La motivation enrichie en droit des contrats

L’ouvrage collectif La motivation enrichie des arrêts rendus par la Cour de cassation, dirigé par Marie Dugué et Julie Traullé, vient de paraître chez LexisNexis. Il rassemble autour de deux axes (approche comparative et approche thématique) les contributions rédigées à la suite d’un séminaire de recherche organisé par l’IRJI François-Rabelais de l’université de Tours.

J’ai eu le plaisir de contribuer à cet ouvrage sur le thème « La motivation enrichie en droit des contrats : une transparence en trompe-l’oeil, une pédagogie à parfaire » (p. 83 et s.).

Résumé de l’ouvrage :

Depuis quelques années maintenant, les arrêts de la Cour de cassation dotés d’une importance particulière sont régulièrement assortis d’une motivation dite enrichie. Un premier regard peut d’ores et déjà être porté sur cette évolution. Dans cette perspective, une approche pluridisciplinaire présente le mérite d’appréhender la motivation enrichie sous ses différents aspects. Une étude de la pratique d’une chambre, comme la Chambre sociale ou la Chambre criminelle, peut être utilement complétée par une approche par type de contentieux, comme le droit du cautionnement, impliquant plusieurs chambres.

Au-delà, l’usage de la motivation enrichie, aussi appelée motivation en la forme développée, invite à sinterroger sur les contours de ce changement dans la rédaction des arrêts rendus par la Cour de cassation. Quand faut-il avoir recours à la motivation enrichie ? Que faut-il dévoiler dans ce cadre ? Plus généralement, que faut-il attendre de la motivation d’une décision de justice ?

Le lecteur trouvera des éléments de réponse non seulement dans les réflexions pluridisciplinaires proposées au sein de l’ouvrage, mais également dans l’approche comparative proposée en premier lieu.

Contributeurs : Gwenola Bargain, Bérénice Bauduin, Francois Brunet, Nicolas Cayrol, Marie Dugué, Clément François, Paul Catardo, Hélène Gourdy, Jerêmy Houssier, Franck Juredieu, Colombine Madelaine, Pierre-Yves Monjal, Sophie Prétot, Olivia Robin-Sabard, Delphine Thomas-Taillandier et Julie Traullé.

Utiles précisions de la chambre commerciale quant au revirement abandonnant pour le passé la jurisprudence Consorts Cruz

Note sous Cass. com., 15 mars 2023, pourvoi n° 21-20.399 :

Par un arrêt du 15 mars 2023, la chambre commerciale manifeste son adhésion au revirement effectué deux ans plus tôt par la troisième chambre civile (Cass. 3e civ., 23 juin 2021, n° 20-17.554 ; 20 oct. 2021, n° 20-18.514 ; V. mes obs. sous le premier de ces arrêts) : pour les promesses unilatérales de vente conclues avant le 1er octobre 2016, la révocation de la promesse par le promettant avant l’expiration du temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche plus la formation du contrat promis. Ce faisant, la Cour de cassation aligne la jurisprudence applicable aux promesses unilatérales de vente conclues avant le 1er octobre 2016 sur la nouvelle solution consacrée par l’ordonnance du 10 février 2016 à l’article 1124, alinéa 2, du Code civil. A travers une motivation enrichie, la chambre commerciale érige expressément l’ordonnance de 2016 en source d’inspiration de ce revirement pour le passé, contrairement à la troisième chambre civile qui n’avait fait aucune référence expresse à cette réforme dans ses deux arrêts rendus en 2021. La Cour de cassation s’oppose ainsi ouvertement à la volonté exprimée par certains parlementaires, à l’occasion du vote de la loi de ratification du 20 avril 2018, que les hauts magistrats cessent de modifier la jurisprudence applicable aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016 pour l’aligner sur les nouvelles dispositions de l’ordonnance, contribuant ainsi à déjouer indirectement la disposition transitoire de l’article 9 de l’ordonnance.

L’arrêt rendu par la chambre commerciale se démarque également de ceux de la troisième chambre civile en ce qu’ils tranchent la question de la conventionnalité de la rétroactivité du revirement jurisprudentiel opéré sur cette question. La chambre commerciale accepte de contrôler que l’application rétroactive du revirement au cas d’espèce ne porte pas une atteinte disproportionnée au principe de sécurité juridique, au droit à un procès équitable et au droit au respect des biens. Cet arrêt s’inscrit ainsi dans la continuité de la jurisprudence récente de la Cour de cassation qui admet progressivement de nouvelles hypothèses de modulation dans le temps de la jurisprudence alors que la seule dérogation admise antérieurement à la rétroactivité était l’hypothèse de la violation du droit à l’accès au juge de l’une des parties au litige (art. 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme ; V. par ex. Cass. 2e civ., 18 avril 2019, n° 17-21.189). La chambre commerciale conclut néanmoins à l’absence de violation d’un droit fondamental en l’espèce, à l’issue d’une application peu convaincante, sur la forme, du contrôle de proportionnalité.

Note Gazette du Palais 2023

Mon commentaire intégral de cet arrêt peut être consulté à la Gazette du Palais (« Utiles précisions de la chambre commerciale quant au revirement abandonnant pour le passé la jurisprudence Consorts Cruz », note sous Cass. com., 15 mars 2023, Gaz. Pal. 9 mai 2023, n° 15, p. 18, GPL448n0).

Licéité et effets de la révocation conventionnelle d’une donation en présence d’héritiers réservataires

Note sous Cass. 1re civ., 30 novembre 2022, pourvoi n° 21-11.507 :

L’arrêt rendu le 30 novembre 2022 par la première chambre civile suscite la réflexion, tant par ses dits que par ses non-dits, en ce qu’il se prononce sur un mécanisme, la révocation par consentement mutuel d’une donation, dont les contours sont très incertains.

Donation

En l’espèce, une femme avait, par acte authentique, donné une certaine somme d’argent par préciput et hors part à l’un de ses fils en 1994. Le donataire avait ensuite apporté l’essentiel de cette somme au capital d’une société commerciale.

En 2005, également par acte authentique, la donatrice et le donataire ont convenu de révoquer la donation, ce qui a conduit ce dernier à restituer à la première une somme d’argent du même montant que celle qu’il avait reçue en 1994.

À son décès, en 2015, la donatrice a laissé pour lui succéder ses trois enfants. La sœur du donataire a alors agi en nullité de la révocation intervenue en 2005 pour cause illicite, sur le fondement des articles 1131 et 1133 du Code civil dans leur rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016. Selon elle, la révocation avait pour finalité de faire échec à la réunion fictive à la masse de calcul de la réserve héréditaire de la valeur des titres que le donataire avait acquis avec les fonds donnés. En effet, selon l’article 922 du Code civil, « les biens dont il a été disposé par donation entre vifs sont fictivement réunis à cette masse » et « s’il y a eu subrogation, il est tenu compte de la valeur des nouveaux biens au jour de l’ouverture de la succession ». Or la valeur de ces titres était nettement supérieure au montant nominal de la donation restitué en 2005.

La cour d’appel de Rennes a rejeté la demande. Pour conclure à la validité de l’acte de révocation de la donation intervenu en 2005, elle a estimé que « les mobiles ayant présidé à la révocation litigieuse sont indifférents et ne peuvent se confondre avec la cause de la convention laquelle n’était pas illicite, la révocation conventionnelle d’une donation ne se heurtant à aucune interdiction légale et étant toujours possible sans que les parties n’aient à en justifier les raisons ».

Au visa des anciens articles 1131 et 1133 du Code civil, la Cour de cassation rappelle « qu’un contrat n’est valable que si les motifs ayant déterminé les parties à contracter sont licites ». Elle casse l’arrêt d’appel au motif que les juges du font auraient dû rechercher « si la cause de l’acte révocatoire ne résidait pas dans la volonté des parties de contourner les dispositions d’ordre public de l’article 922 du Code civil ».

Les apports de cet arrêt pourraient largement dépasser ce qui ressort explicitement de son conclusif. D’abord, en reprochant à la cour d’appel de ne pas avoir contrôlé la licéité de la cause subjective de la révocation, la Cour de cassation semble admettre la validité du mécanisme de la révocation par consentement mutuel d’une donation. Ensuite, en jugeant de manière contestable que cette révocation est annulable lorsqu’elle a pour finalité de contourner l’article 922 du Code civil, la Cour semble considérer que la révocation, lorsque sa cause est licite, produit des effets rétroactifs opposables aux tiers fussent-ils héritiers réservataires.

Bien que l’arrêt ait été rendu sous l’empire des dispositions du Code civil antérieures à l’ordonnance du 10 février 2016, ses apports demeurent d’actualité puisque les nouvelles dispositions du Code civil prévoient toujours un contrôle de la licéité du contenu du contrat, qui inclut son but (art. 1128, 3° et 1162), et la disposition de l’ancien article 1134, alinéa 2, relative à la révocation d’un contrat par consentement mutuel a été conservée au nouvel article 1193.

Mon commentaire intégral de cet arrêt peut être consulté au Recueil Dalloz (« Licéité et effets de la révocation conventionnelle d’une donation en présence d’héritiers réservataires », note sous Cass. 1re civ., 30 novembre 2022, D. 2023, p. 215).

