Exemple de commentaire d’arrêt en introduction au droit (application de la loi dans le temps)

En dispensant des TD d’introduction générale au droit cette année, j’ai réalisé que la finalité même de l’exercice du commentaire d’arrêt pouvait paraître très absconse pour des étudiants venant de quitter les bancs du lycée. Même avec une méthode théorique, ce n’est qu’en tâtonnant qu’ils parviennent, très progressivement, à éviter le hors sujet et la paraphrase pour enfin toucher au cœur de l’exercice : l’analyse de l’arrêt. Afin de compléter ma méthode, j’ai entrepris la rédaction d’un commentaire d’arrêt selon les canons de l’exercice pour donner aux étudiants de première année une vue plus concrète de ce qui est attendu d’eux.

Notes cahier

Pour ce faire, j’ai choisi un arrêt sur un thème d’introduction générale au droit : les conflits de lois dans le temps. Les étudiants de première année doivent en principe avoir les connaissances nécessaires, à leur niveau, pour traiter cet exercice. Je vais commencer par donner le sujet, puis je donnerai un devoir type rédigé par mes soins que j’expliquerai étape par étape et, enfin, je donnerai quelques conseils spécifiquement destinés aux étudiants de première année.

Le sujet du commentaire d’arrêt

Commentez l’arrêt rendu le 10 mai 2005 par la chambre commerciale de la Cour de cassation (Bull. civ. IV n° 100, p. 105 ; n° de pourvoi : 03-17.618) :

Attendu, selon l’arrêt déféré (Douai, 28 novembre 2002), que M. X…, producteur de primeurs au Maroc (l’expéditeur) ayant fait réaliser plusieurs acheminements de marchandise par la société Transfrisur (le transporteur) à destination de son commissionnaire en France, la société Honoré primeurs, (le destinataire), le transporteur a assigné le destinataire en paiement du fret ; que la cour d’appel a rejeté la demande ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que le transporteur reproche à l’arrêt d’avoir ainsi statué, alors, selon le moyen : (moyen non reproduit)

Et sur le second moyen :

Attendu que le transporteur fait encore le même reproche à l’arrêt, alors, selon le moyen, que la loi nouvelle régit immédiatement les effets des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées ; que l’action directe du voiturier en paiement de ses prestations trouve son fondement dans la loi du 6 février 1998 et non dans les contrats conclus entre les parties, desquels il n’est résulté pour celles-ci aucun droit acquis ; qu’ainsi, le transporteur créancier du fret impayé postérieurement à la loi du 6 février 1998, pouvait exercer une action directe à l’encontre du destinataire de la marchandise, peu important que les contrats de transport aient été conclus antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé l’article 2 du Code civil, ensemble l’article 10 de la loi du 6 février 1998, devenu l’article L. 132-8 du Code de commerce ;

Mais attendu que la loi du 6 février 1998 n’est pas applicable aux contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur ;

que l’arrêt, qui relève que les contrats de transport litigieux ont été conclus en mars et avril 1997 n’encourt pas le grief du pourvoi ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Transfrisur aux dépens ;
Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Transfrisur et la condamne à payer à la société Honoré primeurs la somme de 2 000 euros ;

Le corrigé expliqué étape par étape

Ci-dessous un corrigé du commentaire d’arrêt expliqué étape par étape. Je vais m’efforcer de décrire pour chaque paragraphe ce que j’ai fait, pourquoi je l’ai fait et comment je l’ai fait. Pour essayer de rendre les choses lisibles, les annotations sont indiquées en vert, elles ne font pas partie du devoir. Je précise enfin que j’ai essayé de me mettre dans la peau d’un étudiant de première année à qui l’on aurait donné cet exercice, par conséquent je n’ai mobilisé dans ce commentaire que des notions supposées accessibles à des étudiants de première année (il aurait probablement été possible de pousser l’analyse plus loin, mais je l’ai volontairement limitée).

Le commentaire commence par l’introduction.

Si le Code civil de 1804 est régulièrement encensé pour ses multiples qualités, il n’en comporte pas moins d’importantes lacunes dans certains domaines. Les conflits de lois dans le temps sont sans aucun doute l’un d’eux. Une seule disposition, pour le moins lapidaire, est laissée à l’interprète pour résoudre cette épineuse question : l’article 2. L’absence de directives légales précises a donné lieu à une jurisprudence complexe et parfois confuse, comme en témoigne un arrêt rendu le 10 mai 2005 par la chambre commerciale de la Cour de cassation. L’introduction doit toujours commencer par une accroche permettant d’introduire l’arrêt commenté, l’accroche doit donc se terminer par les références de l’arrêt commenté. Il faut, au minimum, donner le thème de l’arrêt commenté. Si on est un peu plus inspiré on peut rédiger une accroche plus originale, contenant par exemple une citation en lien avec l’arrêt. Pour ma part, j’ai remarqué en analysant l’arrêt au brouillon que sa portée n’était pas claire, à l’image de la jurisprudence en matière de conflits de lois qui manque généralement de clarté en mélangeant l’ancienne théorie (qui distingue les droits acquis des simples expectatives) à la nouvelle théorie développée par Roubier (applicabilité immédiate de la loi nouvelle et survie de la loi ancienne selon les situations). Je suis donc parti de la jurisprudence relative aux conflits de lois dans le temps et de son caractère complexe et parfois confus pour introduire l’arrêt qui était à commenter et qui est également relativement confus sur sa portée et ses fondements. C’est finalement la méthode de l’entonnoir que j’ai utilisée ici : je suis parti du thème très général de l’arrêt pour arriver progressivement à l’arrêt qui était à commenter.

En l’espèce, un producteur a conclu plusieurs contrats avec une société de transport afin d’acheminer sa marchandise située au Maroc à son commissionnaire situé en France. Si l’accroche est correctement rédigée, on peut en principe enchaîner directement sur les faits de l’affaire en commençant par l’expression « en l’espèce » qui veut dire, grosso modo, « dans l’affaire dont on vient de faire référence ». Les faits doivent être relatés de manière chronologique, et il faut absolument qualifier juridiquement les parties : il ne faut donner ni leurs noms propres (société Trucmuche, Mme Dupont, etc.), ni leurs versions anonymisées (M. X, Mme Y, etc.). Exemple de qualités juridiques : une personne (sous-entendue, une personne juridique, dotée de la personnalité juridique), une société, le contractant, le créancier, le débiteur, la victime, le responsable, un vendeur, un acheteur, un transporteur, un mandant, un mandataire, un prêteur, un emprunteur, etc. On remarquera que je suis passé à un nouveau paragraphe entre l’accroche et les faits : cela permet de montrer clairement que l’on passe d’une étape à l’autre de l’introduction et permet par la même occasion d’aérer le devoir, ce qui est indispensable.

