sans véritablement l’assumer, en s’efforçant de le dissimuler derrière sa fonction de contrôle de la bonne application de la loi[22], par une forme de pudeur stratégique. Au sein de régimes largement légicentriques prohibant les arrêts de règlement, la prudence commandait un exercice discret de ce pouvoir afin de ne point trop l’exposer à la critique[23]. La jurisprudence était de facto une source du droit, mais une source informelle, officieuse.
8. Un voile devenu partiellement inutile – À mesure que le pouvoir normatif de la Cour de cassation s’étend, l’écran de la loi peine à le dissimuler et apparaît de plus en plus souvent comme une fiction encombrante : au mieux inutile, au pire inadapté. Que penser, par exemple, des arrêts qui, pour admettre la validité des dons manuels, visent l’article 931 du Code civil dont la lettre semble pourtant clairement condamner à la nullité toute donation non passée devant notaire[24] ? Comment ne pas voir à l’œuvre, derrière cette interprétation de la loi, le pouvoir créateur de la Cour de cassation ? Depuis la fin du xixe siècle, tout juriste qui nierait ce pouvoir créateur serait « taxé d’irréalisme exégétique »[25].
L’écran de la loi s’est donc progressivement fissuré jusqu’à laisser entrevoir ce qu’il avait pour fonction de dissimuler : la véritable étendue du pouvoir normatif de la Cour de cassation. Cela a ouvert la voie à son abandon progressif.
2) L’abandon progressif du voile de la loi
9. – Plus la réalité du pouvoir normatif de la Cour de cassation est largement admise par la doctrine et par le pouvoir politique, plus il est aisé, pour la Haute juridiction, de faire tomber le masque et d’exercer ce pouvoir au grand jour. Il est ainsi possible de mettre en exergue quelques phénomènes qui, conjugués, caractérisent ce mouvement d’abandon progressif du voile de la loi au profit d’un exercice assumé par la Cour de cassation de son pouvoir normatif.
10. Le glissement à bras bruit « de l’interprétation-création à la libre création »[26] – Ce glissement constitue probablement le premier signe annonciateur du mouvement de formalisation.
C’est ainsi que ponctuellement, et ce dès le xixe siècle, « maintes fois, notre Cour régulatrice s’est sentie assez sûre de son jugement, pour le planter carrément, malgré l’absence […] d’un texte »[27]. Aujourd’hui, ce sont des régimes juridiques entiers qui sont parfois édifiés par la Cour de cassation sans aucun support légal textuel, comme le régime de la responsabilité du fait des troubles anormaux de voisinage[28].
Lorsque le voile de la loi tombe, le pouvoir normatif de la Cour de cassation apparaît au grand jour, ainsi que le reconnaît la Cour de cassation elle-même dans son étude annuelle 2018 : « Plus la distance est grande [entre la loi et une norme jurisprudentielle] plus la Cour de cassation affirme son pouvoir normatif. Au sommet, la norme est formulée sans le support d’aucun texte. Au niveau intermédiaire, elle n’entretient qu’un rapport lointain, voire très lointain, avec la loi de sorte que le lien est parfois purement formel »[29].
Cette mutation s’est faite très progressivement au cours des deux derniers siècles, mais il existe d’autres phénomènes à la fois plus contemporains et plus francs qui démontrent une accélération certaine de l’abandon de l’écran de la loi au cours des deux ou trois dernières décennies.
11. L’abandon du voile de la loi contraint par la nouvelle procédure de la QPC – La Cour de cassation avait initialement vu le contrôle de constitutionnalité a posteriori exercé par le Conseil constitutionnel comme un potentiel concurrent de son propre contrôle de conventionnalité. Pour limiter sa portée, la Cour de cassation avait d’abord distingué le « texte même d’une disposition législative » de « l’interprétation qu’en donne la jurisprudence », en jugeant que seul le premier pouvait faire l’objet d’une QPC puisque l’article 61-1 de la Constitution ne vise textuellement qu’une « disposition législative »[30]. La Cour de cassation ne souhaitait pas que le Conseil constitutionnel puisse juger la constitutionnalité de sa propre jurisprudence. Cette résistance a contraint la Cour à rompre publiquement avec sa conception traditionnelle de l’interprétation faisant corps avec la disposition interprétée et, ce faisant, à dévoiler partiellement son propre pouvoir normatif[31]. Depuis, les relations entre la Cour et le Conseil se sont apaisées. La haute juridiction judiciaire admet désormais « qu’en posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition »[32]. Par cette formule, elle admet que l’interprétation ajoute quelque chose à la disposition interprétée dont la portée dépasse les parties au litige et, par voie de conséquence, qu’il est des arrêts à la portée quasi réglementaire.
La Cour de cassation refuse en revanche toujours de transmettre les QPC ayant pour objet une « construction jurisprudentielle » qui ne s’appuie sur aucune disposition légale précise, comme la « théorie de l’apparence »[33]. Elle admet ainsi que certaines normes jurisprudentielles sont « construites » ex nihilo.
12. La référence expresse à la jurisprudence antérieure dans les arrêts récents – Autre phénomène récent, les arrêts les plus importants rendus par la Cour de cassation bénéficient désormais d’une motivation dite « développée » ou « enrichie ». Parmi les apports de cette motivation développée se trouve la possibilité pour la Cour de faire expressément référence à ses propres jurisprudences antérieures en allant jusqu’à citer les arrêts qui les fondent, les confirment ou les précisent. Ce procédé a rapidement emporté l’adhésion des hauts magistrats au point que son utilisation a été étendue à certains arrêts inédits[34]. Cette forme de motivation développée, bien que purement formelle, avait pourtant marqué les esprits lors de ses premières mises en œuvre[35], comme si la Cour de cassation, après deux siècles de déni, s’éveillait enfin en assumant publiquement son propre pouvoir normatif.
Ces dernières décennies marquent donc un point de rupture en ce qui concerne le dévoilement du pouvoir normatif de la Cour de cassation. On retrouve cette même temporalité en ce qui concerne la procéduralisation de ce pouvoir.
B. La procéduralisation du pouvoir normatif
13. De la procéduralisation de la fonction disciplinaire à la procéduralisation de la fonction normative – La Cour de cassation a toujours été soumise à des règles procédurales écrites, aujourd’hui majoritairement codifiées dans le Code de procédure civile et le Code de l’organisation judiciaire. Mais ces règles concernent essentiellement sa fonction disciplinaire – le contrôle des décisions des juges du fond – et non sa fonction normative[36]. Du fait de son caractère officieux, ce pouvoir normatif était essentiellement exercé selon de simples usages non formalisés qui ont progressivement émergé des pratiques de la Cour.
En la matière, le virage opéré ces trois dernières décennies est aisément perceptible. Des règles commencent à être construites pour assurer une certaine publicité de l’exercice du pouvoir normatif et des normes qui en résultent (1) et pour régir l’insertion dans l’ordre juridique de ces normes jurisprudentielles (2).
1) La publicité du pouvoir normatif
14. La publicité de l’exercice du pouvoir normatif par le biais de la motivation développée – Sur la base detravaux internes, la Cour de cassation a d’abord expérimenté, puis systématisé à partir de 2019, la mise en œuvre d’une motivation dite « développée » ou « enrichie » au sein de certains arrêts. La méthode de la motivation enrichie et les cas dans lesquels elle doit être mise en œuvre ont été définis et rendus publics par la Cour[37]. On apprend ainsi que la motivation développée doit être adoptée notamment dans les arrêts qui opèrent un revirement de jurisprudence, qui tranchent une question de principe, ou encore qui présentent un intérêt marqué pour le développement du droit[38]. Toutes ces hypothèses ont trait au pouvoir normatif de la Cour de cassation et rendent son exercice apparent. Il est donc aisé de voir dans cette motivation enrichie l’expression d’un nouveau formalisme encadrant l’exercice du pouvoir normatif de la Cour de cassation, que le nouveau premier président récemment nommé entend continuer à développer[39]. Cependant la motivation développée contribue aussi à assurer la publicité du produit de ce pouvoir normatif.
15. La publicité, conditio sine qua non de l’effectivité des normes jurisprudentielles – Une norme ne peut être pleinement effective que si elle est connue de ses destinataires. Le Tribunal de cassation en avait fait l’amère expérience dès les premières années de sa création. Sa jurisprudence était alors très mal diffusée, difficilement accessible même pour les avocats et juges du fond[40]. Ce n’est que par un arrêté du 28 vendémiaire an V (19 octobre 1796) qu’a été institué un bulletin des arrêts du Tribunal[41]. Insuffisant, ce mécanisme de publicité a rapidement été secondé par des recueils de jurisprudence d’origine privée dont le succès ne s’est pas démenti depuis[42].
16. L’instauration d’une publicité plus directe des normes jurisprudentielles visant un public élargi – Depuis quelques années, la Cour de cassation multiplie les initiatives pour assurer une publicité mieux contrôlée et plus large de ses décisions ayant une forte portée normative.
Il y a ainsi, d’abord, une volonté des hauts magistrats de verrouiller davantage l’interprétation de leurs décisions en s’affranchissant de l’intermédiaire de la doctrine et des éditeurs privés. Les nouveaux procédés qui poursuivent cette finalité sont nombreux : la motivation enrichie ; la publication plus fréquente des travaux préparatoires (rapport du conseiller rapporteur et avis de l’avocat général) qui peuvent éclairer la volonté des juges, comme peuvent le faire les travaux parlementaires vis-à-vis de la volonté du législateur ; la réforme du lettrage des arrêts par lequel la Cour de cassation entend signaler les arrêts qui sont dignes d’intérêt sur un plan normatif[43] ; la publication périodique par chaque chambre d’une Lettre commentant une sélection d’arrêts, etc.
Il y a, ensuite, une volonté de rendre les décisions accessibles à un public plus large, au-delà du public traditionnel des initiés[44]. On peut citer en ce sens, pêle-mêle : la rédaction des arrêts en style direct et l’enrichissement occasionnel de la motivation[45] ; la publication, pour les arrêts les plus importants, de communiqués et de notes explicatives[46] ; la retransmission audiovisuelle sur le site de la Cour de cassation de certaines audiences ; l’utilisation des réseaux sociaux ; la mise en place d’un podcast par la chambre sociale, etc. La Cour de cassation va jusqu’à promouvoir par anticipation certains arrêts qu’elle juge particulièrement importants, en publiant sur son site et les réseaux sociaux les questions de droit qu’ils trancheront et les dates des audiences[47]. En langage de communicants, on dirait qu’elle fait du « teasing » à destination notamment du grand public, en rupture avec l’ésotérisme habituellement pratiqué.