Recueil Dalloz 2 février 2023

De l’appréciation de la perte de chance consécutive à un défaut d’information sur l’adéquation d’un contrat d’assurance groupe à la situation personnelle de l’emprunteur

Obs. sous Cass. 2e civ., 20 mai 2020, pourvoi n° 18-25.440 :

Un particulier a adhéré, pour garantir le remboursement d’un prêt immobilier, au contrat d’assurance groupe souscrit par la banque auprès d’un assureur afin de couvrir les risques décès, invalidité et incapacité. L’emprunteur ayant été victime d’un accident du travail, l’assureur a d’abord pris en charge les échéances du prêt avant de notifier à l’emprunteur son refus du maintien de la garantie en raison d’un taux d’incapacité fonctionnelle ne dépassant pas le minimum prévu par le contrat d’assurance. L’emprunteur assigne alors la banque en réparation de son préjudice découlant d’un manquement de celle-ci à ses devoirs d’information, de conseil et de mise en garde. La cour d’appel considère que le prêteur a effectivement manqué à son devoir de conseil, mais rejette l’action en réparation au motif que l’emprunteur ne démontre pas que, « complètement informé, il aurait contracté une autre assurance qui l’aurait couvert contre l’incapacité de travail qui lui avait été reconnue ». Elle en déduit une absence de préjudice réparable et, plus précisément, l’absence de perte d’une chance de souscrire une assurance garantissant à l’emprunteur le risque d’une incapacité totale de travail. Saisie d’un pourvoi formé par l’emprunteur, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au visa de l’ancien article 1147 du code civil :

« en statuant ainsi, alors que toute perte de chance ouvre droit à réparation, la cour d’appel, qui a exigé de l’assuré qu’il démontre que s’il avait été parfaitement informé par la banque sur l’adéquation ou non de l’assurance offerte à sa situation, il aurait souscrit, de manière certaine, un contrat mieux adapté, la cour d’appel a violé [l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016] »

Mise à jour du 07/12/2021 : Retrouvez ci-dessous mes observations sous cet arrêt, publiées à l’AJ Contrat (AJ contrat 2020, p. 385) il y a plus d’un an et désormais disponible en libre accès sur mon site sur le fondement de l’article L. 533-4, I, du Code de la recherche.

Maison

La violation par la banque de son « devoir de conseil » (expression retenue par la cour d’appel) n’était pas contestée par le pourvoi car, selon un principe posé par l’assemblée plénière et régulièrement rappelé depuis, « le banquier, qui propose à son client auquel il consent un prêt, d’adhérer au contrat d’assurance de groupe qu’il a souscrit à l’effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l’exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenu de l’éclairer sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d’emprunteur, la remise de la notice ne suffisant pas à satisfaire à cette obligation » (Cass. ass. plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267 ; D. 2007, 985, note S. Piedelièvre; ibid.  863, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2008. 127, obs. H. Groutel ; ibid. 880, obs. R. Martin ; JCP  2007, II, 10098, note A. Gourio ; ibid., I, 158, n° 6, obs. Ph. Simler ; JCP E 2007, 1375, note D. Legeais ; RGDA 2007, 397, note J. Kullmann ; RDI 2007, 319, obs. L. Grynbaum ; RDC 2007, 750, obs. G. Viney ; à propos de l’autonomie de l’obligation d’éclairer du banquier par rapport aux obligations d’information, de mise en garde et de conseil, V. P. Pailler, « Précisions sur les obligations d’information du banquier souscripteur d’une assurance de groupe », D. 2016. Chron. 953). Or, en l’espèce, le prêteur s’était contenté de remettre à l’emprunteur une notice d’information.

La nature contractuelle de la responsabilité du prêteur, que l’on déduit du visa de l’arrêt, est également classique. Les obligations précontractuelles d’information (au sens large) du banquier ont été construites et façonnées par la jurisprudence et celle-ci, faute de fondement textuel plus adapté, a rattaché artificiellement ces obligations au contrat. Ce rattachement est critiqué par la doctrine tant on peine à concevoir comment une obligation précontractuelle d’information pourrait trouver sa source dans un contrat qui n’existe pas encore au moment où elle a vocation à être exécutée (B. Fages, Droit des obligations, 6e éd., LGDJ, 2016, n° 99). L’ordonnance du 10 février 2016, qui n’était pas applicable en l’espèce, pourrait faire évoluer la jurisprudence sur ce point. Il semble peu probable que les obligations d’information du banquier d’origine jurisprudentielle soient rattachées au nouvel article 1112-1 du code civil, l’obligation précontractuelle d’information générale qu’il fonde étant trop corsetée. En effet, cette nouvelle obligation légale ne s’impose qu’à « celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre » (al. 1er), alors que l’obligation du banquier d’éclairer l’emprunteur lui impose de se renseigner sur les besoins de son client pour pouvoir informer celui-ci du caractère adapté ou non de l’assurance proposée (D. Legeais, J.-Cl. Commercial, Fasc. 344, Assurance de groupe, oct. 2016, n° 13). Le banquier ne peut donc pas exciper de son ignorance pour prétendre échapper à son obligation. En revanche, il est possible que la Cour de cassation trouve dans le nouvel article 1104 du code civil un nouveau fondement textuel aux obligations d’information du banquier. Selon cette disposition, les contrats doivent être négociés et formés de bonne foi. Cela permettrait de conférer une nature extracontractuelle plus orthodoxe à la responsabilité du banquier en cas de manquement à ses obligations précontractuelles d’information, même si un tel changement de nature de la responsabilité n’affecterait probablement pas son régime. Philippe le Tourneau relevait en effet, il y a trois décennies de cela, que le droit des responsabilités professionnelles jouit d’une certaine autonomie qui « permet de dépasser les obsolètes oppositions du droit civil et du droit commercial, de la responsabilité délictuelle et de la responsabilité contractuelle » (« Les professionnels ont-ils du cœur ? », D. 1990. Chron. 21).

1. L’existence d’une perte de chance. La faute et la nature de la responsabilité n’étant pas contestées, c’est l’existence de la perte d’une chance, c’est-à-dire de « la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable » selon la définition jurisprudentielle classique (V. par ex. Civ. 1re, 21 nov. 2006, n° 05-15.674, JCP G 2007, II, 10181, note F. Ferrière ; ibid., I, 115, n° 2, obs. Ph. Stoffel-Munck ; RDC 2007, 266, obs. D. Mazeaud), qui l’était.

Sur ce point, la motivation de la cour d’appel de Lyon paraît surprenante. Celle-ci reprochait à l’emprunteur de ne pas démontrer que, « complètement informé, il aurait contracté une autre assurance qui l’aurait couvert contre l’incapacité de travail qui lui avait été reconnue ». Or, si l’emprunteur était parvenu à apporter cette preuve, ce n’est pas d’une simple perte de chance d’éviter le préjudice dont il aurait pu obtenir réparation (soit d’une fraction de son préjudice), mais de l’intégralité de son préjudice. En effet, s’il est certain que, dûment informé, l’emprunteur aurait contracté une assurance le couvrant contre l’incapacité de travail, alors on n’est plus en présence de la disparition d’une simple « éventualité » favorable. Ce fonctionnement classique de la notion de perte d’une chance a été illustré notamment par la célèbre affaire Perruche. Pour rappel, dans cette espèce, une femme enceinte avait décidé de recourir à une interruption volontaire de grossesse (IVG) en cas d’atteinte rubéolique et elle n’avait pas pu exercer ce choix en raison d’une erreur de diagnostic médical ayant empêché la détection de la maladie. Dès lors qu’il était certain que la mère aurait eu recours à une IVG si elle avait été informée que le fœtus était atteint par la rubéole, son préjudice ne pouvait pas être une simple perte de chance : tous les préjudices découlant du dommage devaient être réparés (Cass. ass. plén., 17 nov. 2000, n° 99-13.701 ; D. 2001, 332, note D. Mazeaud et note P. Jourdain ; ibid. somm. 2796, obs. F. Vasseur-Lambry ; JCP G 2000, II, 10438, rapp. P. Sargos, concl. contraires J. Sainte-Rose, note F. Chabas ; Gaz. Pal. 2001, 37, note J. Guigue ; Dr. fam. 2001, n° 11, note P. Murat ; CCC 2001, n° 39, note L. Leveneur ; RTD civ. 2001, 103, obs. J. Hauser ; ibid. 149, obs. P. Jourdain ; ibid. 226, obs. R. Libchaber). La cour d’appel de Lyon a donc déplacé l’objet de la preuve : alors que l’emprunteur prétendait prouver la perte d’une simple chance, la cour d’appel a exigé qu’il démontre que, dûment informé, il aurait avec certitude contracté une autre assurance.