Pour une raison non précisée, le transporteur a choisi d’assigner le destinataire de la marchandise en paiement du prix stipulé dans ces contrats de transport, vraisemblablement sur le fondement de l’action directe prévue à l’article 10 de la loi du 6 février 1998. La juridiction de premier degré a rendu un jugement dont on ignore la teneur, puis l’une des parties a interjeté appel. Dès lors qu’une personne en assigne une autre, ou qu’un juge est saisi, on passe à l’étape « procédure » de l’introduction, et on peut donc débuter un nouveau paragraphe. Là encore, la chronologie des évènements doit être respectée. Le fondement juridique initial de l’action n’est pas mentionné dans l’arrêt de la Cour de cassation, mais on peut le supposer du reste de l’arrêt, j’ai choisi de le mentionner (sous cette réserve matérialisée par l’adverbe « vraisemblablement ») pour rendre les choses plus claires. Enfin, j’ai choisi de mentionner l’existence d’un jugement rendu par les juges du premier degré et le fait qu’une partie ait interjeté appel, même si on ignore totalement la teneur de ce jugement et l’identité de la partie qui a interjeté appel. Cela permet de montrer au correcteur que l’on sait que l’affaire est passée d’abord devant une juridiction du premier degré, et cela me semble important lorsque l’on est étudiant en première année de droit (on y porte sans doute moins d’importance les années suivantes, où cette information de base est supposée maîtrisée par tous les étudiants).

La Cour d’appel de Douai, par un arrêt du 28 novembre 2002, a rejeté la demande du transporteur. Elle a retenu que les contrats avaient été conclus en mars et avril 1997, c’est-à-dire antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 6 février 1998. J’ai choisi pour ma part de consacrer un nouveau paragraphe à la procédure devant la cour d’appel, mais ce n’est pas une obligation. Il faut bien mentionner les références de l’arrêt si elles sont communiquées, le dispositif de l’arrêt (la demande est-elle rejetée ou accueillie ? si elle est accueillie, qu’a décidé précisément la cour d’appel ?), et les motifs de l’arrêt (ils ne seront en principe mentionnés que si l’arrêt commenté est un arrêt de cassation, ce qui n’est le cas en l’espèce, cependant en l’espèce on a connaissance de ces motifs car ils sont repris par la Cour de cassation dans son conclusif).

Le transporteur a alors formé un pourvoi en cassation, il conteste le rejet de son action directe. Il soutient, dans le second moyen de son pourvoi, le seul qui sera étudié, que la loi nouvelle régit immédiatement les effets des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées ; que l’action directe du transporteur en paiement de ses prestations trouve son fondement dans la loi du 6 février 1998 et non dans les contrats conclus entre les parties, desquels il n’est résulté pour celles-ci aucun droit acquis. Il soutient que la cour d’appel aurait ainsi violé l’article 2 du Code civil et l’article 10 de la loi précitée en rejetant son action directe dès lors que sa créance était restée impayée après l’entrée en vigueur de la loi de 1998, peu important que les contrats de transport aient été conclus avant l’entrée en vigueur de cette loi. Après l’arrêt de la cour d’appel, une partie forme logiquement un pourvoi en cassation. Lorsque l’on sait qui a formé le pourvoi, il faut mentionner son identité. Lorsque les moyens du pourvoi sont reproduits dans l’arrêt, ce qui est en général le cas dans un arrêt de rejet comme en l’espèce, il faut indiquer 1/ le chef de dispositif attaqué (il y en a normalement un par moyen, en l’occurrence il s’agissait du rejet de l’action directe), 2/ les arguments juridiques invoqués pour critiquer le chef de dispositif attaqué (il y a normalement une argumentation juridique développée dans chaque branche du moyen). Il faut reformuler l’argumentation juridique du pourvoi avec ses propres mots pour montrer qu’on l’a bien comprise, et il faut donner le cas d’ouverture à cassation (en l’espèce violation de la loi, plus précisément articles 2 du Code civil et 10 de la loi de 1998). S’il faut en principe reformuler le moyen du pourvoi avec ses propres mots, je me suis permis ici de reproduire une partie du moyen du pourvoi car sa formulation a été reprise d’un arrêt de la chambre mixte de 1981, ce qui a son importance et ce dont on parlera dans les développements du commentaire. Enfin, lorsque l’arrêt n’est pas recopié intégralement, ce qui est le cas ici, c’est que l’on attend de l’étudiant qu’il ne commente que la partie reproduite de l’arrêt. En l’espèce le premier moyen, qui n’est pas reproduit, était sans intérêt pour un étudiant en première année de droit. Il sera parfois utile d’aller lire l’intégralité de l’arrêt sur Legifrance pour bien le comprendre, même si seule la partie reproduite sera à commenter, ce n’était pas nécessaire pour cet arrêt dont seul le second moyen était reproduit.

La Cour de cassation devait donc répondre à la question de droit suivante : un transporteur peut-il bénéficier de l’action directe créée par l’article 10 de la loi du 6 février 1998 pour des contrats conclus avant son entrée en vigueur ? Le pourvoi va logiquement soulever une question de droit à laquelle la Cour de cassation va devoir répondre, c’est cette question qu’il faut dégager de l’arrêt. On voit que ma problématique est ici générale et abstraite. Deux petites astuces pour s’assurer d’avoir une problématique correcte : 1/ Il faut se mettre à la place des magistrats de la Cour de cassation lorsqu’ils sont saisis du pourvoi et se demander : « quelle est la question de droit qui m’est posée, à moi, juge de la Cour de cassation ? ». Autrement dit la problématique ne doit pas être induite de la solution de la Cour de cassation : vous êtes juge de la Cour de cassation, vous ne pouvez donc pas induire la question de la solution, puisque vous ne pourrez donner la solution qu’après avoir dégagé la question. La question de droit doit donc être déduite de l’arrêt de la cour d’appel et du pourvoi. Cela est important car il arrive que la Cour de cassation ne réponde pas réellement à la question de droit qui lui était posée, et il sera alors important d’identifier ce décalage pour pouvoir le commenter ensuite. Ce n’était pas le cas en l’espèce. 2/ Pour vérifier que la problématique est bien générale et abstraite, on peut se demander si un juriste n’ayant pas lu l’arrêt et le début de l’introduction serait capable de comprendre la problématique et d’y répondre. Si ce n’est pas le cas, il faut la reformuler. En l’espèce le transporteur reproche à la cour d’appel d’avoir rejeté son action directe, peu important que les contrats aient été conclus avant l’entrée en vigueur de la loi de 1998, la problématique se trouve donc là. Il fallait éviter en l’espèce les problématiques trop générales du type « Une loi nouvelle est-elle applicable aux contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur ? », cette question est trop vague car la réponse va dépendre de la loi concernée et des contrats concernés, on n’a donc pas tous les éléments pour y répondre.