En la matière, les hauts magistrats partagent même les ambitions – d’aucuns diraient les illusions – du législateur quant au rayonnement international de leur œuvre normative. Ils ont ainsi entrepris de traduire occasionnellement leurs décisions les plus importantes en plusieurs langues étrangères, « une question d’influence dans un monde marqué par la concurrence entre les grands systèmes de droits nationaux » selon les termes d’un président de chambre[48]. Cela n’est pas sans rappeler l’ambition affichée du Gouvernement d’améliorer « l’attractivité du droit français » des obligations par la réforme majeure effectuée en 2016 par voie d’ordonnance[49]. Réel enjeu ou vanité ? Chacun se fera sa propre opinion, mais on peut y voir un nouveau trait commun assumé entre le pouvoir normatif de la Cour de cassation et les pouvoirs normatifs du Parlement et du Gouvernement.
17. Une publicité relayée par d’autres institutions – Le site service-public.fr, géré par la direction de l’information légale et administrative (DILA) rattachée au Premier ministre, relaie désormais certains arrêts de la Cour de cassation qui tranchent des questions de droit susceptibles d’intéresser le grand public. Dans la rubrique « Textes de loi et références » qui clôt traditionnellement les articles de ce site en renvoyant les lecteurs vers les sources brutes qui fondent juridiquement les règles évoquées dans l’article, il arrive désormais que seul un arrêt de la Cour de cassation soit cité[50]. La jurisprudence de la Cour de cassation est donc officiellement traitée comme une source du droit par d’autres acteurs de l’ordre juridique français que la Cour elle-même.
Autre trait commun avec les normes légales, les normes jurisprudentielles peuvent provoquer des conflits de normes horizontaux ou verticaux qui commencent enfin à être appréhendés en tant que tels.
2) L’insertion des normes jurisprudentielles dans l’ordre juridique
18. – Quelle que soit la conception qu’on en retient – hiérarchie, réseau, etc. – le droit français reste communément conçu comme un système composé de règles de droit. Toute apparition d’une nouvelle source du droit charrie donc son lot d’interrogations : comment les normes issues de cette source s’articulent-elles avec les autres normes du système ? comment ces normes s’appliquent-elles dans le temps ? etc. Le caractère non assumé du pouvoir normatif de la Cour de cassation a longtemps rendu l’appréhension de ces questions, si ce n’est impossible, à tout le moins difficile. De fait, la Cour de cassation s’est longtemps refusée à les traiter, considérant qu’elles ne se posaient pas réellement. La situation est en train d’évoluer.
19. Les premiers jalons d’un droit transitoire des normes jurisprudentielles – La première évolution concerne la question de l’application dans le temps des normes jurisprudentielles édictées par la Cour de cassation, qui se pose de manière particulièrement aiguë en matière de revirements de jurisprudence. Pour rester fidèle à son image d’une juridiction se contentant d’interpréter la loi[51], la Cour a longtemps conféré un effet rétroactif systématique à ses revirements au motif que son interprétation faisait corps avec la disposition interprétée et était donc indissociable de celle-ci[52].
La Cour de cassation avait fini, dans les années 2000, par concéder timidement une dérogation à la rétroactivité de ses revirements de jurisprudence lorsque celle-ci porte atteinte au droit à un procès équitable garanti par l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, plus précisément lorsque l’une des parties est privée de son droit à l’accès au juge[53]. Le mouvement s’est ensuite subitement accéléré. Sous les coups de boutoir de la Cour européenne des droits de l’homme[54], une deuxième dérogation a été admise en 2020, en matière pénale, sur le fondement de l’article 7 de la Convention garantissant le principe de légalité des délits et des peines[55]. Puis, en 2022, la Cour de cassation a écarté l’application d’une jurisprudence nouvelle aux instances en cours au motif notamment qu’une telle rétroactivité « porterait une atteinte disproportionnée aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime »[56]. La brèche ouverte par ce dernier arrêt, implicitement confirmée en 2023[57], est considérable puisque la rétroactivité de tout revirement de jurisprudence porte par nature atteinte à la sécurité juridique, et devrait donc désormais être susceptible de faire l’objet d’un contrôle de proportionnalité.
Sur un sujet connexe, la Cour de cassation réunie en assemblée plénière a récemment jugé qu’il y a lieu « d’admettre la recevabilité d’un moyen critiquant la décision par laquelle la juridiction [de renvoi] s’est conformée à la doctrine de l’arrêt de cassation qui l’avait saisie, lorsqu’est invoqué un changement de norme intervenu postérieurement à cet arrêt, et aussi longtemps qu’un recours est ouvert contre la décision sur renvoi »[58]. Le « changement de norme » invoqué en l’espèce était un revirement de jurisprudence[59]. Selon les mots de Pascale Deumier, commentant cet arrêt, « il faut avouer que la reconnaissance solennelle de la jurisprudence […] est spectaculaire »[60]. Celle-ci témoigne d’une évolution des mentalités : saisie de la même question quinze ans plus tôt, toujours à propos d’un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation avait alors sèchement jugé que « le moyen, qui reproche à la juridiction de renvoi d’avoir statué conformément à l’arrêt de cassation qui la saisissait, est irrecevable »[61].
Ainsi, malgré ses réticences initiales, la Cour de cassation construit progressivement un droit transitoire applicable à sa propre jurisprudence. Or « la modulation dans le temps des revirements, parce qu’elle pose en préalable l’effet novatoire de la décision, est une forme de reconnaissance du pouvoir créateur de la jurisprudence. L’institutionnalisation d’un droit transitoire des revirements de jurisprudence procède donc d’une modification du statut de la jurisprudence, puisqu’elle la reconnaît officiellement comme source de droit »[62].
20. La mise en œuvre d’un contrôle de conventionnalité a priori et a posteriori de certaines normes jurisprudentielles – La seconde évolution est que la Cour de cassation se permet désormais de s’assurer de la conventionnalité d’une norme jurisprudentielle non seulement a posteriori, mais aussi a priori. La saga jurisprudentielle relative au vaccin contre l’hépatite B l’illustre à propos du régime de responsabilité du fait des produits défectueux issu d’une directive européenne. La Cour de cassation avait adopté une jurisprudence favorable aux victimes en autorisant un recours très généreux aux présomptions de fait. Elle avait ensuite envisagé d’aller encore plus loin en faveur des victimes en consacrant une présomption de droit. La première chambre civile aurait pu, de manière tout à fait classique, effectuer directement un revirement de jurisprudence en ce sens. Au lieu de cela, elle a posé une double question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne visant à vérifier la conformité à la directive à la fois du recours aux présomptions de fait qu’elle avait précédemment admis et de la création d’une présomption de droit qu’elle envisageait[63]. La Cour de justice a jugé que le recours aux présomptions de fait était permis par la directive, mais que celle-ci s’opposait à la consécration d’une présomption de droit[64]. La Cour de cassation a alors maintenu sa jurisprudence admettant le recours aux présomptions de fait, mais a avorté la création d’une nouvelle présomption de droit qu’elle envisageait[65]. Une analogie est possible avec les avis rendus par le Conseil d’État avant le dépôt d’un projet de loi au Parlement : ces avis visent notamment à éclairer le Gouvernement sur la conformité du projet de loi à la Constitution et aux traités internationaux.
21. – Il ressort de ce florilège que s’installe progressivement l’idée que les normes jurisprudentielles et les normes de droit écrit sont deux espèces d’un même genre. Il ne s’agit pas pour autant de nier les spécificités des normes jurisprudentielles qui justifient souvent l’adoption de méthodes de raisonnement et de solutions différentes. Ainsi le droit transitoire des revirements de jurisprudence reste-t-il très différent du droit transitoire de la loi fondé notamment sur les articles 1 et 2 du Code civil.
Cette formalisation du pouvoir normatif de la Cour de cassation n’est évidemment pas neutre sur le fond dudit pouvoir.
II. L’œuvre de la formalisation
22. Ambivalence quant à l’étendue du pouvoir normatif – La formalisation du pouvoir normatif de la Cour de cassation provoque deux mouvements antagonistes quant à l’étendue dudit pouvoir. Elle contribue certes à sa consolidation et à son extension, mais toute reconnaissance officielle d’un phénomène par le droit est en général l’étape liminaire de son encadrement. Ainsi, paradoxalement, la formalisation du pouvoir normatif de la Cour de cassation, tout en contribuant au renforcement de ce pouvoir (A), facilite aussi son encadrement futur, et fait d’ores et déjà peser sur la Cour de cassation de nouvelles contraintes (B).
A. Le renforcement du pouvoir normatif
23. Le progrès technique, conditio sine qua non mais non per quam – Le développement de la micro-informatique et d’Internet libère des coûts et contraintes liés au support papier. L’usage des réseaux sociaux, la publication fréquente de communiqués de presse et de notes explicatives à destination du grand public, etc., n’auraient pas été possibles sans l’évolution de la technique. Ce serait toutefois une erreur de voir cette évolution des pratiques comme une conséquence nécessaire du progrès technique. Le véritable moteur est une volonté politique, ainsi qu’en témoignent certaines pratiques récentes qui auraient pu être mises en œuvre bien avant l’apparition de la micro-informatique : la rédaction des arrêts en style direct, la motivation enrichie des arrêts à forte portée normative, etc.
24. Source et finalités de la volonté politique – Les principaux éléments qui contribuent à formaliser le pouvoir normatif de la Cour de cassation sont l’œuvre de la Cour elle-même et sont souvent le fruit d’autoréformes construites et mises en pratique très publiquement. Cette origine n’est pas anodine puisque si la Cour est à la manœuvre, c’est que cette formalisation sert ses intérêts. Elle contribue en effet à consolider et étendre son pouvoir (1). Par un jeu de vases communicants, cette extension nuit à d’autres pouvoirs concurrents (2).
1) Une formalisation initiée par la Cour elle-même
25. Modus operandi : un mouvement d’autoréforme – La Cour de cassation a entamé, sous la première présidence de Bertrand Louvel, puis de sa successeure Chantal Arens, un mouvement d’autoréforme inédit par son ampleur[66]. Le mode opératoire est toujours le même. Pour chaque réforme envisagée, un « groupe de travail » ou une « commission de réflexion » est nommé, composé de magistrats, universitaires et praticiens. L’action de ce groupe est guidée par une ou plusieurs lettres de mission signées par le premier président de la Cour et parfois par le procureur général. Au terme de sa mission, le groupe restitue le fruit de ses travaux au sein d’un rapport ou de notes. Enfin, la Cour de cassation s’emploie à mettre en œuvre tout ou partie des propositions formulées par le groupe de travail dès lors que cette mise en œuvre ne nécessite pas absolument une intervention législative ou réglementaire.
Ce mouvement d’émancipation est assumé. Guy Canivet, premier président honoraire de la Cour de cassation, encourageait ainsi récemment la Cour à rompre avec ce qu’il qualifiait de « syndrome de soumission » et à se réformer « à droit constant » afin de lui permettre « d’échapper tout à la fois à l’arbitrage du gouvernement, aux avis du Conseil d’État et à l’intervention du Parlement sur le choix des méthodes d’exécution de ses propres missions »[67].