La cassation est donc logique. Il restera toutefois à l’emprunteur à démontrer devant la cour d’appel de renvoi qu’il a réellement perdu une chance de souscrire à une assurance plus adaptée. Sur ce point, la deuxième chambre civile guide la cour de renvoi en précisant que « toute perte de chance ouvre droit à réparation ». On se souvient en effet que la première chambre civile, après avoir jugé que « la perte certaine d’une chance même faible est indemnisable » (Civ. 1re, 16 janv. 2013, n° 12-14.439 ; D. 2013. 619, obs. I. Gallmeister, note M. Bacache ; JCP  2013, II, 1291, n° 1, obs. Ph. Stoffel-Munck ; RCA 2013, comm. 108, F. Leduc ; Gaz. Pal. 23 avr. 2013, 14, A. Guégan-Lécuyer ; RTD civ. 2013, 380, obs. P. Jourdain), avait paru revenir sur cette solution en exigeant que la chance perdue soit « raisonnable » (Civ. 1re, 30 avr. 2014, deux espèces, n° 13-16.380, AJ fam. 2014, 570, obs. S. Thouret, et n° 12-22.567, RCA 2014. comm. 215, obs. F. Leduc ; JCP  2014, 1381, note J.-S. Borghetti ; D. 2015, 124, obs. Ph. Brun ; Civ. 1re, 25 nov. 2015, n° 14-25.109). La première chambre civile a fini par réaffirmer la solution de 2013 en jugeant que « toute perte de chance ouvre droit à réparation », « même minime » (Civ. 1re, 12 oct. 2016, n° 15-23.230 ; D. 2016, 46, note J. Traullé ; ibid. 24, obs. Ph. Brun ; RDC 2017, 27, note J.-S. Borghetti), ce que la deuxième chambre civile confirme par le présent arrêt. Il faut toutefois garder à l’esprit qu’au-delà de ces principes dont la bonne application est contrôlée par la Cour de cassation, la détermination du quantum de la chance perdue ne peut être qu’abandonnée au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond ;  ces derniers conservent donc, par ce biais, une marge de manœuvre considérable.

2. La preuve de la perte de chance. Comment l’emprunteur peut-il prouver qu’il a perdu une chance, même minime, de souscrire à une assurance plus adaptée ? Il ressort de la jurisprudence que l’emprunteur doit démontrer la réunion de deux critères.

Le premier critère est objectif : l’emprunteur avait-il la possibilité de souscrire à une assurance plus adaptée à sa situation ? Cela implique, d’une part, que l’emprunteur avait les moyens financiers de souscrire à une assurance offrant une meilleure couverture (les primes étant en principe plus élevées) et, d’autre part, qu’il existait sur le marché des assureurs qui, compte tenu de la situation personnelle de l’emprunteur, auraient pu lui proposer une assurance plus complète que l’assurance groupe à laquelle il a souscrit. La jurisprudence est pour le moins instable sur ce point. Ainsi, dans une affaire où un emprunteur reprochait à la banque de ne pas lui avoir conseillé de souscrire à une assurance couvrant le risque de perte totale irréversible d’autonomie et d’incapacité de travail au-delà de 65 ans, la cour d’appel avait conclu à l’absence de perte de chance au motif que l’emprunteur ne démontrait « pas qu’il aurait pu obtenir d’un autre assureur une garantie de ce type au-delà de l’âge de 65 ans, compte tenu du risque important de survenance d’une maladie invalidante à cette période de la vie ». La chambre commerciale a jugé ce motif « impropre à exclure toute probabilité de réalisation de la perte de chance invoquée » (Com. 13 janv. 2015, n° 13-24.026, inédit). Quelques mois plus tard, dans une espèce très similaire où une cour d’appel avait adopté une motivation quasiment identique, la chambre commerciale rejette cette fois le pourvoi (Com. 1er déc. 2015, n° 14-22.134). Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt ici commenté, l’emprunteur reprochait à la banque de ne pas l’avoir informé de la méthode de calcul de l’incapacité de travail prévue par le contrat d’assurance, qui ne se basait pas sur la seule notion d’incapacité de travail reconnue par la sécurité sociale, mais qui pondérait ce critère de l’incapacité professionnelle par un critère d’incapacité fonctionnelle. La cour d’appel de Lyon a retenu que « les assurances ne couvrent pas l’incapacité de travail dans les termes de l’incapacité reconnue par la sécurité sociale ». Autrement dit, il n’y aurait pas d’alternative à cette méthode de calcul sur le marché des assurances. Il est pourtant douteux que cette constatation suffise à écarter l’existence d’une perte de chance dans la mesure où l’emprunteur peut toujours souscrire à une assurance qui couvre le risque d’un taux d’incapacité fonctionnelle plus faible.

Le second critère est subjectif : s’il existait sur le marché une assurance plus adaptée à la situation de l’emprunteur et que celui-ci avait les moyens d’y souscrire, l’emprunteur doit encore démontrer qu’il aurait pu avoir la volonté de souscrire à cette autre assurance s’il avait été dûment informé de l’inadéquation du contrat d’assurance groupe à sa situation. En effet, plus les risques couverts par l’assurance sont importants, plus les primes sont élevées et si l’emprunteur, par exemple, avait fait savoir qu’il ne souhaitait pas payer des primes supérieures à un certain montant, cela pourrait être de nature à exclure toute perte de chance. Il a ainsi pu être jugé, dans une autre affaire, qu’il revient aux emprunteurs de rapporter la preuve que, « dûment informés, ils auraient eu la volonté et les moyens de souscrire une assurance plus complète, nécessairement plus coûteuse, alors même qu’ils n’ont pas entendu s’assurer contre le risque de chômage » (Civ. 1re, 29 juin 2016, n° 15-17.502, inédit ; RD bancaire et fin. 2016, comm. 201, obs. J. Djoudi). L’analogie avec l’affaire Perruche est, ici encore, possible. La mère avait légalement la possibilité de faire pratiquer une IVG, mais si elle avait déclaré, pendant sa grossesse, être contre toute IVG par principe, alors elle n’aurait pas pu se prévaloir d’une perte de chance de faire pratiquer une IVG en raison des fautes commises par les professionnels de santé.

Pour illustrer la mise en œuvre de ces deux critères, on peut renvoyer par exemple à un arrêt de la chambre commerciale du 10 mars 2015 (n° 14-10.712, inédit) : l’existence d’une perte de chance y a été exclue, car les emprunteurs n’avaient pas démontré « qu’un autre assureur aurait accepté de garantir le risque lié à [la] pathologie au regard des antécédents avérés, graves et répétés [critère objectif] et que, s’ils avaient trouvé un assureur consentant à les garantir, ils auraient accepté le surcoût nécessairement appliqué par cette autre compagnie [critère subjectif] ».

À retenir : Lorsque la banque manque à son obligation d’éclairer l’emprunteur sur l’adéquation des risques couverts par l’assurance groupe à sa situation personnelle, l’emprunteur ne doit pas prouver qu’il aurait souscrit, de manière certaine, un contrat mieux adapté s’il avait été parfaitement informé. Celui-ci doit simplement établir qu’il a perdu une éventualité favorable, c’est-à-dire qu’il aurait pu, s’il avait été dûment informé, souscrire une assurance plus adaptée. La deuxième chambre civile confirme par ailleurs que « toute perte de chance ouvre droit à réparation », même minime.


La réforme du droit des contrats, source d’inspiration des revirements de la jurisprudence ancienne

Obs. sous Cass. soc., 21 sept. 2017, n° 16-20.103 et 16-20.104 (2 espèces) :

Ces deux arrêts rendus le 21 septembre 2017 par la chambre sociale seront, à n’en pas douter, abondamment commentés dans les jours et mois qui viennent. Daniel Mainguy a déjà formulé à leur propos quelques observations sous l’angle de l’entrée en vigueur immédiate de l’ordonnance de réforme du droit des contrats du 10 février 2016(1).

Les faits étaient fortement similaires dans les deux espèces. Un club de rugby avait formulé une « offre de contrat de travail » à un joueur international puis, quelques mois plus tard, avait indiqué par mail à l’agent du joueur « ne pas pouvoir donner suite aux contacts noués avec ce dernier ». Quelques jours après l’envoi de ce mail, la « promesse d’embauche » signée avait été retournée au club. Le joueur a saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir le paiement de sommes au titre de la rupture du contrat de travail. Il soutenait en effet que la « promesse d’embauche » valait contrat de travail. Plusieurs questions se posaient donc dans ces deux espèces. Premièrement, « l’offre de contrat de travail » doit-elle être qualifiée juridiquement d’offre, ou de promesse unilatérale de contrat ? Deuxièmement, quels sont les effets juridiques de cette offre ou de cette promesse unilatérale de contrat, notamment en ce qui concerne le régime de sa rétractation ?

Soccer

Des éléments de réponse à ces questions figurent dans l’ordonnance du 10 février 2016, mais celle-ci n’était a priori pas applicable à ces deux espèces dont les faits s’étaient déroulés en 2012. Rappelons en effet que cette ordonnance énonce, à son article 9, la disposition transitoire suivante  :

Les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016.
Les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne.
Toutefois, les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’article 1123 et celles des articles 1158 et 1183 sont applicables dès l’entrée en vigueur de la présente ordonnance.
Lorsqu’une instance a été introduite avant l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, l’action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s’applique également en appel et en cassation.