Dans un attendu que l’on peut qualifier de principe, la Cour de cassation énonce que « la loi du 6 février 1998 n’est pas applicable aux contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur ». Elle rejette par conséquent le pourvoi dès lors que la cour d’appel a relevé que les contrats de transport ont été conclus, en l’espèce, en mars et avril 1997, c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur de la loi du 6 février 1998. Après la problématique vient logiquement la solution de la Cour de cassation. On a en l’espèce un attendu de principe, c’est-à-dire une règle énoncée en des termes généraux : la loi de 1998 n’est pas applicable aux contrats conclus avant son entrée en vigueur. Dans ce cas il est impératif de recopier à l’identique et entre guillemets l’attendu de principe, en mentionnant le visa s’il y en a un (ce n’est pas le cas en l’espèce s’agissant d’un arrêt de rejet). Ensuite, il ne faut pas s’arrêter là et il faut expliquer comment la Cour de cassation a conclu à la bonne application de la règle (rejet du pourvoi) ou à sa mauvaise application (cassation de l’arrêt). En l’espèce le pourvoi est rejeté car la cour d’appel a relevé que les contrats ont été conclus avant l’entrée en vigueur de la loi de 1998, cette loi ne s’appliquait donc pas, le transporteur ne bénéficiait donc d’aucune action directe.

Le conclusif est lapidaire, il faut donc chercher à reconstituer le raisonnement juridique qui a conduit la chambre commerciale à déclarer la loi du 6 février 1998 non-applicable aux contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur (I), une solution surprenante car à contre-courant de la jurisprudence de la Haute juridiction en matière d’action directe (II). Dernière étape de l’introduction, l’annonce de plan. Il s’agit d’annoncer les deux parties principales, I et II, en les indiquant entre parenthèses. Certains considèrent qu’il faille recopier mot pour mot les intitulés des deux parties dans l’annonce de plan, je considère pour ma part que ce n’est pas une obligation et qu’il vaut mieux essayer d’expliquer, par d’autres mots, l’articulation logique entre les deux parties. En ce qui concerne mon plan, je me suis efforcé de ne pas trop pousser l’analyse pour que le corrigé reste réaliste par rapport à ce qui peut être attendu d’un étudiant de première année. En substance je vais parler dans ma première partie du sens de l’arrêt, je vais montrer que j’ai bien été capable de dégager le raisonnement juridique qui a justifié cette solution, et dans ma seconde partie je vais parler de la portée de l’arrêt (comment s’inscrit l’arrêt dans la jurisprudence) et de sa valeur (la solution est-elle cohérente, opportune).

I) Une survie de la loi ancienne fondée sur la nature de la situation juridique

Il faut qu’il apparaisse clairement dans les intitulés que l’on commente l’arrêt. C’est le cas ici, on voit rien qu’en lisant le titre que je vais expliquer dans cette partie pourquoi la Cour de cassation a jugé que la loi de 1998 n’était pas applicable aux contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur. Le titre ne doit pas être générique, du type « Fondements de l’arrêt ».

Un seul raisonnement peut conduire à une telle solution : la situation est contractuelle, entièrement contractuelle (A), ce qui conduit logiquement à appliquer le principe de survie de la loi ancienne en l’absence de disposition transitoire contraire (B). Chapeau introductif : annonce des A et B, sur le même modèle que l’annonce de plan pour les I et II. Dans mon A je vais voir que la Cour de cassation qualifie implicitement la situation juridique de contractuelle, et dans le B je vais voir que cette qualification entraîne logiquement l’application du principe de survie de la loi ancienne, ce qui explique donc la solution de l’arrêt. Même remarque que pour les intitulés : il faut clairement faire apparaître dans le chapeau que l’on commente l’arrêt, le chapeau permet aussi de mettre en exergue le lien entre l’arrêt et les deux sous-parties.

A) Une situation qualifiée de contractuelle dans sa globalité

La Cour de cassation articule entièrement sa solution autour des contrats de transport : « la loi du 6 février 1998 n’est pas applicable aux contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur » ; « l’arrêt, qui relève que les contrats de transport litigieux ont été conclus en mars et avril 1997 n’encourt pas le grief du pourvoi ». Il ne fait donc aucun doute que l’on est, pour la chambre commerciale, en présence d’une situation juridique contractuelle. Je commence à expliquer le raisonnement juridique qui se trouve derrière la solution de la Cour de cassation. Je fais partir mon analyse d’une citation de la décision, c’est une bonne technique en première année pour éviter de verser en hors sujet : en citant l’arrêt, vous vous obligez à l’analyser, et cela vous évite de faire des digressions hors sujet (rappels de cours inutiles, etc.). Tout doit partir de l’arrêt, tout doit revenir à l’arrêt, il faut systématiquement faire le lien entre ce que l’on écrit et l’arrêt.

Il existait plusieurs contrats de transport, et les créances dont le transporteur demandait paiement étaient issues de ces contrats, la qualification de situation contractuelle semble donc justifiée.

On pouvait cependant se demander si l’action directe était véritablement un effet du contrat, ou s’il ne s’agissait pas plutôt d’un effet de la loi du 6 février 1998. C’est l’argument invoqué par le transporteur dans son pourvoi : « l’action directe du voiturier en paiement de ses prestations trouve son fondement dans la loi du 6 février 1998 et non dans les contrats conclus entre les parties ». La chambre commerciale balaie cette argumentation sans prendre la peine de s’en expliquer : en n’évoquant que les contrats dans son conclusif, elle qualifie implicitement la situation juridique de contractuelle dans sa globalité, y intégrant donc l’action directe. Il ne faut pas rester en surface et il faut toujours essayer de pousser le raisonnement de la Cour de cassation dans ses derniers retranchements. Certes on a une situation contractuelle en l’espèce, mais cela suffit-il à résoudre la question de droit posée ? Non, car le transporteur prétendait dans son pourvoi que l’action directe n’était pas un effet du contrat mais un effet de la loi ! Il faut donc expliquer que la Cour de cassation considère implicitement que l’action directe découle du contrat et non de la loi, du moins c’est ce que l’on peut supposer.

Une fois la situation qualifiée, il ne reste qu’à lui appliquer le régime correspondant en matière de conflit de lois dans le temps. Transition entre le A et le B.

B) Une qualification emportant nécessairement application de la loi ancienne

Dans la plupart des cas, le législateur prévoit des dispositions transitoires qui règlent directement la question du conflit de lois dans le temps, ce qui simplifie considérablement la tâche du juge et est en principe un gage de sécurité juridique. La loi du 6 février 1998 ne contenait malheureusement aucune disposition transitoire, obligeant la Cour de cassation à résoudre ce conflit elle-même. Il faut expliquer le raisonnement juridique sans oublier d’étape, et il faut donc relever qu’en l’espèce il n’y avait pas de disposition transitoire dans la loi de 1998 sinon la question aurait été résolue en appliquant la disposition transitoire.