Au-delà du fait que la Haute juridiction entreprend de se réformer elle-même sans l’intervention des pouvoirs législatif et réglementaire, c’est aussi la publicité accordée à ce processus qui surprend[68]. La liste des travaux en cours, les lettres de mission ainsi que les rapports rendus par les groupes de travail sont tous publiés. Une rubrique ad hoc intitulée « Réformes » a été créée sur le site de la Cour de cassation et affiche la volonté de la Haute juridiction d’inscrire ses réformes successives dans un mouvement doté d’une cohérence d’ensemble : « La Cour de cassation engage une réflexion approfondie sur les nouveaux défis qui se présentent à elle : […] être source d’un droit vivant » ; une « place essentielle » est ainsi attribuée à « la réflexion sur le rôle normatif de la Cour de cassation »[69]. La traditionnelle pudeur de la Cour de cassation est manifestement révolue, aussi bien dans le corps même de ses arrêts[70], qu’au-delà où la Cour revendique et définit les modalités de son pouvoir normatif.
26. La quasi-élection du premier président de la Cour de cassation par le Conseil supérieur de la magistrature sur la base d’un projet de nature politique – L’analogie avec les pouvoirs législatif et réglementaire, que nous avons faite à plusieurs reprises, peut se poursuivre jusque dans la méthode de désignation du premier président de la Cour de cassation. Même si celui-ci continue formellement à être nommé par décret du Président de la République, sa nomination est désormais proposée par le CSM sur la base d’un processus qui présente des traits communs avec un processus électif[71]. Ceux qui convoitent ce poste sont ainsi invités à faire acte de candidature et à formaliser leurs projets au sein d’une « note d’intention » dont le contenu, relativement politique, est rendu public[72]. La désignation par le CSM, que l’on pourrait qualifier de quasi-élection, renforce de facto la légitimité du premier président et sa capacité à mettre en œuvre les autoréformes de la Cour de cassation exposées dans sa note d’intention. Les importantes réformes initiées par le premier président Bertrand Louvel figuraient ainsi dans le projet à la lumière duquel sa candidature avait été retenue par le CSM en 2014.
27. Le mouvement de consolidation-extension du pouvoir normatif de la Cour de cassation – Les réticences à reconnaître officiellement le pouvoir normatif de la Cour de cassation, dont plus personne ou presque ne nie l’existence, s’expliquent sans doute par la crainte de l’effet cliquet bien connu en matière de droits et libertés fondamentaux. Une fois que l’on reconnaît que la Cour de cassation est dotée d’un pouvoir normatif, il est difficile de revenir en arrière en lui déniant ce pouvoir. La qualification de source du droit est constitutive à elle seule d’un « titre légitimant »[73]. Ce n’est ainsi pas un hasard si c’est la Cour de cassation elle-même, plus particulièrement depuis une décennie, qui entreprend d’officialiser son propre pouvoir normatif. En formalisant ce pouvoir, elle contribue à l’ancrer dans le paysage juridique comme une réalité incontestable.
Une fois le Rubicon franchi, une fois cet effet cliquet obtenu, la Cour de cassation peut partir de cette base consolidée pour tenter d’étendre progressivement ce pouvoir normatif[74].
Il est ainsi prévisible que l’on assiste en la matière à un mouvement de balancier entre consolidation et extension similaire à celui qui a pu être observé en matière de droits et libertés fondamentaux. Ceux qui contestent la légitimité d’un pouvoir normatif fort de la Cour de cassation peuvent donc prendre ombrage de ce mouvement de formalisation en y voyant une pente glissante fort dangereuse[75].
28. L’attitude principalement passive, mais bienveillante des pouvoirs législatif et réglementaire – L’inaction du Parlement et du Gouvernement, volontaire ou par négligence, permet au pouvoir normatif de la Cour de cassation de s’épanouir. Selon une idée communément répandue, les juges ne font que saisir une sorte de délégation de pouvoir qui leur est ainsi tacitement accordée[76]. Si le législateur et l’exécutif voyaient d’un mauvais œil ce mouvement d’autoréforme entrepris très publiquement par la Cour[77], il leur serait loisible d’y mettre un terme.
Il arrive même que le législateur accompagne ce mouvement[78]. Ainsi, Bertrand Louvel et Jean-Claude Marin avaient émis le vœu, lors d’une audition par la commission des lois de l’Assemblée nationale, que la pratique de l’amicus curiae soit formalisée dans le Code de l’organisation judiciaire afin qu’elle bénéficie d’un fondement textuel qui la consolide. Cette pratique avait alors été présentée aux députés comme aidant à l’établissement d’un raisonnement conséquentialiste lors de l’adoption d’une jurisprudence nouvelle puisqu’elle permet d’effectuer des études d’incidence[79]. Autrement dit, elle se rattachait clairement à la fonction normative de la Cour[80]. Le législateur a exaucé ce vœu en consacrant cette pratique à l’article L. 431-3-1 du Code de l’organisation judiciaire par la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du xxie siècle[81]. Autre exemple : un décret du 22 mai 2008 a modifié l’article 1020 du Code procédure civile qui exigeait que « l’arrêt vise le texte de loi sur lequel la cassation est fondée ». L’expression « règle de droit » a été substituée à l’expression « texte de loi » afin de prendre acte de l’existence d’arrêts de principe qui ne reposent sur aucun texte de loi. Cette complaisance n’est toutefois pas sans limites, ainsi l’amendement du Gouvernement au projet de loi de modernisation de la justice au xxie siècle visant à instaurer le filtrage des pourvois, voulu notamment par le premier président Bertrand Louvel, a-t-il été retiré dès son examen en commission des lois face à l’opposition des députés[82].
Cette extension du pouvoir normatif de la Cour emportée par sa formalisation nuit, en contrepoint, à d’autres pouvoirs concurrents.
2. Un jeu de vases communicants
29. – Au-delà de la question de la légitimité de la Cour de cassation à exercer un pouvoir normatif formalisé, un tel pouvoir est constitutif d’une menace immédiate pour d’autres sources du droit non formelles, principalement la doctrine et la jurisprudence des juges du fond (a). De manière un peu plus prospective, ce pouvoir constitue une menace pour la fonction disciplinaire de la Cour de cassation dont on pressent qu’elle risque d’être reléguée au second plan, voire abandonnée (b).
a) Une menace pour d’autres sources du droit non formalisées
30. L’autonomisation de la jurisprudence par rapport à la doctrine – Il y a peu, on doutait encore que la jurisprudence puisse exister sans la doctrine qui la « commente » et la « transfigure »[83], et inversement[84]. Pour certains, la jurisprudence en tant qu’œuvre des juges ne pouvait être une source du droit autonome puisque les règles jurisprudentielles n’existent que par l’action de la doctrine qui détermine, parmi la masse des arrêts, ceux dignes d’intérêt sur un plan normatif et qui en fixe l’interprétation. Atias relevait ainsi que selon l’interprétation qui en est faite, il est possible de dégager d’un arrêt différentes règles de droit. Or, « entre ces multiples règles, le juge ne peut guère imposer un choix. Une fois sa décision prononcée, elle lui échappe ; elle sera lue, analysée, commentée peut-être, et prendra le sens que ses lecteurs lui donneront, s’ils daignent se souvenir de cet arrêt et le faire figurer dans la “jurisprudence” »[85].
Certains des procédés précédemment décrits qui participent de l’érection de la jurisprudence de la Cour en source formelle du droit changent la donne. Ils renforcent la maîtrise qu’a le juge de cassation de sa propre jurisprudence en l’affranchissant un peu plus de la tutelle de la doctrine. Ainsi, en adoptant une motivation enrichie, la Cour de cassation limite la marge d’interprétation de la doctrine : « encourager cette démarche revient à dire que les magistrats de la Cour sont les meilleurs interprètes de leur propre jurisprudence »[86]. En outre, en commentant ses propres décisions sur son site Internet ou encore dans ses « lettres des chambres », celles-ci n’échappent plus totalement au juge après leur prononcé : il peut encore influencer l’interprétation qui en sera faite via ces publications annexes.
Un auteur a ainsi pu parler, à l’occasion de la mise en œuvre de la rédaction des arrêts en style direct avec une motivation enrichie, de « panique à l’université », craignant que les controverses doctrinales quant à l’interprétation des arrêts se tarissent, que « ceux qui rédigeaient de lucratives consultations sur la pointe d’un arrêt » soient privés de leur gagne-pain, et que l’exercice académique du commentaire d’arrêt disparaisse[87]. Le ton humoristique de cet édito, qui grossit le trait, ne doit pas occulter le fait que la formalisation du pouvoir normatif de la Cour de cassation conduit en contrepoint à une diminution de celui de la doctrine qui a toujours été beaucoup plus diffus, informel voire inconscient, et dépendant des autres sources du droit sur lesquelles il prend appui.
Certes, ces nouveaux procédés ne confèrent toujours pas à la Cour de cassation un contrôle absolu des règles qu’elle édicte, mais un tel contrôle ne peut exister en pratique, pas même pour l’archétype de la source formelle du droit qu’est la loi. Le législateur dispose de procédés qui lui permettent de tenter d’encadrer dans une certaine mesure les interprétations de ses lois, mais ce cadre ne pourra jamais enserrer totalement l’interprète. Ainsi le juge reste-t-il libre de ne pas prendre en compte les travaux préparatoires de la loi, d’interpréter les lois interprétatives et les définitions légales, etc.
Ainsi la mutation de la jurisprudence de la Cour de cassation pourrait-elle préfigurer une redéfinition des rôles respectifs de la doctrine et de la jurisprudence en droit privé. Depuis le début du xxe siècle, « les rôles sont ainsi répartis entre les juges et les professeurs : aux premiers l’expérience du jugement, aux seconds la construction du système »[88] ; selon une formule de Saleilles, le législateur ordonne, le juge exécute et la doctrine coordonne et construit[89]. Récemment, la Cour de cassation entreprend à son tour de construire le système notamment grâce au procédé de la motivation enrichie[90] qui lui permet de lier ses arrêts entre eux[91] et ainsi d’expliciter leur contribution à l’édifice jurisprudentiel, au-delà de la casuistique. De même, par ses publications annexes, la Cour de cassation s’érige en commentateur de ses propres décisions[92]. Ce faisant, elle se rapproche du Conseil d’État dont les membres « tout à la fois décident, enseignent et écrivent »[93].