Autrement dit, le principe de survie de la loi ancienne pour les contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, proposé par Roubier puis consacré en substance par la jurisprudence, est rappelé par les alinéas 2 et 4 de l’article. C’est pourquoi l’attendu de principe figurant dans les deux arrêts rendus hier interpelle :

Vu les articles 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause, et L. 1221-1 du code du travail ;

Attendu que l’évolution du droit des obligations, résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, conduit à apprécier différemment, dans les relations de travail, la portée des offres et promesses de contrat de travail ;

Attendu que l’acte par lequel un employeur propose un engagement précisant l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation, constitue une offre de contrat de travail, qui peut être librement rétractée tant qu’elle n’est pas parvenue à son destinataire ; que la rétractation de l’offre avant l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, l’issue d’un délai raisonnable, fait obstacle à la conclusion du contrat de travail et engage la responsabilité extra-contractuelle de son auteur ;

Attendu, en revanche, que la promesse unilatérale de contrat de travail est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat de travail, dont l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire ; que la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat de travail promis ;

La chambre sociale reprend quasiment mot pour mot des portions des nouveaux articles 1116 et 1124 du Code civil relatifs respectivement à l’offre et à la promesse unilatérale de contrat. Le deuxième de ces articles brise la jurisprudence Consorts Cruz qui conférait une pleine efficacité à la rétractation irrégulière d’une promesse unilatérale de contrat opérée avant la levée de l’option par le bénéficiaire(2). Déjà, par un arrêt très commenté du 24 février 2017, la chambre mixte avait repris mot pour mot, sans le citer, le nouvel article 1179 du Code civil qui fixe les critères de distinction entre la nullité relative et la nullité absolue(3). L’arrêt concernait la nature de la nullité d’un mandat immobilier pour vice de forme et, déjà, la chambre mixte avait jugé que « l’évolution du droit des obligations, résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, conduit à apprécier différemment l’objectif poursuivi par les dispositions relatives aux prescriptions formelles que doit respecter le mandat, lesquelles visent la seule protection du mandant dans ses rapports avec le mandataire ».

Pour Daniel Mainguy, il faut voir dans ces arrêts une « application immédiate des normes nouvelles d’ordre public ». Ainsi, l’exigence de survie de la loi ancienne exprimée à l’article 9 de l’ordonnance « en tant qu’elle concerne des dispositions d’ordre public (y compris donc au stade de la formation du contrat) est balayée par la Cour de cassation ».

Interpréter ces arrêts sous l’angle de l’application de la loi dans le temps conduit à des solutions qui paraissent fortement hétérodoxes

La Cour de cassation admettait déjà avant l’ordonnance de 2016 une dérogation au principe de survie de la loi ancienne en matière contractuelle en faveur des dispositions légales nouvelles « qui répondent à des considérations d’ordre public particulièrement impérieuses »(4). Interpréter ces trois arrêts de 2017 sous l’angle de l’application de la loi dans le temps conduit toutefois à des solutions qui paraissent fortement hétérodoxes à au moins trois égards. Premièrement, il semble surprenant de considérer que le critère de qualification des nullités relative et absolue, les définitions de l’offre et de la promesse unilatérale de contracter et leurs régimes respectifs répondent à « des considérations d’ordre public particulièrement impérieuses »(5). Deuxièmement, si on enseigne traditionnellement que le caractère d’ordre public d’une disposition légale nouvelle peut la rendre applicable immédiatement aux effets juridiques futurs des situations contractuelles en cours, la Cour de cassation n’a jamais, à notre connaissance, appliqué une disposition nouvelle pour déterminer les conditions de validité d’un contrat conclu avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle(6). Cela reviendrait non pas à rendre immédiatement applicable aux contrats en cours la disposition nouvelle, mais à conférer à cette dernière un effet rétroactif, ce qui serait bien plus attentatoire à la sécurité juridique. Troisièmement, une partie de la doctrine considère que l’article 9, alinéas 2 et 4, de l’ordonnance a précisément pour finalité d’écarter l’exception jurisprudentielle qui confère une applicabilité immédiate aux dispositions nouvelles d’ordre public(7).

Une lecture des arrêts qui ne conduit pas à conférer un effet rétroactif aux dispositions de l’ordonnance semble possible

Une lecture des arrêts du 24 février et du 21 septembre 2017 qui ne conduit pas à conférer un effet rétroactif aux dispositions de l’ordonnance nous semble possible. Les questions traitées par la Cour de cassation dans ces arrêts ne faisaient l’objet, avant l’ordonnance du 10 février 2016, d’aucune disposition légale. Le critère de distinction des nullités relative et absolue et le régime de l’offre et de la promesse unilatérale de contracter, en raison du silence du Code de 1804, sont de pures créations prétoriennes. Dès lors, on n’est pas dans une hypothèse classique dans laquelle deux dispositions légales précises, tranchant un même problème de droit de deux façons différentes, se succèdent dans le temps. La configuration est, dans les trois arrêts de 2017, légèrement différente : des dispositions légales nouvelles remplacent un régime jurisprudentiel qui n’était pas toujours univoque, en consacrant une partie des solutions anciennes et en innovant sur d’autres points. Il n’est pas aisé d’identifier avec précision les solutions consacrées par l’ordonnance et les points sur lesquels elle innove dès lors que la jurisprudence antérieure n’était pas toujours claire. Par exemple, la question de la sanction irrégulière d’une offre par le pollicitant était discutée(8).

Il est dès lors possible de considérer que la Cour de cassation ne confère pas à strictement parler une portée rétroactive (ou une applicabilité immédiate) à certaines dispositions de l’ordonnance de 2016, mais qu’elle se contente d’effectuer des revirements sur sa jurisprudence applicable aux contrats conclus avant l’entrée en vigueur de cette ordonnance. En retenant une telle analyse, les trois arrêts précités n’apparaissent pas si étonnants que cela. En effet, la Cour de cassation fait évoluer ses jurisprudences en permanence en prenant en compte diverses sources d’inspiration, ce que l’on nomme parfois les « motifs des motifs(9) », notamment les propositions doctrinales, les projets de réforme et parfois même la jurisprudence d’autres chambres ou d’autres juridictions, comme celle du Conseil d’Etat.

Le nouvel article 1179 du Code civil, que la chambre mixte reprend mot pour mot sans le citer dans son arrêt du 24 février 2017, ne fait que consacrer la jurisprudence antérieure. La nature de l’intérêt protégé n’a pas été érigée en critère de distinction des nullités relative et absolue du jour au lendemain par la Cour de cassation. C’est le fruit d’une lente évolution du paradigme que l’on doit en grande partie à la doctrine. Notamment grâce à l’oeuvre de Japiot, la théorie dite moderne des nullités s’est progressivement imposée en lieu et place de la théorie classique qui concevait l’acte juridique comme un organisme vivant et la nullité comme une maladie l’affectant(10). Avant l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, il semblait acquis que la jurisprudence avait globalement assimilé la théorie moderne des nullités et le critère de distinction entre intérêt privé et intérêt général. Pour autant, il serait caricatural de prétendre que le problème était définitivement réglé. Ce critère de qualification, on le sait, pose de très importantes difficultés d’application et est critiqué par de nombreux auteurs dont certains proposent des alternatives(11). La jurisprudence sur cette question était donc déjà en constante évolution avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2016 et il n’était pas rare que les hauts magistrats s’inspirent, pour faire évoluer leur jurisprudence, de telle ou telle proposition doctrinale, ou même des arrêts pris par d’autres chambres que la leur.

La question de la nature de la nullité pour absence de cause est topique (anc. art. 1131 du Code civil). Initialement, on voyait dans le contrat dépourvu de cause un contrat qui, atteint structurellement, était mort-né. Un contrat doit avoir une cause ; un contrat sans cause ne peut pas survivre ; la nullité était donc absolue. Au fur et à mesure que la théorie moderne gagnait du terrain dans la jurisprudence de la Cour de cassation, cette solution devenait de plus en plus critiquée par une partie de la doctrine. L’argument avancé était en substance le suivant : l’absence de cause est ni plus ni moins qu’une forme de lésion poussée à l’extrême ; or un contrat lésionnaire ne porte atteinte qu’à un intérêt privé, celui de la partie victime de la lésion ; la nullité doit donc être relative. La Cour de cassation s’est difficilement laissée convaincre par cette interprétation, le revirement de jurisprudence s’est opéré par vagues successives, chambre par chambre. D’abord la première chambre civile, puis la troisième chambre civile et enfin la chambre commerciale(12). Cette dernière, bien après le revirement opéré par la première chambre civile, continuait à qualifier d’absolue la nullité pour absence de cause. Ce n’est que par un arrêt de 2016 que la chambre commerciale a aligné sa position sur celle des autres chambres. L’intérêt de ce revirement de jurisprudence réside dans la motivation développée retenue par la chambre commerciale. De façon particulièrement inhabituelle à l’époque, la chambre commerciale a expressément constaté la divergence de jurisprudences entre les chambres puis a officialisé son ralliement à la position des autres chambres :

Attendu que la Cour de cassation jugeait depuis longtemps que la vente consentie à vil prix était nulle de nullité absolue (1re Civ., 24 mars 1993, n° 90-21.462) ; que la solution était affirmée en ces termes par la chambre commerciale, financière et économique : « la vente consentie sans prix sérieux est affectée d’une nullité qui, étant fondée sur l’absence d’un élément essentiel de ce contrat, est une nullité absolue soumise à la prescription trentenaire de droit commun » (Com., 23 octobre 2007, n° 06-13.979, Bull. n° 226) ;

Attendu que cette solution a toutefois été abandonnée par la troisième chambre civile de cette Cour, qui a récemment jugé « qu’un contrat de vente conclu pour un prix dérisoire ou vil est nul pour absence de cause et que cette nullité, fondée sur l’intérêt privé du vendeur, est une nullité relative soumise au délai de prescription de cinq ans » (3e Civ., 24 octobre 2012, n° 11-21.980) ; que pour sa part, la première chambre civile énonce que la nullité d’un contrat pour défaut de cause, protectrice du seul intérêt particulier de l’un des cocontractants, est une nullité relative (1re Civ., 29 septembre 2004, n° 03-10.766, Bull. n° 216) ;

Attendu qu’il y a lieu d’adopter la même position ; qu’en effet, c’est non pas en fonction de l’existence ou de l’absence d’un élément essentiel du contrat au jour de sa formation, mais au regard de la nature de l’intérêt, privé ou général, protégé par la règle transgressée qu’il convient de déterminer le régime de nullité applicable ;

La logique des revirements opérés par les trois arrêts de 2017 n’est guère différente. Simplement, au lieu de puiser leur inspiration dans la jurisprudence d’une autre chambre, les hauts magistrats s’inspirent des dispositions de l’ordonnance du 10 février 2016 pour faire évoluer leur jurisprudence régissant les contrats conclus avant le 1er octobre 2016. Cela ne conduit pas, du moins formellement, à conférer une portée rétroactive aux dispositions de l’ordonnance. C’est le revirement de jurisprudence qui est rétroactif.