L’article 2 du Code civil dispose que « la loi n’a point d’effet rétroactif ». Cet article a valeur légale, par conséquent si le législateur peut y déroger, il s’impose en revanche au juge. Comme l’on vient de voir que le législateur n’a pas entendu déroger à l’article 2 du Code civil dans la loi du 6 février 1998, cette loi est nécessairement non-rétroactive et la Cour de cassation ne pouvait en juger autrement. Cependant cela ne suffit pas pour résoudre le litige, puisque si l’article 2 énonce que la loi n’a point d’effet rétroactif, il ajoute qu’elle « ne dispose que pour l’avenir ». Le juge a donc la possibilité d’appliquer la loi nouvelle aux effets futurs d’une situation juridique, même si cette situation juridique a été constituée avant l’entrée en vigueur de la loi. Un auteur, Roubier, avait ainsi proposé d’appliquer la loi nouvelle aux effets futurs des situations juridiques déjà constituées, avec toutefois une exception pour les situations juridiques contractuelles auxquelles on continuerait d’appliquer la loi en vigueur à l’époque de la conclusion du contrat. De ces propositions ont découlé deux principes qui ont été consacrés par la jurisprudence : l’application immédiate de la loi nouvelle aux effets futurs des situations légales en cours (Civ. 3e, 13 nov. 1984) et la survie de la loi ancienne pour les effets futurs des situations contractuelles établies avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle (Civ. 3e, 3 juill. 1979, solution rappelée récemment encore : Civ. 1re, 12 juin 2013). Je rappelle ici les règles du droit positif en matière de conflits de lois dans le temps, puisque c’est bien à un conflit de lois dans le temps auquel nous avions à faire en l’espèce et que la Cour de cassation devait résoudre. Ces règles doivent en principe être connues, elles ont normalement été expliquées lors du cours magistral. A défaut, ou pour approfondir le cours magistral, ces règles sont expliquées dans les manuels d’introduction générale au droit que l’on peut acheter ou que l’on peut consulter gratuitement en bibliothèque universitaire. Pour cette question précise des conflits de lois dans le temps, je recommande le manuel « Introduction au droit : et thèmes fondamentaux du droit civil » de J.-L. Aubert et E. Savaux, le sujet y est traité de façon exhaustive et claire. Il est important, lorsque l’on cite des règles juridiques, de préciser leur fondement en citant la disposition ou l’arrêt qui les a consacrées. En l’occurrence ces principes sont issus de la jurisprudence, j’ai donc cité à chaque fois au moins un arrêt pour les justifier.

En l’espèce on a vu que la Cour de cassation avait qualifié la globalité de la situation juridique de contractuelle, en refusant implicitement de considérer l’action directe comme un effet légal. Dès lors c’est logiquement le principe de survie de la loi ancienne qui s’applique : les contrats restent régis par la loi en vigueur lors de leur conclusion en mars et avril 1997, et le transporteur ne peut bénéficier de l’action directe créée par la loi de 1998. Après avoir rappelé les règles applicables, il ne reste plus qu’à les appliquer aux faits de l’arrêt pour expliquer la solution de la Cour de cassation.

Cette solution est sévère pour le transporteur dans la mesure où il pouvait se reposer sur une jurisprudence bien établie en matière d’action directe, ce qu’il n’avait d’ailleurs pas manqué de faire valoir dans son pourvoi sèchement rejeté. Transition entre le I et le II.

II) Une survie de la loi ancienne inédite en matière d’action directe

Survie de la loi ancienne inédite car, à propos d’une autre action directe, la Cour de cassation avait jugé en 1981 que la loi nouvelle devait s’appliquer immédiatement aux contrats conclus antérieurement. Il y a donc une divergence entre ces deux solutions qu’il va falloir tenter d’expliquer. Comment ai-je eu connaissance de cet arrêt de 1981 ? Un étudiant de première année doit être capable d’ouvrir son Code civil et de consulter la jurisprudence qui s’y trouve. En l’occurrence il s’agit d’une question de confit de lois dans le temps et il n’y a qu’un seul article du Code civil qui se rapporte à cette question, l’article 2, il n’y a donc qu’un seul endroit où chercher… Il suffit donc d’ouvrir son Code à l’article 2 et de balayer intégralement la jurisprudence qui s’y trouve, cela prend cinq minutes. Si je prends l’exemple du Code Dalloz, la jurisprudence est classée selon un plan donné par l’éditeur, on y trouve un « II. APPLICATION IMMÉDIATE DE LA LOI NOUVELLE » contenant un « D. ACTES JURIDIQUES: SURVIE DE LA LOI ANCIENNE ». Dans un point 42 intitulé « Exception: Effet légal du contrat. Application immédiate » on trouve l’arrêt de la chambre mixte du 13 mars 1981 avec le résumé suivant : « L’action directe instituée par la L. du 31 déc. 1975 en matière de sous-traitance trouve son fondement dans la volonté du législateur et non dans les contrats conclus entre les parties. L’art. 2 C. civ. ne faisant pas obstacle à l’application immédiate des lois nouvelles aux situations juridiques établies avant leur promulgation si elles n’ont pas encore été définitivement réalisées, l’action directe est ouverte au sous-traitant dès l’entrée en vigueur de la loi, bien que le contrat de sous-traitance ait été conclu antérieurement. » On retrouve l’argumentation du pourvoi, on fait donc immédiatement le lien avec l’arrêt commenté, d’autant plus qu’un peu plus bas dans le point 42 on trouve l’arrêt à commenter de 2005 avec la mention « V. en sens contraire », cela nous indique donc que l’arrêt de 2005 est en sens contraire de celui de 1981. Je précise que ce qui est mentionné sous les articles du Code civil sont des décisions de justice qui ont été sélectionnées et classées par l’éditeur du code (Dalloz ou Litec), il s’agit donc de choix contingents : pour citer ces décisions, il faut donner la formation de jugement (par exemple « chambre mixte de la Cour de cassation ») et la date de la décision (par exemple 13 mars 1981). Il ne faut surtout pas dire « article 2 alinéa 42 » ou « article 2 point 42 », c’est une erreur extrêmement grossière qui démontrerait que l’étudiant ignore la différence élémentaire entre la loi et la jurisprudence et qu’il ne sait pas utiliser un code.

Jusqu’à cet arrêt, la Cour de cassation considérait l’action directe comme un effet légal (A). Le caractère laconique de la solution empêche d’en saisir les fondements précis et, partant, la portée (B). Nouveau chapeau introductif. Je n’aurais pas pu trouver ces deux sous-parties si je n’avais pas trouvé l’arrêt de 1981. Je vais expliquer dans le A que la Cour de cassation refuse de qualifier l’action directe d’effet légal du contrat, alors qu’elle l’avait fait en 1981, et dans le B je vais essayer de savoir pourquoi pour pouvoir mesurer la portée de cette solution (revirement de jurisprudence ? simple exception à la solution de 1981 ?).

A) Le rejet de la qualification d’effet légal de l’action directe

Si le principe est celui de la survie de la loi ancienne en matière de situations contractuelles, il existe une exception lorsque c’est la loi qui attache un effet particulier au contrat, autrement dit lorsque ce ne sont pas les parties qui ont prévu que le contrat produirait tel effet, mais que c’est la loi qui a prévu que le contrat produirait cet effet, et que les parties n’auraient pas pu s’y opposer même si elles le souhaitaient, la disposition légale prévoyant cet effet étant impérative. La loi qui attache un nouvel effet légal à un contrat, ou qui vient modifier un effet légal déjà attaché à un certain contrat par une loi antérieure, s’applique immédiatement aux effets futurs de ce contrat. J’explique ici l’exception à la survie de la loi ancienne en matière contractuelle à propos des effets légaux du contrat, exception que j’ai pu trouver dans la jurisprudence agrégée par l’éditeur de mon Code civil sous l’article 2 mais que j’aurais aussi pu trouver dans le cours magistral ou dans des manuels d’introduction au droit.