31. La marginalisation du pouvoir normatif des juges du fond – Il est communément admis qu’il peut exister, sur telle ou telle question de droit, une jurisprudence des juges du fond, même si elle est moindre par rapport à celle de la Cour de cassation en raison de l’unicité de celle-ci et de sa position dans la hiérarchie judiciaire. Néanmoins, reconnaître officiellement le pouvoir normatif de la Cour de cassation sans reconnaître officiellement celui des juges du fond, c’est nécessairement donner plus d’importance au premier qu’au second, voire dénier le second. Il pourrait subsister une jurisprudence des juges du fond, mais une jurisprudence « new generation »[94], incitée par l’open data des décisions de justice et les algorithmes, relative à la seule appréciation des cas.
Il existe ainsi des velléités de consécration d’un quasi-monopole de la Cour de cassation au sein de l’ordre judiciaire interne en matière normative au sens fort. Guy Canivet préconise par exemple de transformer la procédure de demande d’avis en « question préalable d’interprétation »[95]. Celle-ci, tout comme la question préjudicielle dans le cadre du droit de l’Union européenne, devrait obligatoirement être transmise à la Cour de cassation en cas de difficulté sérieuse d’interprétation de la loi. La réponse de la Cour de cassation lierait alors la juridiction du fond ayant transmis la question. La commission « Nallet » a même envisagé que les avis ainsi rendus puissent s’imposer à toutes les juridictions du fond sur les points de droit qu’ils tranchent[96]. Les juges du fond seraient alors largement dépouillés de leur faculté d’initier une jurisprudence sur une question de droit nouvelle si tant est, naturellement, que l’on parvienne à passer outre la résistance des juges du fond que la mise en œuvre d’une telle réforme ne manquerait pas de susciter.
Cette aspiration est parfaitement cohérente avec une autre : l’abandon par la Cour de cassation de sa fonction disciplinaire.
b) Une menace pour la fonction disciplinaire de la Cour de cassation
32. La relégation au second plan de la fonction disciplinaire de la Cour de cassation – À moyens humains constants, le développement du pouvoir normatif de la Cour de cassation ne peut se faire qu’au détriment de ses autres fonctions[97]. C’est la raison pour laquelle d’aucuns imaginent une Cour de cassation libérée de sa fonction disciplinaire, c’est-à-dire libérée du contrôle du respect de la légalité par les juges du fond. Cette volonté s’est matérialisée par un projet très décrié de filtrage des pourvois, élaboré par la Cour de cassation elle-même, dont l’un des bénéfices escomptés est « un allègement de la charge budgétaire »[98]. Seuls seraient admis les pourvois soulevant une question de principe présentant un intérêt pour le développement du droit, une question présentant un intérêt pour l’unification de la jurisprudence, ou invoquant une atteinte grave à un droit fondamental[99]. Les deux premiers de ces cas d’ouverture à cassation se rattachent directement au pouvoir normatif de la Cour de cassation ; le dernier pourrait être vu cyniquement comme une maigre concession accordée aux thuriféraires du rôle disciplinaire de la Cour de cassation afin de mieux faire passer la pilule.
33. La réorganisation des première et seconde instances – Ce projet de refonte majeure du rôle de la Cour de cassation, recentré sur un pouvoir normatif pleinement formalisé, a été très critiqué pour son caractère antidémocratique. Un tel système, a-t-on écrit, conduirait à admettre que certaines décisions des juges du fond contraires au droit puissent perdurer sans aucune possibilité de remise en cause, le droit à un pourvoi en cassation étant refusé à ceux dont l’affaire ne serait pas jugée suffisamment digne d’intérêt sur un plan normatif[100]. Deux remarques peuvent toutefois être formulées.
D’abord, un tel système n’aboutirait pas à faire perdurer des décisions contraires au droit, mais plutôt des décisions contraires à une certaine conception du droit, celle de la Cour de cassation. Cette conception du droit s’impose dans les faits non pas parce que les décisions de la Cour de cassation sont par nature meilleures que celles de telle ou telle juridiction du fond, mais parce que la Cour se trouve au sommet de la hiérarchie judiciaire. Faire perdurer des décisions des juges du fond contraires à la jurisprudence de la Cour de cassation ne serait donc pas nécessairement une injustice insoutenable. Il suffit, pour s’en convaincre, de constater que la doctrine critique quotidiennement la pertinence des arrêts de la Cour de cassation et que cette dernière peut elle-même changer d’avis sur une question donnée en opérant des revirements de jurisprudence, parfois en s’appuyant expressément sur le constat d’une résistance des juges du fond[101].
Ensuite, et surtout, les auteurs de ce projet de filtrage des pourvois répondent en partie à cette critique en préconisant de réformer simultanément les rôles des juridictions de première et seconde instance. Il est ainsi proposé d’accompagner le filtrage des pourvois d’un « renforcement appuyé des moyens octroyés au juge de première instance, juge naturel de la fin du procès » et « d’une réforme substantielle de l’appel civil qui mette les cours d’appel en situation de recentrer leur office sur l’appréciation de la régularité et de la qualité du jugement de première instance, frappé de recours »[102]. Le rôle disciplinaire abandonné par la Cour de cassation serait ainsi largement réattribué aux cours d’appel. Correctement menée, on perçoit les avantages qu’une telle réforme pourrait présenter pour les justiciables : des procédures plus courtes, donc moins onéreuses, sans perte de qualité. L’accès au juge tient « moins à la possibilité de multiplier les voies de recours (un argument répandu) que de résoudre les litiges à la satisfaction des justiciables dès la première instance »[103].
34. La transformation de la Cour de cassation en cour suprême – L’aboutissement ultime du mouvement qui conduit à renforcer le rôle normatif de la Cour de cassation au détriment de son rôle disciplinaire serait la transformation de la Cour de cassation en cour suprême à l’américaine, ne jugeant que quelques affaires par an choisies par les hauts magistrats pour l’intérêt qu’elles présentent pour l’évolution du droit. Les normes jurisprudentielles posées par la Cour de cassation s’imposeraient formellement aux juges du fond. L’idée n’est pas nouvelle[104].
Il s’agirait de l’aboutissement ultime du processus de formalisation du pouvoir normatif de la Cour de cassation, dont l’opportunité est vivement contestée[105], mais d’un aboutissement non nécessaire. Il est possible de reconnaître officiellement le pouvoir normatif de la Cour de cassation sans aller jusqu’à ériger celle-ci en cour suprême à l’américaine avec l’instauration d’un filtrage drastique des pourvois et d’une forme de règle du précédent qui s’imposerait aux juridictions inférieures. Une position intermédiaire est possible ainsi que l’illustre déjà la pratique de la procédure de non-admission des pourvois[106]. Elle conduit au rejet non spécialement motivé de nombreux pourvois et il ressort des rapports des conseillers rapporteurs que le rejet est très souvent justifié par le seul fait que la décision contestée est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation, alors qu’historiquement une jurisprudence ne pouvait servir de base à un pourvoi en cassation[107]. On n’est déjà pas loin d’une application de facto d’une forme de règle du précédent : dans ces hypothèses, la Cour ne contrôle plus directement la conformité des décisions des juges du fond à la loi, mais à sa propre jurisprudence.
B. L’encadrement du pouvoir normatif
35. – Nous pouvons ici reproduire, sans en changer un mot, la conclusion du Rapport sur les revirements de jurisprudence rédigé par le groupe de travail présidé par Nicolas Molfessis : « Il ne s’agit pas de faire advenir le pouvoir des juges. Celui-ci existe déjà. Qu’on s’en félicite ou qu’on le déplore est une autre discussion. En revanche, un tel pouvoir ne saurait être exercé discrétionnairement ni même discrètement, à l’ombre de tout débat et sans que les intéressés aient été mis en mesure de le discuter et de peser ouvertement sur son exercice. Inciter le juge à rendre compte de ses choix, à prendre en considération les intérêts qui sont au cœur du litige, à éviter les injustices ou les désordres que ses décisions pourraient entraîner, n’accroît pas son pouvoir mais contribue à sa maîtrise. » Cette conclusion, rendue à propos des revirements de jurisprudence, peut sans difficulté être généralisée à la question du pouvoir normatif de la Cour de cassation. Ainsi ne faut-il pas, selon nous, rejeter par principe la reconnaissance formelle du pouvoir normatif de la Cour de cassation. Au contraire, il est temps d’abandonner des fictions qui ont fait leur temps pour reconnaître l’évidence : il est des arrêts qui ont de facto une portée réglementaire.
Cependant, il est vrai que l’article 5 du Code civil, prohibant les arrêts de règlement, a constitué pendant deux siècles un garde-fou relativement efficace en incitant la Cour de cassation à faire montre d’une certaine réserve dans son œuvre normative. La formalisation du pouvoir normatif à laquelle on assiste actuellement rompt ce statu quo et peut conduire à débrider ce pouvoir. Il faut donc faire peser sur la Cour de cassation de nouvelles contraintes visant à l’encadrer. Certaines existent d’ores et déjà en ce qu’elles découlent naturellement du seul dévoilement du pouvoir normatif de la Cour de cassation (1). Elles sont toutefois insuffisantes et doivent s’accompagner de contraintes légales ad hoc qui restent encore largement à construire (2).
1) Des contraintes découlant naturellement de la seule formalisation du pouvoir normatif
36. Une contrainte endogène – La mise en œuvre par la Cour de cassation d’une motivation enrichie pour les arrêts à forte portée normative part du postulat que l’argument d’autorité ne suffit plus à rendre ses décisions acceptables, et que « l’autorité réelle de la décision [tient] à sa force persuasive »[108]. Il est possible que la Cour y soit pour quelque chose dans cet état de fait. En dévoilant son véritable pouvoir normatif, en admettant ouvertement qu’elle ne peut être réduite à un rôle d’application plus ou moins mécanique de la loi, la Cour de cassation contribue à la dévalorisation de l’argument d’autorité. Pour rendre ses décisions acceptables, elle doit donc davantage convaincre de leur pertinence, non seulement juridique, mais aussi politique au sens large[109]. On peut déjà constater, en la matière, l’apparition d’un cercle vertueux, ou vicieux selon le point de vue : les commentateurs se montrent de plus en plus critiques lorsqu’un arrêt à forte portée normative leur apparaît insuffisamment ou incorrectement motivé[110].
37. Une contrainte endogène insuffisante – La motivation enrichie étant le fruit d’une autoréforme, la Cour de cassation en a actuellement l’entière maîtrise. En pratique, il lui est loisible de dévoiler certains motifs lorsque cela peut contribuer à renforcer la légitimité de sa décision, par exemple pour se réclamer de l’intention du législateur, et au contraire de garder dans le secret du délibéré les motifs qui pourraient la desservir[111].