Ainsi, dans un arrêt du 3 mai de 2009, la chambre commerciale a jugé que « les dispositions de la loi du 15 mai 2001 modifiant l’article L. 441-6 du code de commerce, qui répondent à des considérations d’ordre public particulièrement impérieuses, sont applicables, dès la date d’entrée en vigueur de ce texte, aux contrats en cours ». Une applicabilité immédiate aux effets futurs des contrats en cours est expressément reconnue au nouvel article L. 441-6 du Code de commerce. Dans les trois arrêts de 2017 étudiés, aucune portée rétroactive n’est expressément reconnue aux dispositions de l’ordonnance. Sur un plan formel, l’ordonnance est simplement présentée comme une source d’inspiration du revirement de jurisprudence, tout comme la jurisprudence des autres chambres était présentée comme une source d’inspiration lorsque la chambre commerciale a opéré un revirement de jurisprudence en 2016 sur la question de la nullité pour absence de cause.

Dans l’arrêt du 24 février 2017, on peut lire que « l’évolution du droit des obligations, résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, conduit à apprécier différemment l’objectif poursuivi par les dispositions relatives aux prescriptions formelles que doit respecter le mandat ». La note explicative qui accompagne l’arrêt est encore plus claire. Il n’y est aucunement question de rétroactivité ou d’application immédiate de la loi nouvelle. Il est seulement question de « revirement de jurisprudence ». Ainsi, selon Dimitri Houtcieff, « la démarche poursuivie depuis quelque temps par la cour régulatrice – notamment par sa chambre commerciale – est ici clairement affirmée : il s’agit de vivifier les dispositions du Code Napoléon, qui demeurent applicables aux contrats conclus avant le 1er octobre 2016, par une interprétation inspirée du droit nouveau. […] Aussi, tout en admettant conformément à l’ordonnance que les dispositions nouvelles ne s’appliquent pas aux conventions qui sont antérieures à son entrée en vigueur, la cour régulatrice interprète la loi ancienne en s’appuyant sur « l’évolution du droit des obligations, résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ». Plutôt qu’elle ne remet en cause les principes ordinaires de l’application de la loi dans le temps, la Cour de cassation s’ouvre en quelque sorte, par la voie de l’interprétation, à « l’anticipation de la loi dans le temps ». Elle tente ainsi de parvenir à une certaine harmonie des solutions, assurant ce faisant – il est vrai au prix de revirements le cas échéant – une certaine égalité des contractants face à la division chronologique du droit des contrats. La clarté de la motivation enrichie n’en est que plus appréciable(13) ». Nous avions nous-même anticipé cet alignement partiel de la jurisprudence antérieure sur le droit nouveau(14). Ce n’est sans doute pas la première fois que la Cour de cassation modifie sa jurisprudence antérieure à la lumière d’une loi nouvelle non rétroactive. Ce qui surprend, c’est que la Cour de cassation opère cet alignement non pas subrepticement, comme elle en avait l’habitude, mais en expliquant expressément dans les motifs de l’arrêt qu’elle modifie sa jurisprudence antérieure en s’inspirant des dispositions nouvelles de l’ordonnance. Il s’agit là de l’une des conséquences de la nouvelle méthode de rédaction des arrêts de la Cour de cassation qui adopte une motivation légèrement plus développée(15).

La référence à l’ordonnance de 2016 était au demeurant, dans cet arrêt, parfaitement superfétatoire dans la mesure où la Cour de cassation reconnaît elle-même, dans sa note explicative, que « l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a consacré la distinction jurisprudentielle entre nullité absolue et nullité relative fondée sur la nature de l’intérêt protégé, en énonçant que la nullité est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l’intérêt général, elle est relative lorsque la règle violée a pour seul objet la sauvegarde d’un intérêt privé (article 1179 nouveau du code civil) ». La chambre mixte opère donc un revirement de jurisprudence en s’inspirant d’une disposition nouvelle… qui consacre sa propre jurisprudence ! Le serpent se mord la queue !

Les arrêts de la chambre sociale interviennent sur une question qui faisait l’objet d’une divergence de jurisprudences

Les arrêts de la chambre sociale du 21 septembre 2017 sont encore plus intéressants dans la mesure où ils interviennent sur une question de droit qui faisait l’objet d’une divergence de jurisprudences avec les autres chambres. Les chambres civiles et commerciale ont toujours distingué clairement l’offre de contracter, acte juridique unilatéral, de la promesse unilatérale de contracter, avant-contrat constitutif d’un véritable contrat. En outre, au moins depuis l’arrêt Consorts Cruz de 1993, ces chambres considèrent que la rétractation irrégulière d’une promesse unilatérale de contracter avant la levée de l’option par le bénéficiaire empêche la formation du contrat promis. La jurisprudence de la chambre sociale s’opposait radicalement à ces solutions, puisque le simple fait, pour l’employeur, de proposer à une personne déterminée un emploi et une date d’entrée en fonction était analysé en une promesse d’embauche qui valait contrat de travail(16). Autrement dit, ce qui s’apparentait selon les critères des chambres civiles et commerciale à un simple acte unilatéral était analysé par la chambre sociale en un contrat de travail. Cette solution était à la fois dérogatoire aux définitions de l’offre et de la promesse unilatérale de contracter retenues par les autres chambres et à la jurisprudence Consorts Cruz qui reconnaissait au promettant la possibilité de rétracter efficacement sa promesse avant la levée de l’option, simplement en engageant sa responsabilité civile.

Ainsi, il nous semble que le revirement opéré par la chambre sociale découle d’un double constat opéré par les magistrats de cette chambre. D’une part, il existait une divergence de jurisprudences avec les autres chambres et la chambre sociale était en position minoritaire. D’autre part, le législateur a clairement tranché, par l’ordonnance du 10 février 2016, en faveur de la jurisprudence des autres chambres, sauf en ce qui concerne la sanction de la rétractation irrégulière de la promesse unilatérale de contracter. C’est ce double constat qui motive le revirement de jurisprudence, comme semble le confirmer la note explicative qui accompagne les deux arrêts du 21 septembre 2017 :

« Suivant une méthode adoptée par la Chambre mixte (Ch. mixte, 24 février 2017, n° 15-20.411, publié au Bulletin) la chambre sociale a choisi de réexaminer sa jurisprudence au regard de l’évolution du droit résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, et, en conséquence, d’apprécier différemment la portée des offres et promesses de contrat de travail, même si cette ordonnance n’était pas applicable aux faits de l’espèce. […]

La chambre sociale a pris acte des choix opérés pour l’avenir par le législateur avec l’ordonnance du 10 février 2016 ainsi que de la jurisprudence des autres chambres civiles de la Cour de cassation pour modifier sa jurisprudence en précisant les définitions respectives de l’offre et de la promesse unilatérale de contrat de travail ».

La chambre sociale, par ces deux arrêts, aligne donc sa jurisprudence sur celle des autres chambres en cessant de considérer qu’un simple acte unilatéral de l’employeur puisse être qualifié de promesse d’embauche valant contrat de travail.

Il nous semble audacieux d’affirmer, à ce stade, que ces arrêts opèrent un abandon de la jurisprudence Consorts Cruz

Pour conclure, il nous semble que ces arrêts conduisent de facto à conférer une certaine portée rétroactive aux dispositions de l’ordonnance, mais cette rétroactivité nous semble indirecte et découler de revirements de jurisprudence. Même si le résultat est le même, il existe une différence entre l’analyse de ces arrêts en termes d’application immédiate ou rétroactive de la loi nouvelle et l’analyse en termes de revirements de jurisprudence. Alors que la rétroactivité (ou l’application immédiate) des dispositions nouvelles de l’ordonnance pourrait être guidée par un critère formel, celui des « considérations impérieuses d’ordre public », les revirements de jurisprudence demeurent fondamentalement discrétionnaires(17) et peuvent être motivés (dans le sens « motifs des motifs ») par une multitude de facteurs qu’il est probablement vain de chercher à systématiser. La Cour de cassation décide aujourd’hui d’aligner sa jurisprudence antérieure sur les nouveaux articles 1116, 1124 et 1179 du Code civil. Quelles autres dispositions de l’ordonnance influeront demain la jurisprudence ancienne de la Cour de cassation ? Une telle question nous semble relever, en l’état actuel des choses, de l’art divinatoire. Il nous semble même audacieux d’affirmer, à ce stade, que les deux arrêts du 21 septembre 2017 opèrent un abandon de la jurisprudence Consorts Cruz pour les promesses unilatérales de contracter conclues avant le 1er octobre 2016. En effet, comme nous l’avons vu, la chambre sociale ne suivait déjà pas cette jurisprudence avant l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016. Les deux arrêts du 21 septembre 2017 ne modifient donc pas, sur ce point, la jurisprudence de la chambre sociale et ne sont pas nécessairement représentatifs de la position des autres chambres.