Il fallait donc se demander en l’espèce si l’action directe était un effet légal ou un effet du contrat. Si les parties l’avaient souhaité, elles n’auraient pu stipuler dans leur contrat une action directe contre un tiers, l’effet relatif des contrats s’y serait opposé (art. 1165 du Code civil). L’action directe ne peut donc pas être un effet du contrat puisque les parties n’ont pas la possibilité de créer un tel effet, il s’agit donc nécessairement d’un effet attaché au contrat par le législateur, donc d’un effet légal. Dès lors, le seul élément qui pourrait faire obstacle à l’application immédiate de l’action directe à des contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle serait l’atteinte à un droit acquis. Il n’existe aucun droit acquis dans ce cas de figure puisque l’action directe ne retire aucun droit, c’est même l’inverse, elle consacre un nouveau droit au profit du titulaire de l’action directe. J’explique pourquoi l’action directe aurait dû, en l’espèce et selon moi, être qualifiée d’effet légal.

C’est en substance le raisonnement qui a conduit la Cour de cassation à juger par le passé que l’action directe créée par la loi du 31 décembre 1975 au profit du sous-traitant contre le maître de l’ouvrage s’appliquait immédiatement aux contrats conclus avant l’entrée en vigueur de cette loi : « l’action directe instituée par l’article 12 de la loi du 31 décembre 1975 trouve son fondement dans la volonté du législateur et non dans les contrats conclus entre les parties, contrats desquels il n’était résulté pour elles aucun droit acquis » (Ch. mixte, 13 mars 1981). Ce n’est pas hasard si on retrouve la formule à l’identique dans le pourvoi du transporteur, celui-ci invoquait cette jurisprudence. J’explique que ce raisonnement juridique est celui qui a été suivi par la Cour de cassation en 1981 dans une affaire qui concernait l’application dans le temps d’une autre action directe, et j’explique que le transporteur reprenait l’argumentation de cet arrêt dans son pourvoi.

Il est dès lors surprenant que cette argumentation, qui avait été retenue par la chambre mixte en 1981, conduise aujourd’hui au rejet du pourvoi à propos de la loi du 6 février 1998. Les raisons de cette solution, et donc sa portée, sont difficiles à saisir. Transition : je vais essayer de comprendre pourquoi ce changement de solution, pour pouvoir apprécier la portée de l’arrêt.

B) Un rejet à la portée difficile à circonscrire

Comment s’inscrit cet arrêt dans la jurisprudence de la Cour de cassation ? Vient-il préciser le raisonnement retenu en 1981 en consacrant une limite ou une exception, ou marque-t-il un véritable revirement de jurisprudence en matière d’action directe ? La chambre commerciale restant muette sur les fondements précis de cette solution, il est difficile de se prononcer. Deux hypothèses semblent envisageables. Beaucoup de questions, et malheureusement peu de réponses dans cet arrêt. On va tout de même essayer d’y répondre en avançant deux hypothèses.

Première hypothèse, la solution est justifiée par une spécificité de la loi de 1998 et a, dans ce cas, une portée limitée à cette loi. Cette spécificité pourrait découler de l’article 10 de cette loi qui crée l’action directe : « La lettre de voiture forme un contrat entre l’expéditeur, le voiturier et le destinataire ou entre l’expéditeur, le destinataire, le commissionnaire et le voiturier. Le voiturier a ainsi une action directe en paiement de ses prestations à l’encontre de l’expéditeur et du destinataire (…) ». Autrement dit le contrat de transport est désormais tripartite : le destinataire de la marchandise est une partie au contrat. On pourrait alors considérer que l’action directe créée par la loi de 1998 est précisément fondée sur le fait que le destinataire, celui qui supporte la charge de  l’action directe, est partie au contrat. Le destinataire n’était pas une partie au contrat de transport dans les contrats conclus avant la loi de 1998, comme c’est le cas en l’espèce. En revanche le maître de l’ouvrage a toujours été un tiers au contrat qui lie le maître d’œuvre au sous-traitant, et reste un tiers au contrat après la loi de 1975 qui a créé une action directe au profit du sous-traitant. Cela pourrait expliquer la différence de solution entre les arrêts de 1981 et de 2005. Cette explication me semble un peu trop complexe pour des étudiants de première année car elle mobilise des notions de droit des contrats, une matière enseignée en deuxième année. Ce paragraphe ne peut donc pas être attendu dans un devoir de première année, je l’ai mis à titre d’information.

Deuxième hypothèse, la chambre commerciale considère de manière générale que l’action directe, quelle qu’elle soit, ne doit plus être qualifiée d’effet légal du contrat, mais d’effet contractuel. La portée de l’arrêt serait alors importante : non seulement elle aurait un impact sur les contrats de sous-traitance conclus avant 1981 (bien qu’il soit peu probable qu’il existe encore dans ces contrats des créances impayées et non prescrites) mais surtout elle traduirait une redéfinition de la notion d’effet légal et pourrait donc avoir des effets au-delà des seules actions directes.

Les arrêts relatifs à l’application de la loi dans le temps aux effets légaux d’une situation contractuelle étant rares, la portée de cet arrêt de 2005 est encore difficile à évaluer aujourd’hui. On peut toutefois noter, toujours à propos de la portée de l’arrêt, que le refus d’appliquer la loi du 6 février 1998 aux contrats conclus avant son entrée en vigueur ne se limite pas à son seul article 10 qui crée une action directe, mais s’étend à la totalité de la loi. C’est ce qui ressort clairement de l’attendu de principe : « la loi du 6 février 1998 n’est pas applicable aux contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur ». Même neuf ans après l’arrêt, on ne sait pas très bien ce qui a conduit la Cour de cassation à rejeter la qualification d’effet légal pour l’action directe de la loi de 1998, et donc à nier son application immédiate aux contrats antérieurs. Il ne faut en effet pas oublier de parler de ce qui s’est passé avant l’arrêt commenté (ce que j’ai fait en parlant de l’arrêt de 1981), mais aussi ce qui s’est passé après, surtout quand l’arrêt a été rendu il y a plusieurs années comme en l’espèce. Vous remarquerez qu’il n’y a aucune conclusion, il ne faut pas en faire dans un commentaire d’arrêt. Ce dernier paragraphe fait partie intégrante de mon II)B) et n’est pas une conclusion.

Le corrigé du commentaire d’arrêt sans les annotations

Pour avoir une meilleure idée du résultat final, voici le commentaire d’arrêt dépouillé de ses explications :

Si le Code civil de 1804 est régulièrement encensé pour ses multiples qualités, il n’en comporte pas moins d’importantes lacunes dans certains domaines. Les conflits de lois dans le temps sont sans aucun doute l’un d’eux. Une seule disposition, pour le moins lapidaire, est laissée à l’interprète pour résoudre cette épineuse question : l’article 2. L’absence de directives légales précises a donné lieu à une jurisprudence complexe et parfois confuse, comme en témoigne un arrêt rendu le 10 mai 2005 par la chambre commerciale de la Cour de cassation.