L’application anticipée de l’ordonnance du 10 février 2016 que fait occasionnellement la Cour de cassation est un exemple topique. Par quelques arrêts rendus en 2017, la Cour de cassation avait modifié certaines règles jurisprudentielles applicables aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance[112]. Ces revirements de jurisprudence « pour le passé », si l’on peut s’exprimer ainsi, étaient explicitement justifiés par la volonté d’aligner la jurisprudence antérieure sur la loi nouvelle. On trouvait ainsi dans la motivation enrichie de ces arrêts la formule suivante : « l’évolution du droit des obligations, résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, conduit à apprécier différemment… ». Le législateur, lors du vote de la loi de ratification du 20 avril 2018, a expressément manifesté sa désapprobation[113]. Depuis le vote de cette loi, la Cour de cassation n’emploie plus la formule précitée, mais elle n’a pourtant pas abandonné cette pratique. Ainsi, en 2021, la troisième chambre civile a abandonné sa célèbre jurisprudence Consorts Cruz initiée en 1993 en jugeant que, désormais, la rétractation d’une promesse unilatérale de contrat par le promettant avant l’expiration du délai prévu pour la levée de l’option n’empêche plus la formation du contrat promis[114]. À travers pas moins de cinq paragraphes de motivation enrichie, la Cour justifie ce revirement par une modification de son interprétation des anciens articles 1101, 1134 et 1142 du Code civil. Or cette nouvelle interprétation est celle qui était défendue par la quasi-totalité de la doctrine contractualiste depuis 1993 pour critiquer vivement l’arrêt Consorts Cruz. Il manque donc un élément essentiel dans la motivation de l’arrêt : pourquoi la Cour a-t-elle attendu vingt-huit ans pour abandonner une jurisprudence qu’elle avait, pendant tout ce temps, maintenue malgré les discours eschatologiques d’une partie de la doctrine ? Il n’est pas nécessaire de recourir aux arts divinatoires pour comprendre que c’est l’ordonnance du 10 février 2016 qui a très probablement conduit à cet abandon. En effet, le législateur a désavoué la Cour en brisant la jurisprudence Consorts Cruz, mais pour l’avenir seulement. En effectuant ce revirement, la Cour a aligné la jurisprudence applicable aux promesses conclues avant le 1er octobre 2016 sur la règle du nouvel article 1124 du Code civil, applicable aux seules promesses conclues à compter du 1er octobre 2016. Autrement dit, la Cour a fait exactement ce que le législateur lui avait demandé de ne plus faire lors du vote de la loi de ratification du 20 avril 2018. On comprend donc aisément pourquoi la troisième chambre civile a choisi de ne pas faire apparaître ce motif dans son arrêt, contrairement à ce qu’elle avait fait dans ses arrêts de 2017. La chambre commerciale, se montrant plus téméraire, a d’ailleurs ultérieurement reconnu, par un arrêt rendu en 2023, que ce revirement était en réalité motivé par l’adoption de l’ordonnance de 2016[115].
La motivation enrichie ayant été instaurée à l’initiative de la Cour de cassation elle-même, dans le cadre son mouvement d’autoréforme, il n’est pas surprenant qu’elle ait été instrumentalisée. Il est souhaitable que d’autres contraintes soient imposées par des autorités tierces.
38. Des contraintes exogènes imposées par les juridictions supranationales – La jurisprudence de la Cour de cassation est reconnue comme une source du droit français par certaines juridictions supranationales, ce qui la soumet de ce seul fait aux mêmes contraintes que celles imposées aux autres sources formelles du droit français.
La Cour de justice de l’Union européenne considère ainsi la jurisprudence nationale comme porteuse de normes juridiques nationales, avec les conséquences que cette qualification emporte[116]. Elle en déduit par exemple que le principe de primauté du droit de l’Union européenne commande à la juridiction du fond de renvoi de ne pas se conformer à l’arrêt de cassation qui la saisit s’il consacre une jurisprudence contraire au droit de l’Union européenne[117]. Ainsi érigée officiellement en source du droit national, la jurisprudence de la Cour de cassation doit être conforme au droit de l’Union européenne, ce dont la Cour de cassation s’assure parfois a priori ou a posteriori par le biais d’une question préjudicielle, ainsi que nous l’avons vu[118].
La Cour européenne des droits de l’homme, quant à elle, inclut la jurisprudence, y compris celle des pays « continentaux » comme la France, dans la notion de « loi » employée à de nombreuses occasions dans la Convention[119]. C’est plus précisément aux seules hautes juridictions nationales, donc à la Cour de cassation dans l’ordre judiciaire français, que la Cour européenne reconnaît le pouvoir d’établir une jurisprudence équivalente à la « loi » au sens de la Convention[120]. Cette élévation officielle au rang de source du droit emporte là aussi son lot de contraintes. Ainsi, lorsque la Convention prévoit que des dérogations à un droit fondamental peuvent être prévues par la « loi », la jurisprudence ne peut valablement prévoir de telles dérogations que si elle présente certains caractères : elle doit avoir été établie antérieurement aux faits de l’espèce et elle doit être accessible, prévisible et constante[121]. C’est ce qui a contraint par exemple la Cour de cassation à déroger à la rétroactivité d’un revirement en matière pénale qui n’était pas prévisible à la date des faits reprochés à l’accusé, afin d’éviter une violation de l’article 7 de la Convention[122]. Par ailleurs, afin d’éviter une violation du droit à un procès équitable garanti par l’article 6, § 1, de la Convention, l’abandon d’une « jurisprudence constante » emporte pour la Cour de cassation « l’obligation d’adopter une motivation plus substantielle exposant les raisons justifiant le revirement »[123]. La motivation enrichie de certains arrêts[124] est donc une pratique en partie imposée par la Cour européenne des droits de l’homme.
Les principales contraintes exogènes ne pourront toutefois émaner que du législateur.
2) Des contraintes légales édictées ad hoc restant largement à construire
39. L’indigence de la réglementation légale du pouvoir normatif de la Cour de cassation de lege lata – Les règles légales relatives à la fonction normative de la Cour de cassation sont rares. On peut citer la pratique de l’amicus curiae, utilisée par la Cour de cassation pour procéder à des études d’incidence avant de rendre un arrêt de principe. Si elle trouve depuis peu un fondement légal dans le Code de l’organisation judiciaire[125], le législateur a profité de cette consécration pour l’encadrer afin de préserver les droits des parties à l’instance. L’article 1015-2 du Code de procédure civile prévoit ainsi que les parties doivent pouvoir prendre connaissance des observations formulées par la personne consultée par la Cour. En outre, à l’issue de cette consultation, les parties disposent d’un délai pour présenter leurs observations à la Cour par écrit.
40. La raison de la rareté de la réglementation actuelle – Si le législateur a, pour l’instant, assez peu réglementé le pouvoir normatif de la Cour de cassation, c’est parce que l’officialisation de ce pouvoir est encore un processus inachevé. Le principal témoin de ce caractère inachevé est l’article 5 du Code civil qui prohibe les arrêts de règlement. Or le législateur ne pourra pleinement appréhender le pouvoir normatif de la Cour de cassation comme objet de réglementation que lorsque la loi cessera de décréter, en décalage avec la pratique contemporaine, que la Cour de cassation ne peut rendre des arrêts de règlement. On ne peut saisir un phénomène dont on nie l’existence.
La modification précédemment évoquée du droit transitoire de l’ordonnance de réforme du droit des contrats du 10 février 2016[126] l’illustre. Au cours des débats ayant conduit à l’adoption de la loi de ratification du 20 avril 2018, les parlementaires avaient clairement exprimé leur opposition à la pratique de la Cour de cassation consistant à déroger indirectement à la règle de survie de la loi ancienne en matière contractuelle par le biais de revirements de jurisprudence. Toutefois, la méthode employée par le législateur pour briser cette pratique est apparue totalement inadaptée. À l’alinéa 2 de l’article 9 de l’ordonnance, qui disposait que « les contrats conclus avant cette date [d’entrée en vigueur] demeurent soumis à la loi ancienne », a été ajoutée la formule « y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public ». Or les quelques arrêts qui avaient effectué une application anticipée de l’ordonnance n’étaient aucunement justifiés par le fait que les dispositions de l’ordonnance en cause régissaient les effets légaux du contrat ou étaient des dispositions d’ordre public. Formellement, la Cour de cassation n’appliquait pas ces dispositions à des contrats conclus avant leur entrée en vigueur, elle se contentait de modifier sa jurisprudence applicable aux contrats antérieurs pour l’aligner, sur le fond, sur les règles nouvelles de l’ordonnance.
Pour bien faire, le législateur aurait dû interdire à la Cour de cassation de faire évoluer sa jurisprudence applicable aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016, mais cela aurait constitué la première disposition transitoire légale ayant pour objet des règles jurisprudentielles. On comprend aisément le malaise du législateur lorsqu’il s’agit de saisir un phénomène, le pouvoir normatif de la Cour de cassation, dont la loi nie formellement l’existence.
Pourtant, une telle saisine de la jurisprudence par le législateur comme objet de réglementation ne nous semble pas inconcevable et nous paraît même souhaitable. Elle devrait commencer par un abandon de l’article 5 du Code civil dans sa forme actuelle.
41. L’abrogation de l’article 5 du Code civil, préalable nécessaire – L’expérience des deux derniers siècles a démontré que la prohibition des arrêts de règlement n’était pas un obstacle dirimant au développement de la jurisprudence comme source du droit. Mouly a ainsi pu écrire que « de la forte majorité qui admet le pouvoir normatif de la jurisprudence se dégage une sorte d’abrogation tacite de l’article 5 du Code civil »[127]. Faut-il aller au bout de la logique et abroger formellement l’article 5 du Code civil, « véritable statut légal de la jurisprudence »[128] selon Hébraud ? On peut craindre qu’une telle abrogation revienne à faire sauter la dernière digue qui empêche le pouvoir normatif de la Cour de cassation de sortir totalement de son lit. Deux observations doivent toutefois être formulées.
D’abord, la Cour de cassation franchit déjà, à de multiples occasions, la frontière, au demeurant très floue, tracée par l’article 5 du Code civil[129]. Le traitement de questions de droit sans lien avec le pourvoi dont elle est saisie par voie d’obiter dictum, la référence à sa propre jurisprudence antérieure comme source de règles de droit ou encore la modulation dans le temps d’un revirement de jurisprudence en édictant une règle jurisprudentielle nouvelle qui n’aura vocation à s’appliquer qu’aux instances futures[130] sont autant de « procédés qui dissocient, dans une décision, son aspect juridictionnel et son aspect jurisprudentiel »[131] et qui participent donc de l’arrêt de règlement. Exclure ces décisions de la catégorie des arrêts de règlement au motif que les juges restent libres de ne pas suivre les règles qui y sont édictées dans leurs décisions ultérieures revient pratiquement à vider de toute substance la notion d’arrêt de règlement et, avec elle, la prohibition fulminée à l’article 5 du Code civil.