Notes de bas de page :
  1. D. Mainguy, « Nouvelle (et considérable) avancée de l’entrée en vigueur immédiate de la réforme des contrats », 21 sept. 2017, http://www.daniel-mainguy.fr/2017/09/nouvelle-et-considerable-avancee-de-l-entree-en-vigueur-imediate-de-la-reforme-des-contrats.html [consulté le 22/09/2017]. []
  2. Civ. 3e, 15 déc. 1993, n° 91 10.199, Bull. civ. III, n° 174, p. 115 ; D. 1994, p. 507, note F. Benac-Schmidt ; ibid. somm. p. 230, obs. O. Tournafond ; D. 1995, somm. p. 88, obs. L. Aynès ; JCP G 1995, II 22366, note D. Mazeaud ; Defrénois 1994, art. 35845, note Ph. Delebecque ; RTD civ. 1994, p. 588, obs. J. Mestre ; V. notre présentation de l’article 1124, alinéa 2 : C. François, « Présentation des articles 1123 à 1124 de la nouvelle sous-section 3 “Le pacte de préférence et la promesse unilatérale” », La réforme du droit des contrats présentée par l’IEJ de Paris 1, https:/​/​iej.univ-paris1.fr/​openaccess/​reforme-contrats/​titre3/​stitre1/​chap2/​sect1/​ssect3-pacte-preference-promesse/​ [consulté le 22/09/2017]. []
  3. Ch. mixte, 24 févr. 2017, n° 15-20.411 ; D. 2017, p. 793, note B. Fauvarque-Cosson ; ibid., p. 1149, obs. N. Damas ; AJ Contrat 2017, p. 175, obs. D. Houtcieff ; RTD civ. 2017, p. 377, obs. H. Barbier. []
  4. Com. 3 mars 2009, n° 07-16.527, D. 2009, p. 725, obs. E. Chevrier, et 2888, obs. D. Ferrier ; Gaz. Pal. 25 juill. 2009, p. 11, note L. Mordefroy ; CCC 2009, comm. 156, obs. L. Leveneur. []
  5. V. B. Fauvarque-Cossin, « Première influence de la réforme du droit des contrats », D. 2017, p. 793. Pour l’auteur, le nouvel article 1179 du Code civil ne répond pas à des considérations d’ordre public particulièrement impérieuses. []
  6. JCl Civil Code, v° « Synthèse – Application de la loi et de la jurisprudence dans le temps » par S. Gaudemet, 13 janv. 2017, n° 12 et 19. []
  7. O. Deshayes, Th. Genicon et Y.‑M. Laithier, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, LexisNexis, 2016, p. 19 et 20 ; nous avons nous-même émis cette hypothèse : C. François, « Application dans le temps et incidence sur la jurisprudence antérieure de l’ordonnance de réforme du droit des contrats », D. 2016, p. 506 et s., spéc. p. 507. []
  8. C. François, op. cit., spéc. p. 508 et 509. []
  9. P. Deumier, « Les « motifs des motifs » des arrêts de la Cour de cassation », Mélanges en l’honneur de Jean-François Burgelin, Dalloz, 2008, p. 125. []
  10. R. Japiot, Des nullités en matière d’actes juridiques, Essai d’une théorie nouvelle, thèse Dijon, Arthur Rousseau, 1909, p. 531 et s. L’attribution à Japiot de la paternité de la summa divisio entre l’intérêt privé et l’intérêt général, aussi classique soit-elle, est considérée par certains comme caricaturale et largement erronée (V. par ex. A. Posez, « La théorie des nullités », RTD civ. 2011, p. 647 : l’auteur parle de « mystification » ; G. Chantepie et M. Latina, La réforme du droit des obligations, Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 1re éd., Dalloz, 2016, p. 393, no 472). []
  11. V. par ex. l’article précité d’Alexis Posez. []
  12. Com., 22 mars 2016, n° 14‑14.218, à paraître ; D. 2016, p. 1037, obs. S. Tréard ; RTD civ. 2016, p. 343, obs. H. Barbier ; RTD com. 2016, p. 317, obs. B. Bouloc ; Civ. 3e, 24 oct. 2012, no 11‑21.980, AJDI 2013, p. 540, obs. S. Porcheron ; Civ. 1re, 29 sept. 2004, no 03‑10.766, Bull. civ. I, no 216, p. 181 ; AJ fam. 2004, p. 458, obs. F. Bicheron. []
  13. D. Houtcieff, « Par la loi, mais au-delà de la loi », AJ contrat 2017, p. 175. []
  14. C. François, op. cit., spéc. p. 508 et s. ; billet du 11 février 2016, « L’application dans le temps de la réforme du droit des obligations« . []
  15. Cette évolution n’est plus une surprise, le premier président de la Cour de cassation, Bertrand Louvel, en fait régulièrement la promotion. V. par ex. son discours du 14 septembre 2015, https://www.courdecassation.fr/cour_cassation_1/reforme_cour_7109/travaux_commission_8180/motivation_arrets_7856/cour_cassation_32510.html : « La Cour est ainsi logiquement soumise à une demande de motivation plus développée des arrêts et des avis qu’elle rend. Beaucoup attendent d’elle en particulier qu’elle explicite la part du raisonnement proprement juridique entrant dans la décision et celle des données techniques, économiques et sociales qui l’ont déterminée […] ». []
  16. S. François, « Promesse de vente et promesse d’embauche, Regards croisés sur le sort réservé aux promesses de contrat par la jurisprudence », JCP G 2012, doctr. 529 ; Soc., 25 nov. 2015, n° 14-19.068, inédit. V. aussi la note explicative publiée en même temps que les deux arrêts du 21 septembre 2017 : « La chambre sociale jugeait de façon constante que la “promesse” d’embauche précisant l’emploi proposé et la date d’entrée en fonction valait contrat de travail (Soc., 15 décembre 2010, n° 08-42.951, Bull. V, n° 296 ; Soc., 12 juin 2014, pourvoi n° 13-14.258, Bull. 2014, V, n° 138). Cette solution, qui ne s’attachait qu’au contenu de la promesse d’embauche, était certes protectrice du salarié, mais présentait quelques difficultés en ce qu’elle ne prenait pas en compte la manifestation du consentement du salarié pour s’attacher exclusivement au contenu de l’acte émanant de l’employeur. Ainsi, un acte unilatéral emportait les effets d’un contrat synallagmatique. » []
  17. Dans la limite de l’atteinte aux droits et libertés fondamentaux qui pourrait être sanctionnée par la Cour européenne des droits de l’homme. []

Présentation article par article de la réforme du droit des contrats

L’institut d’études judiciaires Jean Domat de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne a ouvert très récemment un nouveau site de « ressources open access ». Ce site a vocation à accueillir des ressources destinées aux étudiants en droit, aux candidats à un examen (ex. : CRFPA) ou à un concours (ex. : ENM) juridique et aux professionnels du droit. J’aimerais vous présenter en quelques mots ce projet auquel j’ai participé activement en créant le site Internet et en rédigeant la première ressource qui y a été publiée.

« Open access » est une expression d’origine anglo-saxonne qui peut signifier plusieurs choses. En l’occurrence, on peut la traduire par « en accès libre ». Les ressources publiées sur le site sont donc accessibles par n’importe qui, gratuitement, sans inscription. L’open access ne doit toutefois pas être confondu avec l’open data : si les données sont libres d’accès depuis le site Internet de l’IEJ, elles demeurent protégées par le droit d’auteur et toute reproduction sans autorisation est donc prohibée.

Présentation de la réforme droit des contrats IEJ Paris 1La première ressource qui a été publiée sur le site la semaine dernière est une présentation article par article de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. C’est l’équivalent d’un ouvrage d’environ 350 pages qui est ainsi publié en libre accès. En plus d’une présentation article par article, on y retrouve des tableaux de concordance (nouveaux articles ↔ anciens articles) et plusieurs vidéos réalisées par des professeurs de droit sur les points importants de la réforme (Mme Cattalano-Cloarec et MM. Dupichot, Lucas et Revet).

Cette présentation de la réforme peut être utile aux candidats qui préparent cet été l’examen d’entrée aux CRFPA ou l’un des concours complémentaires de l’ENM. A la rentrée universitaire elle pourra être utile aux étudiants de licence 2 pour préparer leurs séances de TD en droit des contrats et aux professionnels du droit qui seront amenés à mobiliser les nouvelles dispositions du Code civil dès le 1er octobre 2016, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance.

La présentation peut être consultée à l’adresse suivante : https://iej.univ-paris1.fr/openaccess/reforme-contrats/avant-propos/.

Une autre ressource devrait être publiée ce soir en libre accès sur le site, rédigée par une collègue, Fanny Hartman : « Le droit des personnes et de la famille à l’épreuve des droits fondamentaux ». L’objectif est « d’explorer les relations que le droit des personnes et de la famille entretient avec les droits fondamentaux à travers les évolutions les plus marquantes du droit positif ». Ce « module » est avant tout destiné aux candidats à l’examen d’entrée aux CRFPA, aussi bien pour préparer l’épreuve écrite ou orale de droit de la famille que le grand oral.