En l’espèce, un producteur a conclu plusieurs contrats avec une société de transport afin d’acheminer sa marchandise située au Maroc à son commissionnaire situé en France.

Pour une raison non précisée, le transporteur a choisi d’assigner le destinataire de la marchandise en paiement du prix stipulé dans ces contrats de transport, vraisemblablement sur le fondement de l’action directe prévue à l’article 10 de la loi du 6 février 1998. La juridiction de premier degré a rendu un jugement dont on ignore la teneur, puis l’une des parties a interjeté appel.

La Cour d’appel de Douai, par un arrêt du 28 novembre 2002, a rejeté la demande du transporteur. Elle a retenu que les contrats avaient été conclus en mars et avril 1997, c’est-à-dire antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 6 février 1998.

Le transporteur a alors formé un pourvoi en cassation. Il soutient, dans le second moyen de son pourvoi, le seul qui sera étudié, que la loi nouvelle régit immédiatement les effets des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées ; que l’action directe du transporteur en paiement de ses prestations trouve son fondement dans la loi du 6 février 1998 et non dans les contrats conclus entre les parties, desquels il n’est résulté pour celles-ci aucun droit acquis. Il soutient que la cour d’appel aurait ainsi violé l’article 2 du Code civil et l’article 10 de la loi précitée en rejetant son action directe dès lors que sa créance était restée impayée après l’entrée en vigueur de la loi de 1998, peu important que les contrats de transport aient été conclus avant l’entrée en vigueur de cette loi.

La Cour de cassation devait donc répondre à la question de droit suivante : un transporteur peut-il bénéficier de l’action directe créée par l’article 10 de la loi du 6 février 1998 pour des contrats conclus avant son entrée en vigueur ?

Dans un attendu que l’on peut qualifier de principe, la Cour de cassation énonce que « la loi du 6 février 1998 n’est pas applicable aux contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur ». Elle rejette par conséquent le pourvoi dès lors que la cour d’appel a relevé que les contrats de transport ont été conclus, en l’espèce, en mars et avril 1997, c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur de la loi du 6 février 1998.

Le conclusif est lapidaire, il faut donc chercher à reconstituer le raisonnement juridique qui a conduit la chambre commerciale à déclarer la loi du 6 février 1998 non-applicable aux contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur (I), une solution surprenante car à contre-courant de la jurisprudence de la Haute juridiction en matière d’action directe (II).

I) Une survie de la loi ancienne fondée sur la nature de la situation juridique

Un seul raisonnement peut conduire à une telle solution : la situation est contractuelle, entièrement contractuelle (A), ce qui conduit logiquement à appliquer le principe de survie de la loi ancienne en l’absence de disposition transitoire contraire (B).

A) Une situation qualifiée de contractuelle dans sa globalité

La Cour de cassation articule entièrement sa solution autour des contrats de transport : « la loi du 6 février 1998 n’est pas applicable aux contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur » ; « l’arrêt, qui relève que les contrats de transport litigieux ont été conclus en mars et avril 1997 n’encourt pas le grief du pourvoi ». Il ne fait donc aucun doute que l’on est, pour la chambre commerciale, en présence d’une situation juridique contractuelle.

Il existait plusieurs contrats de transport, et les créances dont le transporteur demandait paiement étaient issues de ces contrats, la qualification de situation contractuelle semble donc justifiée.

On pouvait cependant se demander si l’action directe était véritablement un effet du contrat, ou s’il ne s’agissait pas plutôt d’un effet de la loi du 6 février 1998. C’est l’argument invoqué par le transporteur dans son pourvoi : « l’action directe du voiturier en paiement de ses prestations trouve son fondement dans la loi du 6 février 1998 et non dans les contrats conclus entre les parties ». La chambre commerciale balaie cette argumentation sans prendre la peine de s’en expliquer : en n’évoquant que les contrats dans son conclusif, elle qualifie implicitement la situation juridique de contractuelle dans sa globalité, y intégrant donc l’action directe.

Une fois la situation qualifiée, il ne reste qu’à lui appliquer le régime correspondant en matière de conflit de lois dans le temps.

B) Une qualification emportant nécessairement application de la loi ancienne

Dans la plupart des cas, le législateur prévoit des dispositions transitoires qui règlent directement la question du conflit de lois dans le temps, ce qui simplifie considérablement la tâche du juge et est en principe un gage de sécurité juridique. La loi du 6 février 1998 ne contenait malheureusement aucune disposition transitoire, obligeant la Cour de cassation à résoudre ce conflit elle-même.

L’article 2 du Code civil dispose que « la loi n’a point d’effet rétroactif ». Cet article a valeur légale, par conséquent si le législateur peut y déroger, il s’impose en revanche au juge. Comme l’on vient de voir que le législateur n’a pas entendu déroger à l’article 2 du Code civil dans la loi du 6 février 1998, cette loi est nécessairement non-rétroactive et la Cour de cassation ne pouvait en juger autrement. Cependant cela ne suffit pas pour résoudre le litige, puisque si l’article 2 énonce que la loi n’a point d’effet rétroactif, il ajoute qu’elle « ne dispose que pour l’avenir ». Le juge a donc la possibilité d’appliquer la loi nouvelle aux effets futurs d’une situation juridique, même si cette situation juridique a été constituée avant l’entrée en vigueur de la loi. Un auteur, Roubier, avait ainsi proposé d’appliquer la loi nouvelle aux effets futurs des situations juridiques déjà constituées, avec toutefois une exception pour les situations juridiques contractuelles auxquelles on continuerait d’appliquer la loi en vigueur à l’époque de la conclusion du contrat. De ces propositions ont découlé deux principes qui ont été consacrés par la jurisprudence : l’application immédiate de la loi nouvelle aux effets futurs des situations légales en cours (Civ. 3e, 13 nov. 1984) et la survie de la loi ancienne pour les effets futurs des situations contractuelles établies avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle (Civ. 3e, 3 juill. 1979, solution rappelée récemment encore : Civ. 1re, 12 juin 2013).

En l’espèce on a vu que la Cour de cassation avait qualifié la globalité de la situation juridique de contractuelle, en refusant implicitement de considérer l’action directe comme un effet légal. Dès lors c’est logiquement le principe de survie de la loi ancienne qui s’applique : les contrats restent régis par la loi en vigueur lors de leur conclusion en mars et avril 1997, et le transporteur ne peut bénéficier de l’action directe créée par la loi de 1998.

Cette solution est sévère pour le transporteur dans la mesure où il pouvait se reposer sur une jurisprudence bien établie en matière d’action directe, ce qu’il n’avait d’ailleurs pas manqué de faire valoir dans son pourvoi sèchement rejeté.

II) Une survie de la loi ancienne inédite en matière d’action directe

Jusqu’à cet arrêt, la Cour de cassation considérait l’action directe comme un effet légal (A). Le caractère laconique de la solution empêche d’en saisir les fondements précis et, partant, la portée (B).