Ensuite, l’abrogation de cet article doit être conçue comme le préalable nécessaire à l’édiction d’une véritable réglementation du pouvoir normatif de la Cour de cassation et ces deux étapes doivent idéalement être mises en œuvre concomitamment. Il ne s’agit pas de laisser le champ libre à la Cour de cassation, mais d’acter le fait que la règle de l’article 5 du Code civil est devenue totalement inapte à appréhender les avatars contemporains d’un phénomène, la jurisprudence, qui a considérablement évolué en deux siècles. Le législateur ne pourra régir le pouvoir normatif de la Cour de cassation que s’il reconnaît préalablement l’existence de ce pouvoir, ce que l’article 5 du Code civil l’empêche de faire pleinement.
42. Un régime à imaginer et à construire – Tout ou presque reste à faire en la matière, tant l’idée de saisir le pouvoir normatif de la Cour de cassation comme objet de réglementation pouvait paraître saugrenue il y a encore quelques décennies de cela. Elle le paraît de moins en moins, à mesure que la jurisprudence de la Cour de cassation gagne ses lettres de noblesse en tant que source formelle du droit. Quelques pistes ont déjà été formulées, comme régir les rapports entre la Cour de cassation et le Parlement et le Gouvernement[132]. À ce propos, Christophe Soulard a proposé dans sa note d’intention « de présenter chaque année, devant la commission des lois de chacune des assemblées parlementaires, les arrêts récents les plus marquants et d’instituer, auprès de la Cour de cassation, un conseil de juridiction dans lequel siégeront notamment des élus ». Cet exercice serait « conçu comme découlant de la responsabilité de l’institution judiciaire, l’une des composantes de cette responsabilité consistant à rendre compte ».
Cette réglementation ne devra pas avoir seulement pour objet d’encadrer le pouvoir normatif de la Cour de cassation, mais aussi d’en permettre un exercice plus efficace, dans l’intérêt général. Là aussi, quelques pistes de réflexion existent déjà, comme l’instauration d’un comité de liaison entre la Cour de cassation et le Conseil d’État pour tenter d’unifier les jurisprudences judiciaire et administrative sur les questions de droit qui intéressent les deux ordres juridictionnels. Cette proposition a été faite par le Conseil d’État en cas de déclenchement d’un état d’urgence[133], mais pourrait être généralisée.
43. Conclusion – Avec son mouvement d’autoréforme, la Cour de cassation a démontré que la formalisation de son pouvoir normatif se ferait avec ou sans le concours du législateur. Les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice de l’Union européenne rendent par ailleurs cette formalisation quasiment inéluctable. Le législateur n’a donc aucun intérêt à demeurer indifférent et devrait accompagner le mouvement afin de l’encadrer, ce qui implique l’abandon de vieilles fictions qui ont fait leur temps.
[1] Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, dir. G. Cornu, 8e éd., PUF, 2007, v° « Source » sens 1, b.
[2] F. Geny, Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif, Essai critique, t. 1, 2e éd., préf. R. Saleilles, LGDJ, Lextenso éditions, 2016 [rééd. 1919], p. 163, n° 91.
[3] F. Terré et N. Molfessis, Introduction générale au droit, 15e éd., Dalloz, 2023, n° 287.
[4] L’étude annuelle 2018 de la Cour de cassation donne un aperçu de ces différentes facettes du pouvoir normatif (F. Merchadier (dir.), Cour de cassation : Étude annuelle 2018, le rôle normatif de la Cour de cassation, La documentation française, 2019). V. aussi, P. Hébraud, « Le juge et la jurisprudence », Mélanges offerts à Paul Couzinet, Université des sciences sociales de Toulouse, 1974, p. 329 et s., spéc. n° 4.
[5] On se contentera ici de quelques exemples : « Les discussions sur le point de savoir si la jurisprudence est source de droit ont beaucoup plus pour objet aujourd’hui le choix entre les raisons de répondre affirmativement que l’hésitation sur l’affirmative » (H. Battifol, « Note sur les revirements de jurisprudence », ADP 1967, t. XII, p. 335) ; « Les juristes préfèrent admettre que la jurisprudence est source de normes juridiques sans en établir le fondement » (C. Mouly, « Comment rendre les revirements de jurisprudence davantage prévisibles ? », LPA 18 mars 1994, n° PA199403303). V. aussi M. Waline, « Le pouvoir normatif de la jurisprudence », Études en l’honneur de Georges Scelle, t. II, LGDJ, 1950, p. 613, spéc. n° 14.
[6] Th. Revet, « La légisprudence », Mélanges en l’honneur de Philippe Malaurie, Defrénois, 2005, p. 377 et s., spéc. n° 1 : « Dans un ordre juridique qui s’est construit contre elle tout en constatant, bien vite, qu’il ne pourrait s’en passer, la jurisprudence ne peut qu’avoir un statut foncièrement ambigu ». P. Morvan, « En droit, la jurisprudence est une source du droit », RRJ 2001-1, p. 77 et s., n° 2 : selon la doctrine majoritaire, « en droit, la jurisprudence n’est pas une source du droit ».
[7] F. Terré et N. Molfessis, op. cit., n° 374.
[8] M. Gobert, « La jurisprudence, source du droit triomphante mais menacée », RTD civ. 1992, p. 344.
[9] P. Morvan, op. cit., n° 4.
[10] V. C. François, L’acte juridique irrégulier efficace, Contribution à la théorie de l’acte juridique, préf. Th. Revet, LGDJ, 2020, n° 704 et s.
[11] Groupe de travail de la Cour de cassation (prés. N. Molfessis), Les revirements de jurisprudence : rapport remis à Monsieur le Premier Président Guy Canivet, LexisNexis, 2005, p. 13.
[12] C. Arens, « Les grands enjeux contemporains de l’office du juge en matière civile », RTD civ. 2023, p. 573.
[13] Contre cette interprétation classique de cette phrase de Montesquieu, V. K. Castanier, Le syllogisme judiciaire, th. dactyl., 2021, n° 79.
[14] Montesquieu, De l’esprit des lois, 1748, t. II, livre XI, chap. VI.
[15] Selon la loi du 27 novembre et du 1er décembre 1790, le Tribunal de cassation était institué « auprès du Corps Législatif ».
[16] F. Geny, op. cit., p. 59, no 41.
[17] Les passages les plus cités du discours préliminaire du premier projet de Code civil de Portalis suffisent à le démontrer : « Un code, quelque complet qu’il puisse paraître, n’est pas plutôt achevé, que mille questions inattendues viennent s’offrir aux magistrats. […] Une foule de choses sont donc nécessairement abandonnées […] à l’arbitrage des juges. L’office de la loi est de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit […]. C’est au magistrat et au jurisconsulte, pénétrés de l’esprit général des lois, à en diriger l’application. »
[18] Propos rapportés par Loiseau : Ch. Vergé et Loiseau, Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, Comptes rendus publiés dans le Moniteur universel, années 1840 et 1841, A. Picard & fils, 1893, p. 362 à 364 et 445 à 451, spéc. p. 445.
[19] F. Geny, op. cit., p. 18, no 10.
[20] R. Saleilles, « Préface » in F. Geny, op. cit., p. XII.
[21] F. Geny, op. cit., p. 38, no 25. V. aussi Ph. Théry, « Pierre Hébraud : une analyse réaliste de la jurisprudence », Pierre Hébraud, doctrine vivante ?, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2018, p. 187 et s., spéc. n° 21 : « la jurisprudence se dissimule autant dans la décision que derrière la loi (écran ?) » ; Y. Chartier, « De l’an II à l’an 2000, Remarques sur la rédaction des arrêts civils de la Cour de cassation », Mélanges offerts à Pierre Drai, Dalloz, 2000, p. 269 et s., spéc. p. 282.
[22] F. Geny, op. cit., p. 69, n° 45 : « notre Cour de cassation a su concilier une saine et féconde entente de son rôle avec le respect de règles de procédure ».
[23] À propos de l’adaptation des textes anciens et de la création du droit par la Cour de cassation, Bellet, premier président de la Cour de cassation, écrivait : « craignant le scandale, et fidèle sur ce point à l’évangile, elle l’a fait sans bruit et en sauvegardant les apparences d’une parfaite obéissance à la loi » (P. Bellet, « Grandeur et servitude de la Cour de cassation », Revue internationale de droit comparé 1980, n° 32-2, p. 293 et s., spéc. p. 295).
[24] V. par ex. Cass. 1re civ., 14 déc. 2004, n° 03-18.413.
[25] C. Atias, « D’une vaine discussion sur une image inconsistante : la jurisprudence en droit privé », RTD civ. 2007, p. 23, spéc. n° 8.
[26] M. Gobert, op. cit. Ou, selon une autre formule, de la « jurisprudence-révélation » à la « jurisprudence-création » (P. Deumier, « Les différentes figures de la modulation de la jurisprudence », RDP 2016, p. 815).
[27] F. Geny, op. cit., p. 140, no 182.
[28] La Cour de cassation vise désormais dans ses arrêts de cassation le seul « principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » (V. par ex. Cass. 3e civ., 21 juill. 1999, n° 96-22.735).
[29] Étude annuelle 2018 : le rôle normatif de la Cour de cassation, op. cit., p. 23. V. aussi Ph. Théry, « Pierre Hébraud : une analyse réaliste de la jurisprudence », op. cit., n° 19.
[30] V. not. Cass. ass. plén., 19 mai 2010, n° 09-70.161 ; RTD civ. 2010, p. 810, obs. Ph. Théry ; JCP G 2010, doctr. 1039, note N. Molfessis.
[31] V. Ph. Théry, obs. préc.
[32] Formule d’abord employée par le Conseil constitutionnel (Cons. const., 6 oct. 2010, n° 2010-39 QPC ; JCP G 2010, note 1145, A. Gouttenoire et Ch. Radé ; D. 2010, p. 2744, note F. Chénedé ; RTD. civ. 2011, p. 90, obs. P. Deumier) puis régulièrement utilisée par la Cour de cassation (V. par ex. Cass. 1re civ., 27 sept. 2011, n° 11-13.488 ; Cass. soc., 10 sept. 2019, n° 19-12.025).
[33] Cass. 3e civ., 30 mars 2017, n°16-22.058 ; D. 2017, p. 1344, note T. Lakssimi ; Énergie – Env. – Infrastr. 2017, comm. 53, note A. Danis-Fatôme.
[34] V. par ex. Cass. 1re civ., avr. 2021, n° 19-25.180, inédit, spéc. § 4 et 5 (LEDC mai 2021, n° 200c4, p. 5, obs. H. Kassoul) ; 10 mars 2021, n° 19-18.443, inédit, spéc. § 4 (LEDC mai 2021, n° 200c6, p. 6, obs. G. Guerlin).
[35] JCP G 2016, act. 458 : « on pourrait presque parler d’une révolution dans la motivation des décisions […] la jurisprudence apparaît clairement comme source ».