Bon courage à tous les candidats qui préparent un examen juridique cet été, et plus spécialement à ceux de l’IEJ de Paris 1 !

Table de correspondance des articles affectés par la réforme du droit des contrats

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligation, qui entrera en vigueur le 1er octobre 2016, refonde totalement les titres III et IV du livre III du Code civil. Tous les articles de ces deux titres sont affectés : même les dispositions conservées voient leur numérotation changer. Ainsi, l’article 1382, siège de la responsabilité civile délictuelle pour faute, devient l’article 1240 ; l’article 1134, al. 1er, siège de la force obligatoire du contrat, devient l’article 1103, etc.

Tableau concordance réforme droit des contrats

Pour pouvoir comparer aisément les nouvelles dispositions avec les anciennes, un tableau de concordance peut s’avérer utile. J’ai rédigé un tel tableau mettant en vis-à-vis les nouvelles dispositions (colonne de gauche) avec les anciennes (colonne de droite). Ce tableau de correspondance est publié dans un numéro hors série de la Revue des contrats qui vient de paraître aujourd’hui : « Table de correspondance (nouveaux articles → anciens articles) », RDC 2016, n° Hors série, p. 58 et s.

Revue des contratsSi vous souhaitez consulter le tableau en ligne, je vous recommande d’utiliser l’ancienne version du site Lextenso, puisque la mise en forme du tableau ne s’affiche pas correctement dans la nouvelle version du site. Ce numéro hors série de la RDC contient par ailleurs de nombreux articles ayant pour thématique la réforme du droit des contrats et rédigés par des spécialistes de la matière.

L’application dans le temps de la réforme du droit des obligations

Mise à jour du 02/03/2016 : le présent billet a servi d’ébauche à un article plus complet publié au Recueil Dalloz du 3 mars 2016 : « Application dans le temps et incidence sur la jurisprudence antérieure de l’ordonnance de réforme du droit des contrats », D. 2016, chron., p. 506-509.Couverture Recueil Dalloz 2016 n° 9Le Gouvernement a publié aujourd’hui la très attendue ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. La teneur générale du texte était connue depuis que la Chancellerie a publié un projet d’ordonnance l’année dernière, mais une question restait en suspens : celle de l’application dans le temps de la réforme. La question est particulièrement sensible en matière contractuelle puisque le contrat est un outil de prévision, il est donc souhaitable que le législateur ne déjoue pas les prévisions des parties. Ce billet propose une synthèse des dispositions transitoires de l’ordonnance et de l’incidence de celle-ci sur le droit positif.

Calendrier réforme droit des obligations

L’entrée en vigueur de l’ordonnance le 1er octobre 2016

La date d’entrée en vigueur d’une loi est la date de sa « mise en application », le « moment où le texte devient obligatoire »(1). Selon l’article 1er du Code civil, les lois « entrent en vigueur à la date qu'[elles] fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication ».

En l’occurrence l’article 9 de l’ordonnance prévoit que toutes les dispositions de celle-ci entreront en vigueur le 1er octobre 2016. Ces dispositions ne pourront donc pas être appliquées avant le 1er octobre 2016. Cela ne signifie cependant pas que toutes ces dispositions deviendront applicables à tous les contrats dès le 1er octobre 2016, des distinctions doivent être faites.

L’application dans le temps des dispositions de l’ordonnance

Selon l’article 2 du Code civil, « La loi ne dispose que pour l’avenir, elle n’a point d’effet rétroactif. » Suite aux propositions de Roubier, la doctrine et la jurisprudence raisonnent désormais essentiellement en termes de situations juridiques. En ce qui concerne les situations juridiques légales formées antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, leurs conditions de formation et leurs effets antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle demeurent régis par la loi ancienne (la loi « n’a point d’effet rétroactif », selon l’article 2 du Code civil), cependant que leurs effets postérieurs sont immédiatement régis par la loi nouvelle (« la loi ne dispose que pour l’avenir », c’est le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle).

Le contrat étant un outil de prévision, les situations juridiques contractuelles sont traitées différemment. La jurisprudence écarte le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle et lui substitut un principe dit de « survie de la loi ancienne ». Tous les contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle restent donc en principe régis par la loi en vigueur à l’époque de leur conclusion, aussi bien en ce qui concerne leurs conditions de formation que leurs effets passés et futurs(2). Seuls les contrats conclus après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle sont donc, en principe, régis par celle-ci.

Le législateur peut toutefois déroger à ces règles en prévoyant des dispositions transitoires, dans la mesure où l’article 2 du Code civil n’a qu’une valeur légale(3). C’est ce que le Gouvernement a fait avec l’ordonnance du 10 février 2016 dont l’article 9 dispose que :

« Les dispositions de la présente ordonnance entreront en vigueur le 1er octobre 2016.
Les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne.
Toutefois, les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’article 1123 et celles des articles 1158 et 1183 sont applicables dès l’entrée en vigueur de la présente ordonnance.
Lorsqu’une instance a été introduite avant l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, l’action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s’applique également en appel et en cassation. »

La disposition n’est pas des plus claires, mais il me semble qu’une interprétation littérale de celle-ci permet de comprendre que :

L’alinéa 1er prévoit que l’ordonnance ne pourra commencer à être appliquée qu’à compter du 1er octobre 2016, c’est ce que l’on vient de voir.

L’alinéa 2 rappelle le principe de survie de la loi ancienne en matière contractuelle : les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 demeurent régis par la loi qui était en vigueur au moment de leur conclusion, y compris pour leurs effets postérieurs au 1er octobre 2016. Cet alinéa n’est cependant pas superfétatoire, car s’il existe un principe jurisprudentiel de survie de la loi ancienne en matière contractuelle, la Cour de cassation en a consacré quelques exceptions, elle juge notamment que la loi nouvelle s’applique immédiatement aux effets légaux des contrats conclus avant son entrée en vigueur(4). L’alinéa 2 de l’article 9 de l’ordonnance semble exclure expressément cette exception : l’ordonnance ne s’appliquera pas aux contrats conclus avant le 1er octobre sans que l’on ait à distinguer entre leurs effets contractuels et leurs effets légaux.

L’alinéa 3 consacre trois exceptions au principe de survie de la loi ancienne posé à l’alinéa 2 : l’action interrogatoire en matière de pactes de préférence (art. 1123, alinéas 3 et 4), l’action interrogatoire en matière de représentation (art. 1158) et l’action interrogatoire/en confirmation forcée en matière de nullités (art. 1183) sont applicables « dès l’entrée en vigueur de la présente ». Il faut comprendre par là que ces dispositions seront applicables à tous les contrats, passés comme futurs, à compter du 1er octobre 2016. Cette dérogation au principe de survie de la loi ancienne semble raisonnable dès lors que ces actions interrogatoires visent uniquement à renforcer la sécurité juridique des tiers ou des parties sans déjouer les prévisions initiales de celles-ci. On est ici dans une hypothèse d’application immédiate de la loi nouvelle aux contrats en cours et non dans une hypothèse de rétroactivité puisque les effets produits par les contrats avant le 1er octobre 2016 demeurent régis par la loi ancienne(5).

L’alinéa 4, enfin, précise que l’ordonnance ne s’applique pas aux instances en cours et aux instances introduites avant le 1er octobre 2016. Cet alinéa semble superfétatoire puisque l’alinéa 2 dispose que les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 demeurent régis par la loi ancienne… La seule hypothèse que pourrait viser cet alinéa est celle dans laquelle une action serait introduite avant le 1er octobre 2016 sur le fondement d’un contrat conclu avant le 1er octobre 2016 et pour laquelle l’une des actions interrogatoires visées à l’alinéa 3 serait exercée, en cours d’instance, après le 1er octobre… L’hypothèse semble hautement improbable.

La tentation de l’interprétation de la loi ancienne à la lumière de la loi nouvelle

En théorie, les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 resteront régis par la loi ancienne, hors exceptions visées à l’alinéa 3 de l’article 9 de l’ordonnance. En pratique, on peut se demander si la Cour de cassation ne sera pas tentée de faire évoluer subrepticement son interprétation du droit ancien pour l’aligner progressivement sur le droit nouveau.

Sur certains points le Gouvernement a souhaité « moderniser » le droit des contrats, par exemple en consacrant la cession de dettes. Sur d’autres, le Gouvernement a cherché à codifier à droit constant les solutions jurisprudentielles antérieures pour les rendre plus accessibles, notamment aux juristes étrangers dans l’éventualité d’une uniformisation future du droit des contrats à l’échelle européenne. Pourtant ce travail de codification ne s’effectue pas toujours « à droit constant » car la jurisprudence manquait de clarté sur de nombreuses questions. L’ordonnance opère donc des changements subtils, mais bien réels, du droit positif sur ces questions. Dès lors que ces changements subtils sont généralement motivés par une jurisprudence confuse, il est probable que la Cour de cassation clarifie sa jurisprudence, voire opère des revirements, en s’alignant, sans le dire, sur le texte de l’ordonnance. Cela ne me semblerait pas choquant et me semblerait même parfois opportun, à condition de ne pas opérer de revirements de jurisprudence… pour l’avenir !