A) Le rejet de la qualification d’effet légal de l’action directe

Si le principe est celui de la survie de la loi ancienne en matière de situations contractuelles, il existe une exception lorsque c’est la loi qui attache un effet particulier au contrat, autrement dit lorsque ce ne sont pas les parties qui ont prévu que le contrat produirait tel effet, mais que c’est la loi qui a prévu que le contrat produirait cet effet, et que les parties n’auraient pas pu s’y opposer même si elles le souhaitaient, la disposition légale prévoyant cet effet étant impérative. La loi qui attache un nouvel effet légal à un contrat, ou qui vient modifier un effet légal déjà attaché à un certain contrat par une loi antérieure, s’applique immédiatement aux effets futurs de ce contrat.

Il fallait donc se demander en l’espèce si l’action directe était un effet légal ou un effet du contrat. Si les parties l’avaient souhaité, elles n’auraient pu stipuler dans leur contrat une action directe contre un tiers, l’effet relatif des contrats s’y serait opposé (art. 1165 du Code civil). L’action directe ne peut donc pas être un effet du contrat puisque les parties n’ont pas la possibilité de créer un tel effet, il s’agit donc nécessairement d’un effet attaché au contrat par le législateur, donc d’un effet légal. Dès lors, le seul élément qui pourrait faire obstacle à l’application immédiate de l’action directe à des contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle serait l’atteinte à un droit acquis. Il n’existe aucun droit acquis dans ce cas de figure puisque l’action directe ne retire aucun droit, c’est même l’inverse, elle consacre un nouveau droit au profit du titulaire de l’action directe.

C’est en substance le raisonnement qui a conduit la Cour de cassation à juger par le passé que l’action directe créée par la loi du 31 décembre 1975 au profit du sous-traitant contre le maître de l’ouvrage s’appliquait immédiatement aux contrats conclus avant l’entrée en vigueur de cette loi : « l’action directe instituée par l’article 12 de la loi du 31 décembre 1975 trouve son fondement dans la volonté du législateur et non dans les contrats conclus entre les parties, contrats desquels il n’était résulté pour elles aucun droit acquis » (Ch. mixte, 13 mars 1981). Ce n’est pas hasard si on retrouve la formule à l’identique dans le pourvoi du transporteur, celui-ci invoquait cette jurisprudence.

Il est dès lors surprenant que cette argumentation, qui avait été retenue par la chambre mixte en 1981, conduise aujourd’hui au rejet du pourvoi à propos de la loi du 6 février 1998. Les raisons de cette solution, et donc sa portée, sont difficiles à saisir.

B) Un rejet à la portée difficile à circonscrire

Comment s’inscrit cet arrêt dans la jurisprudence de la Cour de cassation ? Vient-il préciser le raisonnement retenu en 1981 en consacrant une limite ou une exception, ou marque-t-il un véritable revirement de jurisprudence en matière d’action directe ? La chambre commerciale restant muette sur les fondements précis de cette solution, il est difficile de se prononcer. Deux hypothèses semblent envisageables.

Première hypothèse, la solution est justifiée par une spécificité de la loi de 1998 et a, dans ce cas, une portée limitée à cette loi. Cette spécificité pourrait découler de l’article 10 de cette loi qui crée l’action directe : « La lettre de voiture forme un contrat entre l’expéditeur, le voiturier et le destinataire ou entre l’expéditeur, le destinataire, le commissionnaire et le voiturier. Le voiturier a ainsi une action directe en paiement de ses prestations à l’encontre de l’expéditeur et du destinataire (…) ». Autrement dit le contrat de transport est désormais tripartite : le destinataire de la marchandise est une partie au contrat. On pourrait alors considérer que l’action directe créée par la loi de 1998 est précisément fondée sur le fait que le destinataire, celui qui supporte la charge de  l’action directe, est partie au contrat. Le destinataire n’était pas une partie au contrat de transport dans les contrats conclus avant la loi de 1998, comme c’est le cas en l’espèce. En revanche le maître de l’ouvrage a toujours été un tiers au contrat qui lie le maître d’œuvre au sous-traitant, et reste un tiers au contrat après la loi de 1975 qui a créé une action directe au profit du sous-traitant. Cela pourrait expliquer la différence de solution entre les arrêts de 1981 et de 2005.

Deuxième hypothèse, la chambre commerciale considère de manière générale que l’action directe, quelle qu’elle soit, ne doit plus être qualifiée d’effet légal du contrat, mais d’effet contractuel. La portée de l’arrêt serait alors importante : non seulement elle aurait un impact sur les contrats de sous-traitance conclus avant 1981 (bien qu’il soit peu probable qu’il existe encore dans ces contrats des créances impayées et non prescrites) mais surtout elle traduirait une redéfinition de la notion d’effet légal et pourrait donc avoir des effets au-delà des seules actions directes.

Les arrêts relatifs à l’application de la loi dans le temps aux effets légaux d’une situation contractuelle étant rares, la portée de cet arrêt de 2005 est encore difficile à évaluer aujourd’hui. On peut toutefois noter, toujours à propos de la portée de l’arrêt, que le refus d’appliquer la loi du 6 février 1998 aux contrats conclus avant son entrée en vigueur ne se limite pas à son seul article 10 qui crée une action directe, mais s’étend à la totalité de la loi. C’est ce qui ressort clairement de l’attendu de principe : « la loi du 6 février 1998 n’est pas applicable aux contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur ».

Quelques conseils à destination des étudiants de première année

Au début de la première année de droit, c’est l’objet même de l’exercice qui peut être difficile à saisir : malgré les explications théoriques, de nombreux étudiants ont beaucoup de mal à analyser l’arrêt et versent dans le hors sujet ou dans des développements purement descriptifs. Les titres sont souvent maladroits, n’expriment pas clairement le contenu de la partie, donnent l’impression que la partie est hors sujet, etc. Il me semble qu’il faille, dans un premier temps, insister sur quelques points qui correspondent aux problèmes que j’ai pu identifier comme étant les plus récurrents en TD d’introduction générale au droit :