[36] P. Hébraud, art. préc., n° 9.
[37] Dossier de presse du 5 avr. 2019 intitulé « Le mode de rédaction des arrêts de la Cour de cassation change », p. 2, https://www.courdecassation.fr/files/files/D%C3%A9cisions/Dossier%20de%20presse%20%27Le%20mode%20de%20r%C3%A9daction%20des%20arr%C3%AAts%20de%20la%20Cour%20de%20cassation%20change%27.pdf [consulté le 09/04/2024]
[38] Ibid.
[39] « La pratique de la motivation dite “enrichie” doit continuer à être développée. » (note d’intention remise par Christophe Soulard aux membres du CSM dans le cadre de sa candidature aux fonctions de premier président de la Cour de cassation).
[40] Ph. Galanopoulos, « De la jurisprudence de la Cour de cassation : le nombre, le style et la publicité des arrêts », Deux siècles de jurisprudence, La Cour de cassation au service du droit et du justiciable, Dalloz, 2022, p. 7 et s., spéc. p. 15.
[41] Ibid., p. 14.
[42] Ibid., p. 16. V. aussi Y. Chartier, op. cit., p. 269 et 270.
[43] B. Cathala, « Le nouveau langage des sigles de la Cour de cassation », Dr. soc. 2021, p. 676 : « La disparition des lettres PBRI sur les arrêts signe une évolution de la façon dont la Cour de cassation envisage d’indiquer la priorisation de ses arrêts ».
[44] S. Hortala, Les obiter dicta de la Cour de cassation, Étude de la jurisprudence civile, Dalloz, 2019, n° 260, p. 337. Cette démarche sera vraisemblablement poursuivie par le nouveau premier président de la Cour de cassation, Christophe Soulard, si l’on se fie à sa note d’intention précitée : « Les explications [que la Cour de cassation] donne s’adressent, au-delà des juridictions, à l’ensemble de la population, qui est en droit de connaître les raisons pour lesquelles une interprétation a été retenue ou un principe posé. » V. aussi F. Malhière, La brièveté des décisions de justice (Conseil constitutionnel, Conseil d’État, Cour de cassation, préf. D. Rousseau, Dalloz, 2013, n° 491.
[45] Dans la liste des destinataires de la motivation enrichie dressée par la commission de réflexion « Cour de cassation 2030 », les justiciables figurent en second rang, après les parties au litige : « La motivation enrichie est à destination d’un large lectorat comprenant les parties au litige, les justiciables, les juridictions nationales, européennes et internationales et la communauté des professionnels, praticiens et enseignants du droit » (Rapport de la commission de réflexion sur la Cour de cassation 2030, juill. 2021, n° 2.2.2.2, note 96).
[46] Dans la nouvelle classification des arrêts, une catégorie destinée à accueillir les décisions qui doivent « donner lieu à une communication immédiate à destination du grand public », désignée par la lettre « C », a été créée (https://www.courdecassation.fr/toutes-les-actualites/2021/06/15/la-nouvelle-classification-des-arrets [consulté le 09/04/2024]).
[47] La Cour de cassation a par exemple publié le 5 octobre 2022 un communiqué faisant la promotion d’une audience d’assemblée plénière du 14 octobre 2022. Dans ce communiqué, la question de droit soumise à la Cour est formulée d’abord en des termes simples, plutôt à destination du grand public, puis en des termes plus techniques à destination de la doctrine, des juges du fond et des praticiens (https://www.courdecassation.fr/toutes-les-actualites/2022/10/05/audience-venir-le-refus-de-communiquer-le-code-de-deverrouillage [consulté le 09/04/2024]).
[48] B. Cathala, op. cit., p. 676.
[49] V. « Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 », JORF n° 35 du 11 févr. 2016, texte n° 25.
[50] V. par ex. https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A16292 [consulté le 09/04/2024] : cet article traite de la question de la validité d’une signature manuscrite apposée dans un acte sous la forme d’une image numérique et renvoie exclusivement à l’arrêt Cass. soc., 14 déc. 2022, n° 21-19.841.
[51] Tout refus par la Cour de cassation de moduler dans le temps les revirements de jurisprudence « contribue à entretenir la fiction de l’absence de pouvoir créateur de droit de ses décisions » (Les revirements de jurisprudence : rapport remis à Monsieur le Premier Président Guy Canivet, op. cit., p. 10).
[52] Pour une illustration très explicite, V. Cass. 1re civ., 9 oct. 2001, n° 00-14.564 ; RTD civ. 2002, p. 176, obs. R. Libchaber.
[53] Cass. 2e civ., 8 juill. 2004, n° 01-10.426 ; RTD civ. 2005, p. 176, obs. Ph. Théry ; Cass. ass. plén., 21 déc. 2006, n° 00-20.493 ; RTD civ. 2007, p. 168, obs. Ph. Théry ; Cass. 1re civ., 11 juin 2009, n° 08-16.914 ; RTD civ. 2009, p. 495, note P. Deumier.
[54] La France avait antérieurement été condamnée par la Cour européenne pour avoir conféré un caractère rétroactif à un revirement de jurisprudence imprévisible en matière pénale : CEDH, 10 oct. 2006, Pessino c/ France, n° 40403/02, § 36. V. aussi, a contrario, CEDH, 15 nov. 1996, Cantoni c/ France, 17862/91, § 35.
[55] Cass. crim., 25 nov. 2020, n° 18-86.955, § 38 et 39 ; D. 2021, p. 167, note G. Beaussonie.
[56] Cass. 1re civ., 21 sept. 2022, n° 21-50.042, § 27 ; D. 2022, p. 2134, note M. Barba et G. Millerioux. Cet arrêt consacre, en outre, deux autres hypothèses moins générales dans lesquelles il peut être dérogé à la rétroactivité (§ 29).
[57] Cass. 2e civ., 26 oct. 2023, n° 21-23.012, Dalloz actualité, 13 nov. 2023, obs. M. Barba. En l’espèce, la Cour de cassation refuse de moduler dans le temps une jurisprudence nouvelle qui avait surpris les commentateurs (il ne s’agissait pas d’un revirement), mais elle le fait après avoir vérifié que son « application immédiate aux instances en cours ne porte pas atteinte au principe de sécurité juridique » : « Ces règles encadrant les conditions d’exercice du droit d’appel dans les procédures avec représentation obligatoire qui résultent clairement des textes applicables, sont dépourvues d’ambiguïté et présentent un caractère prévisible ».
[58] Cass. ass. plén., 2 avr. 2021, n° 19-18.814, spéc. § 12 ; AJ fam. 2021, p. 312, obs. J. Houssier ; RCA 2021, étude 9, F. Leduc ; JCP S 2021, 1143, note D. Asquinazi-Bailleux ; JCP G 2021, doctr. 591, n° 7, obs. L. Mayer ; Gaz. Pal. 27 avr. 2021, n° 16, p. 44, note S. Amrani-Mekki ; RTD civ. 2021, p. 607, note P. Deumier.
[59] Ainsi que cela est énoncé expressément au § 9 de l’arrêt.
[60] P. Deumier, note préc.
[61] Cass. ass. plén., 21 déc. 2006, n° 05-11.966, D. 2007, p. 160, obs. V. Avena-Robardet.
[62] Les revirements de jurisprudence : rapport remis à Monsieur le Premier Président Guy Canivet, op. cit., p. 10.
[63] Cass. 1re civ., 12 nov. 2015, n° 14-18.118 ; D. 2015, p. 2602, note J.-S. Borghetti.
[64] CJUE, 21 juin 2017, aff. C-621/15 ; D. 2017, p. 1807, note J.-S. Borghetti ; RTD civ. 2017, p. 877, obs. P. Jourdain.
[65] Cass. 1re civ., 18 oct. 2017, no 14-18.118 ; D. 2018, p. 490, note J.-S. Borghetti ; RTD civ. 2018, p. 140, obs. P. Jourdain.
[66] B. Cathala, op. cit. : « Il ne s’agit pas là de réformettes de détail mais d’une mutation profonde et déterminée ».
[67] G. Canivet, « La Cour de cassation au défi de l’innovation », RTD civ. 2021, p. 331, n° 20.
[68] J. Théron, « Sublimer l’essence de la Cour de cassation ? À propos du rapport de la Commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation », JCP G 2017, act. 666 : pour l’auteur, qui parle à ce propos de « fascination », « la transparence du processus doit être soulignée ».
[69] https://www.courdecassation.fr/la-cour-de-cassation/demain/travaux-de-reforme [consulté le 21/12/2022]
[70] V. supra, n° 11, 12 et 14.
[71] J.-M. Sommer et S. Hortala, « Le premier président de la Cour de cassation », JCP G 2014, doctr. 831, spéc. n° 3.
[72] Ces notes d’intention sont désormais rendues publiques par le CSM « dans une démarche de transparence » (http://www.conseil-superieur-magistrature.fr/actualites/premier-president-de-la-cour-de-cassation [consulté le 09/04/2024]).
[73] P. Morvan, op. cit., n° 1 : l’auteur considère la qualification de « source formelle du droit positif » comme un « titre légitimant ».
[74] J. Théron, op. cit. : « l’essentiel de ces propositions [du rapport] marquent surtout la volonté de renforcer son rôle normatif ».
[75] V. par ex., à propos de la modulation dans le temps certains revirements de jurisprudence, Th. Revet, op. cit., n° 18 : « Parce qu’elle s’attaque à l’élément central de l’ordre politique moderne, cette entreprise participe d’un tropisme du juge français que seule une modernité suffisamment déterminée était parvenue à contenir. La tentative d’auto-désignation de la Cour de cassation comme législateur n’est pas une révolution : c’est une contre-révolution. »
[76] M. Waline, op. cit., n° 17.
[77] Bertrand Louvel et Jean-Claude Marin ont ainsi eu l’occasion de présenter aux parlementaires les réformes de la Cour de cassation qu’ils étaient en train de mener dans le cadre d’une audition par la commission des lois (audition du 6 avr. 2016 sur le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du xxie siècle, https://www.courdecassation.fr/toutes-les-actualites/2016/04/06/assemblee-nationale-audition-de-b-louvel-et-j-c-marin-sur-le [consulté le 09/04/2024]).
[78] F. Merchadier, « Avant-propos », Cour de cassation : Étude annuelle 2018, le rôle normatif de la Cour de cassation, op. cit., p. 10 : « La Cour de cassation ne s’est pas investie d’un rôle normatif qui la placerait au-dessus du législateur. Il a toujours existé et il s’est toujours joué sous la surveillance du législateur, qui a contribué à son évolution autant qu’il l’a accompagnée. »
[79] Le recours à l’amicus curiae vise à « évaluer au mieux les conséquences possibles de telle ou telle jurisprudence en matière économique, sociale, éthique, etc. » (B. Louvel et J.-C. Marin, audition précitée du 6 avr. 2016).