Blague à part, il est par exemple acquis en jurisprudence que le pollicitant ne peut rétracter son offre avant l’écoulement du délai dont il l’a assortie, mais la sanction d’une rétractation irrégulière fait l’objet d’un vif débat doctrinal que la Cour de cassation n’a jamais clairement tranché à ce jour. Selon certains, la rétractation irrégulière de l’offre ne peut être sanctionnée que par l’attribution de dommages-intérêts ; pour d’autres, la sanction de l’irrégularité de la rétractation est son inefficacité : la rétractation est considérée comme inefficace et l’acceptation formulée après la rétractation de l’offre, mais avant l’expiration du délai dont elle était assortie, permet de former le contrat. Le nouvel article 1116 du Code civil, introduit par l’ordonnance, dispose en son alinéa 2 que « La rétractation de l’offre en violation de cette interdiction empêche la conclusion du contrat. » Il serait étonnant que la Cour de cassation juge inefficaces les rétractations irrégulières effectuées avant le 1er octobre 2016… Elle va probablement profiter de l’ordonnance pour clarifier sa jurisprudence antérieure en jugeant que la rétractation irrégulière de l’offre, qu’elle soit faite avant ou après le 1er octobre 2016, entraîne la caducité de l’offre et engage simplement la responsabilité de son auteur.

En revanche il est probable que la Cour de cassation ne fasse pas évoluer son interprétation du droit antérieur sur d’autres points, même si elle diverge du droit nouveau. Je pense essentiellement à la jurisprudence Cruz sur la rétractation de la promesse unilatérale de vente. La Cour de cassation a maintenu cette jurisprudence depuis 1993 malgré des critiques doctrinales extrêmement virulentes, il est donc probable que les rétractations de PUV conclues avant le 1er octobre 2016 demeurent efficaces, empêchant le bénéficiaire de la PUV de lever efficacement l’option postérieurement à la rétractation irrégulière. Seules les PUV conclues après le 1er octobre 2016 ne pourront plus être efficacement rétractées avant l’expiration du délai d’option (article 1124, alinéa 2, introduit par l’ordonnance).

La ratification éventuelle de l’ordonnance

L’article 38, alinéa 2, de la Constitution prévoit que les ordonnances « entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation ». Le texte contient une subtilité, souvent exploitée sous la Ve République, qui permet au Gouvernement d’assurer l’efficacité de son ordonnance sans avoir à obtenir sa ratification par le Parlement. L’ordonnance ne devient en effet caduque que si elle n’est pas déposée au Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation, mais la Constitution ne prévoit aucun délai pour sa ratification. Le Gouvernement ayant une large maitrise de l’ordre du jour des assemblées (c’est un peu moins vrai depuis la révision constitutionnelle de 1995 qui a créé une « niche parlementaire »(6)), il peut s’arranger pour que la question de la ratification ne soit jamais débattue au Parlement.

Dès lors, trois hypothèses sont désormais possibles :

Première hypothèse, la ratification de l’ordonnance n’est jamais débattue au Parlement. Dans ce cas l’ordonnance entrera néanmoins en vigueur le 1er octobre 2016, mais aura une valeur réglementaire. En pratique cela signifie que le Conseil constitutionnel ne pourra pas contrôler la constitutionnalité de l’ordonnance, y compris dans le cadre d’une QPC, mais le Conseil d’Etat sera compétent pour contrôler à la fois sa légalité(7) et sa constitutionnalité(8).

Seconde hypothèse, le Parlement ratifie l’ordonnance, dans ce cas elle acquiert une valeur légale : la loi de ratification pourra être contrôlée par le Conseil constitutionnel. Dans cette hypothèse le Parlement aura la possibilité de modifier l’ordonnance en la ratifiant.

Troisième hypothèse, le Parlement refuse de ratifier l’ordonnance, elle deviendrait alors caduque.

La Garde des Sceaux de l’époque, Mme Taubira, avait annoncé lors des débats sur la loi d’habilitation que l’ordonnance serait soumise à la ratification dans les six mois de sa publication afin que les parlementaires puissent l’amender. Il faut toutefois noter que Mme Taubira a quitté ses fonctions récemment et que les attentats de janvier et novembre 2015 ont eu lieu depuis. Le Gouvernement et le Parlement semblant enlisés dans le débat sur la révision constitutionnelle, il n’est pas certain que la promesse puisse être tenue. Si l’ordonnance peut être débattue au Parlement, il est très peu probable que celui-ci refuse de la ratifier, ce cas de figure ne se produisant jamais(9).

Notes de bas de page :
  1. Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, G. Cornu (dir.), 10e éd., PUF, 2014, v° « vigueur ». []
  2. Cass. civ. 3e, 3 juill. 1979, n° 77-15.552. Ce principe a encore été rappelé récemment par la Cour de cassation : Cass. civ. 1re, 12 juin 2013, n° 12-15.688. []
  3. Si le législateur peut déroger à l’article 2 du Code civil, il y a en revanche des limites constitutionnelles et conventionnelles (essentiellement la Convention EDH) de plus en plus importantes à la rétroactivité de la loi. []
  4. Par « effet légal du contrat » il faut entendre « effet attaché par la loi au contrat », c’est-à-dire un effet que le contrat produit indépendamment de la volonté de ses parties. La Cour de cassation a par exemple jugé en 1981 que l’action directe consacrée par la loi nouvelle en matière de sous-traitance était un effet attaché par la loi au contrat et non un effet contractuel stricto sensu et en a conclu que les dispositions de la loi nouvelle relatives à l’action directe devaient s’appliquer immédiatement aux contrats en cours : Cass. ch. mixte, 13 mars 1981, n° 80-12.125. []
  5. Une action interrogatoire exercée avant le 1er octobre 2016 ne produirait donc aucun effet. []
  6. V. le pénultième alinéa de l’article 48 de la Constitution. []
  7. CE, 12 févr. 1960, Société Eky. []
  8. Cons. constit., déc. n° 2011-219 QPC du 10 févr. 2012, Patrick E. []
  9. M. Verpeaux, Droit constitutionnel français, 2e éd., PUF, 2015, p. 571-572, n° 333. Les deux décisions précitées sont extraites de cet ouvrage. []

La banque prestataire de services d’investissement n’est pas tenue d’informer son cocontractant de sa marge commerciale

Par un arrêt du 17 mars 2015, Société générale c/ SMGM, la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé, dans un attendu de principe rendu au visa de l’article 1147 du Code civil, que « le prestataire de services d’investissement qui est partie à une opération de couverture à prime nulle contre le risque de fluctuation du cours de matières premières n’est pas tenu de révéler à son cocontractant le profit qu’il compte retirer de cette opération ».

Enseigne société générale

Une fois la complexité des faits surmontée, cet arrêt s’avère très intéressant pour être le premier à exclure toute obligation d’information sur la marge commerciale et sur le profit escompté du contrat lorsque les banques agissent pour leur propre compte. Cette solution est heureuse pour deux raisons : d’une part parce que l’information sur la marge commerciale n’est pas une information utile pour le cocontractant, d’autre part parce que l’obligation d’information sur la marge commerciale dissimulait en l’espèce une obligation d’information sur la valeur, rejetée par la jurisprudence Baldus.

Pour une analyse de cette solution, vous pouvez consulter ma note qui vient d’être publiée au numéro 19 du 7 mai 2015 de la Semaine juridique Entreprise et Affaires : JCP E 2015, 1220, note C. François.

Je profite de ce billet pour remercier de nouveau le cabinet Célice, Blancpain, Soltner et Texidor pour m’avoir signalé cet arrêt. Vous trouverez ci-dessous la partie commentée de l’arrêt. Continuer la lecture

La Chancellerie publie un projet d’ordonnance préparant la réforme du droit des contrats

La Chancellerie vient d’ouvrir une consultation publique sur la réforme du droit des contrats dans le cadre de laquelle les « professionnels, universitaires et citoyens » sont invités, jusqu’au 30 avril 2015, à envoyer leurs contributions à l’adresse contrats2015.dacs@justice.gouv.fr(1).

Code civil droit des contrats obligation

A cette occasion, un projet d’ordonnance est publié, que vous pouvez consulter ici. Excepté quelques rares modifications mineures, ce projet semble identique sur le fond à l’avant-projet qui circule sur Internet de façon officieuse depuis de nombreux mois et daté d’octobre 2013. Sur la forme, en revanche, on notera que ce nouveau document contient la numérotation que prendront les nouvelles dispositions dans le Code civil. A cet égard le Gouvernement n’a pas tenté de conserver la numérotation séculaire des principales dispositions du droit des contrats. Ainsi l’article 1134 du Code civil, siège de la force obligatoire des contrats et de la bonne foi, est-il réaffecté dans le projet d’ordonnance à la question de l’erreur sur les motifs ;  l’article 1142, siège du régime de l’exécution forcée en nature des obligations de faire, à la question de la violence économique ; l’article 1147, siège de la responsabilité contractuelle, à la question de la nullité pour incapacité ; l’article 1184, siège de la résolution pour inexécution, à la question de la confirmation d’une donation affectée d’un vice de forme, etc. La réforme va donc bousculer les habitudes des juristes, sur le fond bien sûr, mais aussi jusque dans la numérotation avec laquelle des générations de juristes s’étaient familiarisées depuis 1804.

Notes de bas de page :
  1. http://www.textes.justice.gouv.fr/textes-soumis-a-concertation-10179/reforme-du-droit-des-contrats-27897.html. []