  • Comprendre l’arrêt. C’est la première étape, commencer le commentaire sans avoir préalablement compris l’arrêt dans ses moindres subtilités est voué à l’échec. Si on a des difficultés à comprendre l’arrêt, c’est que les connaissances sont insuffisantes. Il faut alors revenir au cours magistral et, si ce n’est pas suffisant, ouvrir des manuels. Pour la matière de l’introduction au droit ce sera des manuels d’introduction au droit ou des manuels de droit constitutionnel selon le thème de l’arrêt à commenter. Ces manuels peuvent être achetés ou consultés gratuitement en bibliothèque universitaire. En cas d’achat d’un manuel, on recommandera de feuilleter les manuels en librairie ou en bibliothèque avant de faire son choix. Signalons enfin qu’il est très fréquent que le fascicule de TD contienne des documents utiles à la compréhension de l’arrêt, on attendra alors de l’étudiant qu’il exploite ces documents dans son commentaire. Si ce n’est pas fait, cela voudra dire que l’étudiant n’a pas lu tous les documents du fascicule ou qu’il n’a pas vu le lien entre ce document et l’arrêt à commenter.
  • Se documenter. Les informations contenues dans l’arrêt sont évidemment insuffisantes pour construire le commentaire, si l’on s’en contente le commentaire sera purement descriptif et versera probablement dans la paraphrase. On attend de l’étudiant qu’il apporte ses connaissances personnelles pour éclairer la solution et l’analyser : expliquer le raisonnement juridique qui la sous-tend, décrire son contexte, la critiquer (positivement ou négativement), etc. Il faut donc agréger un maximum d’informations sur l’arrêt et son contexte, pour cela on renverra aux conseils donnés dans le point précédent (cours magistral, manuels et fascicule de TD). Les revues juridiques sont une source d’information très précieuse pour les commentaires d’arrêt, mais il est rare que les étudiants aient le recule nécessaire en première année de droit pour s’en servir, cela vient en général plutôt à partir de la deuxième année.
  • Maîtriser la méthode. Chaque année certains étudiants pensent être plus malins que les générations qui les ont précédés et s’imaginent pouvoir réussir leurs commentaires d’arrêt sans s’intéresser préalablement à la méthode. C’est bien sûr peine perdue. Le commentaire d’arrêt est enserré dans un formalisme très particulier, des règles d’usage très strictes s’imposent, si les règles les plus élémentaires de la méthode ne sont pas respectées la note ne dépassera jamais la moyenne. Cette étape est fastidieuse, mais elle est incontournable : il faut apprendre la méthode. Je signale à ce propos que j’ai rédigé une méthode du commentaire d’arrêt consultable en cliquant sur l’onglet « Méthodologie » du blog.
  • Travailler ses intitulés de parties. La lecture du titre doit immédiatement faire ressortir le lien avec l’arrêt commenté. Les titres généraux du type « l’application de la loi dans le temps », « la hiérarchie des normes », « le rôle de la Cour de cassation » sont donc à proscrire. Par ailleurs l’arrêt commenté n’est pas l’arrêt de la cour d’appel mais l’arrêt de la Cour de cassation, les plans du type « I) Arrêt de la cour d’appel / II) Arrêt de la Cour de cassation » entraînent donc un devoir qui est pour moitié hors sujet… Il est possible de parler de la solution de la cour d’appel, c’est même parfois indispensable, mais il faut toujours le faire à travers le prisme de l’arrêt de la Cour de cassation. Par exemple si la cour d’appel considère que la loi est rétroactive et que son arrêt est cassé sur ce point, on n’écrira pas « I) L’arrêt de la cour d’appel » ou « I) La rétroactivité retenue par la cour d’appel » mais plutôt « I) Le rejet de la rétroactivité par la Cour de cassation ». Le contenu de la partie ne changera pas, on parlera bien de la rétroactivité de la loi, sauf que dans un cas on parle de la rétroactivité de la loi retenue par la cour d’appel (hors sujet), dans l’autre cas on parle de la rétroactivité de la loi écartée par la Cour de cassation (on commente bien l’arrêt, on n’est pas hors sujet). Même remarque à propos des lois et arrêts antérieurs. Ainsi pour notre arrêt de 2005 les plans du type « I) L’arrêt de la chambre mixte de 1981 / II) L’arrêt de la chambre commerciale de 2005 » ou « I) La loi du 6 février 1998 / II) L’arrêt de 2005 » seraient pour moitié hors sujet.
  • Ne jamais plagier. C’est une règle élémentaire, le principe est simple : dès que le correcteur identifie un copié/collé effectué sans guillemets et sans citation de la source, ou dès qu’il remarque que le devoir est trop fortement inspiré d’un document trouvé sur Internet ou ailleurs (reprise de certaines tournures de phrase ou de la structure du document en modifiant quelques mots et l’ordre des phrases) alors il arrête sa correction et met une note de 0/20. Pour éviter tout plagiat « involontaire », il ne faut jamais rédiger son commentaire en ayant le document à côté de soi. On peut lire le document une fois pour s’informer sur le sens exact et le contexte de l’arrêt (manuel de droit, site Internet, etc.), mais ensuite il faut fermer le manuel ou la page Internet et tenter d’analyser l’arrêt avec ses propres mots, si ce qui a été lu a été compris cela ne devrait pas poser de problème.

Il ne s’agit là que de quelques conseils très basiques, j’insiste sur le fait qu’il est indispensable d’assimiler préalablement la méthode complète du commentaire d’arrêt. Bien sûr la maîtrise de la méthode passe nécessairement par la pratique, c’est pourquoi dans la plupart des universités on exige que les étudiants rédigent entièrement leurs devoirs à chaque séance avec un système de ramassage aléatoire : c’est fastidieux, mais il n’y a qu’en pratiquant que l’on peut progresser dans la compréhension des arrêts et dans leur analyse.

Il est normal que l’étudiant se sente parfois perdu lors de ses premières années. Le droit est un système. Il est difficile de comprendre une partie du système sans avoir préalablement compris le fonctionnement du système dans son ensemble. Mais la réciproque est tout aussi vraie, le système paraîtra extrêmement complexe et abstrait s’il n’est pas rattaché à un minimum de concret. Pour comprendre une matière il faut connaître le vocabulaire juridique, le fonctionnement de l’ordre juridique, etc., mais un enseignement qui aborderait exclusivement ces questions terminologiques et systémiques serait, disons le franchement, fort peu attrayant pour un étudiant de première année.  Face à ce problème insoluble, les facultés de droit ont pris le parti de diviser artificiellement le droit en branches et de débuter l’enseignement de certaines de ces branches dès la première année. Les bases nécessaires à la compréhension globale du système, bases qui transcendent les différentes branches du droit, sont enseignées en parallèle, mais à dose homéopathique, à travers notamment les cours d’introduction générale au droit et de droit constitutionnel. Le recul suffisant pour appréhender le système juridique dans toute sa complexité ne pourra s’acquérir qu’au fil des années. Lorsque l’étudiant abordera en master 2 des matières déjà étudiées en licence, il réalisera alors quelle était l’étendue de sa naïveté et de son ignorance. Ce sentiment d’humilité face à l’immensité et à la complexité de cette science se répètera probablement au cours de sa carrière : le juriste est régulièrement conduit à remettre en cause les principes qu’il pensait être les plus certains et qui s’avèrent finalement n’être que des dogmes. Cette évolution de la pensée peut même être observée chez les plus grands penseurs, entre leurs premiers et leurs derniers écrits, comme chez Kelsen.

« Tout enseignement de la jeunesse contient en lui-même cette cause d’embarras, qu’on est forcé de faire prendre les devants à l’intelligence sur les années et qu’on doit, sans attendre la maturité de l’esprit, communiquer des connaissances qui, selon l’ordre naturel, ne pourraient être comprises que par une raison plus exercée et plus éprouvée. De là les éternels préjugés des écoles, plus opiniâtres et souvent plus absurdes que les préjugés vulgaires, et la loquacité précoce de jeunes penseurs, plus aveugle que n’importe quelle autre forme de présomption et plus incurable que l’ignorance.

« Ne pas enseigner des pensées, mais apprendre à penser ; ne pas porter l’élève, mais le guider, si l’on veut que plus tard il soit capable de marcher de lui-même. »

Kant, programme de ses leçons pour le semestre d’hiver 1765-1766.