[80] J. Théron, op. cit. : « La fonction normative et unificatrice est ainsi sublimée par le recours à des outils qui normalement n’appartiennent qu’au législateur ».
[81] P. Deumier, « La jurisprudence d’aujourd’hui et de demain », RTD civ. 2017, p. 600.
[82] Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, 4 mai 2016, séance de 10 heures, CR n° 76 (amendement CL166).
[83] « La jurisprudence n’est pas seulement œuvre des tribunaux mais […] elle “est plutôt cette œuvre telle que vue, commentée et transfigurée par la doctrine” » (Ph. Jestaz cité par M. Gobert, op. cit.).
[84] M. Gobert, op. cit.
[85] C. Atias, op. cit., n° 13.
[86] Commission de mise en œuvre de la réforme de la Cour de cassation, Note relative à la structure des arrêts et avis et à leur motivation en forme développée, déc. 2018, n° 45 (cette note avait été rendue publique sur le site de la Cour de cassation, mais n’y figure plus depuis que ledit site a été entièrement refondu).
[87] B. Dondero, « Nouvelle rédaction des arrêts de la Cour de cassation : panique à l’Université ! », D. 2020, p. 145.
[88] Ch. Jamin, « Les genoux de la jurisprudence », Mélanges en l’honneur de Bernard Stirn, Dalloz, 2019, p. 349 et s., spéc. p. 354.
[89] R. Saleilles, « Droit civil et droit comparé », Revue internationale de l’enseignement, t. 61, janv.-juin 1911, p. 5 et s., spéc. p. 25.
[90] V. supra, n° 14.
[91] V. supra, n° 12.
[92] V. supra, n° 16.
[93] Ch. Jamin, « Les genoux de la jurisprudence », op. cit., p. 349. Une anecdote contée par Fabrice Melleray, actuel directeur de la revue AJDA, illustre la concurrence qui peut exister, en matière de commentaires, entre la doctrine administrativiste et les juges. Après qu’un arrêt du Conseil d’État fut chroniqué dans l’AJDA par les responsables du centre de documentation du Conseil d’État, les conseillers d’État s’offusquèrent de la publication, dans la même revue, d’un commentaire très critique rédigé par une doctorante et menacèrent de faire publier leur chronique, à l’avenir, dans une autre revue. La chronique fut finalement maintenue au sein de l’AJDA mais, depuis, il existe une règle appliquée par les directeurs successifs de l’AJDA : on n’écrit pas sur un sujet qui a été chroniqué par les conseillers d’État, sauf si l’auteur est une plume prestigieuse et qu’il développe des idées au moins en partie différentes de celles de la chronique (F. Melleray, intervention orale au cours du colloque « Hommage à Louis Favoreu », Université de Pau et des Pays de l’Adour, 22 mai 2015, https://youtu.be/c8F0rz2fs8k [consulté le 09/04/2024]).
[94] P. Deumier, « La jurisprudence d’aujourd’hui et de demain », RTD civ. 2017, p. 600.
[95] G. Canivet, op. cit., n° 35.
[96] Commission « Nallet », rapport « Pour une réforme du pourvoi en cassation en matière civile », 30 sept. 2019, p. 12.
[97] F. Merchadier, « Avant-propos », op. cit., p. 7 : tous les rapports, travaux et réflexions en cours sur l’évolution de la Cour de cassation « nourrissent un mouvement en faveur d’une valorisation du rôle normatif de la Cour de cassation au détriment de son rôle de juge de la légalité, de nature plutôt disciplinaire ».
[98] Commission de mise en œuvre de la réforme de la Cour de cassation, Volet « filtrage des pourvois », Exposé des motifs, version au 14 févr. 2018, https://www.courdecassation.fr/files/files/R%C3%A9forme/Archives/03%20PROJET%20EXPOSE%20DES%20MOTIFS%20FILTRAGE%20DES%20POURVOIS%2014.03.2018.pdf, p. 5 [consulté le 09/03/2024].
[99] Ibid., p. 6.
[100] V. par ex. SM, USM, FNUJA, AJAC, SAF, communiqué, 13 avr. 2018, JCP G 2018, 505 ; P. Cassia, « Filtrer l’accès au juge de cassation ? », D. 2015, p. 1361 ; A. Bénabent, « Sire, pourvoi ? », D. 2018, p. 731.
[101] Cass. 1re civ., 24 janv. 2024, n° 22-16.115.
[102] Commission de mise en œuvre de la réforme de la Cour de cassation, Volet « filtrage des pourvois », op. cit., p. 3. V. aussi, en ce sens, Commission « Nallet », op. cit., p. 12 et 13.
[103] Ch. Jamin, « Appel civil : le grand soir ? », JCP G 2022, act. 1317.
[104] V. par ex. M. Gobert, op. cit., qui, à propos des remèdes à l’asphyxie de la Cour de cassation par le nombre de pourvois, qualifiait déjà de « bien connue » l’idée de transformer la Cour français en cour suprême à l’américaine.
[105] V. par ex. J. Boré et L. Boré, La cassation en matière civile 2015/2016, 5e éd., Dalloz, 2015, n° 23.12 et 23.13.
[106] À propos de cette procédure, V. V. Vigneau, « Le régime de la non-admission des pourvois devant la Cour de cassation », D. 2010, p. 102.
[107] P. Hébraud, art. préc., n° 24.
[108] Commission de mise en œuvre de la réforme de la Cour de cassation, Note précitée (déc. 2018), n° 12. Dans le même sens, V. aussi Rapport de la commission de réflexion sur la Cour de cassation 2030, juill. 2021, n° 2.2.2.2. V. aussi C. Arens, op. cit. : « en quelques décennies, on est passé d’une conception transcendante et oraculaire de l’autorité du juge à une approche persuasive ».
[109] À propos de la fiction du juge « bouche de la loi » : « Que la fiction disparaisse, et voilà bien posé le problème de la détermination nécessaire de la doctrine des juges dans une société qui lui reconnait de tels pouvoirs. » (R. Legros, « Considérations sur les motifs », La motivation des décisions de justice, Bruylant, p. 7 et s., n° 7). « La motivation des décisions de justice participe à leur acceptation, et ainsi à la légitimation de la jurisprudence. Dans cette optique, une bonne motivation peut se définir comme une motivation acceptable, voire acceptée. » (F. Malhière, op. cit., n° 491).
[110] V. par ex. les obs. de D. Houtcieff (AJ contrat 2017, p. 175) et la note de Th. Genicon (RDC 2017, n° 114j8, p. 415) sous Cass. ch. mixte, 24 févr. 2017, n° 15-20.411.
[111] C. François, « La motivation enrichie en droit des contrats, Une transparence en trompe l’œil, une pédagogie à parfaire », La motivation enrichie des arrêts rendus par la Cour de cassation, dir. M. Dugué et J. Traullé, LexisNexis, 2023, p. 83, spéc. n° 8 et s.
[112] Cass. ch. mixte, 24 févr. 2017, précité ; Cass. soc., 21 sept. 2017, n° 16-20.103 et 16-20.104, D. 2017, p. 2007, note D. Mazeaud ; Gaz. Pal. 9 janv. 2018, n° 310t1, p. 29, obs. D. Houtcieff.
[113] V. le rapport n° 22 (2017-2018) du 11 oct. 2017, fait par François Pillet au nom de la commission des lois du Sénat : la modification de l’art. 9 de l’ordonnance est expressément proposée en réaction aux trois arrêts précités de 2017.
[114] Cass. 3e civ., 23 juin 2021, n° 20-17.554, RDC déc. 2021, n° 200g8, p. 12, obs. F. Dournaux ; Gaz. Pal. 14 sept. 2021, n° 425o1, p. 22, obs. D. Houtcieff ; Gaz. Pal. 7 sept. 2021, n° 425g3, p. 22, note Ch.-É. Bucher; RTD civ., p. 2021 p. 934, obs. Ph. Théry.
[115] Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-20.399 : Gaz. Pal. 9 mai 2023, n° GPL448n0, note C. François.
[116] L’article 94, b, du règlement de procédure de la Cour de justice du 25 sept. 2012 (rédigé par la Cour elle-même) impose aux juridictions nationales qui forment une demande de décision préjudicielle de mentionner « la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce et, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente ».
[117] CJUE, gr. ch., 5 oct. 2010, Elchinov, aff. C-173/09, pt 32.
[118] V. supra, n° 20.
[119] V. par ex., à propos de la « loi » visée à l’article 8, § 2, de la Convention, CEDH 24 avr. 1990, Huvig c/ France, req. n° 11105/84, § 28.
[120] Rép. civ. Dalloz, v° « Jurisprudence » par P. Deumier, nov. 2017, n° 150.
[121] Ibid., n° 146, 148, 149 et 151.
[122] V. supra, note 53.
[123] CEDH 14 janv. 2010, Atanasovski c/ ex-République yougoslave de Macédoine, req. n° 36815/03, § 38.
[124] V. supra, n° 14.
[125] V. supra, n° 28.
[126] V. supra, n° 37.
[127] C. Mouly, op. cit., § 5.
[128] P. Hébraud, art. préc., n° 9.
[129] F. Malhière, op. cit., n° 529 : « En réalité, les arrêts de règlement n’ont jamais disparu, ils ont simplement pris une autre forme, celle des arrêts de principe. » R. Libchaber, obs. préc., RTD civ. 2002, p. 176 : « On a parfois évoqué le fait qu’en proposant des revirements pour l’avenir, la Cour de cassation méconnaîtrait l’article 5 du code civil. La chose est exacte, encore qu’il faille relever que ce ne serait qu’une violation supplémentaire d’une règle que la Cour a constamment imposée aux juridictions inférieures, tout en se réservant de ne pas l’appliquer pour son compte ».
[130] Th. Revet, op. cit., n° 14 : « L’hypothèse dans laquelle la Cour de cassation édicte une nouvelle règle ou une nouvelle interprétation d’une règle légale tout en décidant de ne pas l’appliquer à l’espèce qui l’a conduit à décider de cette modification participe, substantiellement, de l’arrêt de règlement. » V. aussi Ph. Théry, « Pierre Hébraud : une analyse réaliste de la jurisprudence », op. cit., n° 41 : « La manière dont le Conseil d’état et la Cour de cassation abordent cette question aujourd’hui suppose que l’on tempère la prohibition des arrêts de règlement ».
[131] Ph. Théry, ibid., n° 24.
[132] G. Canivet, op. cit., n° 15.
[133] Conseil d’État, Étude annuelle 2021, La documentation française, 2021, p. 178, proposition n° 14. Sur cette proposition, V. M. Bouleau, « Du dialogue des juges au pouvoir des juges ? », D. 2021, p. 2053.